Accueil > Les Cousins > Brésil > Le Brésil, bastion catholique menacé par les évangélistes
Par Chantal RAYES
Liberation. São Paulo, 12 avril 2005.
Un pape latino-américain ? A moins d’une semaine du conclave qui élira le successeur de Jean Paul II, les spéculations vont bon train dans la région. L’Amérique latine, d’où viennent cinq des papabili, jouit d’un atout de poids : 44 % des catholiques de la planète y vivent. « Pour autant, la région n’est pas perçue comme étant qualitativement la plus catholique au monde, même si elle l’est numériquement, nuance Cecilia Mariz, chercheuse en sociologie de la religion. Marqué par le syncrétisme avec les rites indigènes, et afro-brésiliens dans le cas du Brésil, sans parler de la religiosité populaire, le catholicisme en Amérique latine n’est pas très orthodoxe. Cela peut peser contre la région. »
Déclin. D’autres estiment que l’élection d’un pape latino-américain pourrait aider à endiguer le déclin du catholicisme dans la région, où il a perdu 10 % de ses fidèles depuis dix ans, au profit des Eglises protestantes néopentecôtistes. « l’essentiel n’est pas tant la nationalité du prochain pape que la capacité du catholicisme à répondre à la demande religieuse », souligne Cecilia Mariz.
Or la désaffection des fidèles montre que le catholicisme n’a pas été, jusqu’ici, à la hauteur. Au Brésil, qui compte le plus grand nombre de catholiques au monde (125 millions), ceux-ci ne représentent plus que 73,8 % de la population. Et seuls 12 % des catholiques sont réellement pratiquants.
Le nombre des évangéliques a quintuplé en trente ans, pour atteindre 15,4 % de la population. Soutenus par les Eglises protestantes américaines, les évangéliques, plutôt marqués à droite, sont très conservateurs sur le plan de la morale. Leur succès est principalement dû à l’essor spectaculaire des néopentecôtistes, regroupés en une multitude de congrégations. Alors que l’Eglise catholique est en proie à une pénurie de prêtres, rebutés par le célibat et la longueur de la formation, les néopentecôtistes, eux, forment des pasteurs à tour de bras. Largement implantés dans les milieux pauvres, ils ont gagné leur popularité en prétendant soulager les souffrances du quotidien « du mal de tête à la faim », selon le mot du sociologue Alexandre Fonseca et en défendant une « théologie de la prospérité », qui présente le succès financier comme conforme à la volonté divine.
A côté, l’Eglise catholique, qui relègue le salut à l’au-delà et prône le renoncement, fait pâle figure... Face à son déclin, elle a contre-attaqué, grâce au Renouveau charismatique, qui se répand un peu partout en Amérique latine. Encouragé par Jean Paul II, ce mouvement reprend les ingrédients du succès néopentecôtiste, comme le chant et le pouvoir guérisseur du Saint-Esprit. Le Renouveau charismatique compterait, selon les estimations de l’Eglise, près de 23 millions de fidèles au Brésil. « Il n’a pas permis d’inverser la tendance, mais il aide à contenir le déclin » de l’Eglise, juge Alexandre Fonseca.
« Rouge ». Les charismatiques constituent aussi une réponse à la théologie de la libération, à laquelle les conservateurs de l’Eglise imputent le déclin du catholicisme. Trop engagé dans le social, le clergé « rouge », très influent en Amérique latine dans les années 80, avant d’être décapité par Jean Paul II, en aurait oublié de répondre aux attentes spirituelles des gens, laissant le champ libre à l’adversaire protestant. Les adeptes de la théologie de la libération imputent au contraire le repli catholique à la croisade de Jean Paul II contre eux, notamment avec l’affaiblissement des communautés ecclésiales de base, ces associations de laïques liées aux diocèses engagées dans la lutte contre la pauvreté. Le Parti des travailleurs, au pouvoir, est largement issu de ce milieu, et le président Lula continue à revendiquer sa foi catholique.