Accueil > Empire et Résistance > « Gringoland » (USA) > La pauvreté dévoilée en États-Unis avec l’Ouragan Katrina
Por Jooneed Khan
La Presse. Canada, le dimanche 04 septembre 2005
Mardi, le lendemain du passage de l’ouragan Katrina en Louisiane, en Alabama et au Mississippi, le US Census Bureau publiait ses chiffres sur la pauvreté aux États-Unis : ces trois États avaient le taux de pauvreté le plus élevé du pays.
La nouvelle, une routine annuelle, est passée quasi inaperçue. Le rapport disait pourtant que la pauvreté avait augmenté pour la quatrième année consécutive, passant de 11,3 % en 2000 (31,6 millions de personnes) à 12,7 % en 2004 (37 millions), une hausse de 1,1 million par rapport à 2003.
Le Census Bureau précisait que la pauvreté chez les Noirs et les Hispaniques était « stable » à 24,7 % et 21,9 % respectivement, qu’elle avait augmenté de 8,2 % en 2003 à 8,6 % en 2004 chez les Blancs « non hispaniques », et diminué chez les Asiatiques, passant de 11,8 % à 9,8 %.
Et le nombre d’Américains privés d’assurance maladie passait à 45,8 millions, soit une augmentation de 800 000.
S’attarder là-dessus eut été négatif, voire anti-patriotique, de la part des médias états-uniens en cette ère de mondialisation menée par l’unique superpuissance de la planète, de fusions de firmes multinationales, de bulles boursières increvables, et de guerres lointaines contre les forces du Mal.
Surtout que le Census Bureau signalait aussi que l’économie continuait de croître pour la quatrième année consécutive. « Ces chiffres ne reflètent pas l’amélioration du marché du travail en 2004 », notaient des membres de l’administration Bush. Ni l’impact des réductions d’impôts consenties « , ajoutaient-ils.
D’un souffle, Katrina a levé le voile sur cette « face cachée de l’Amérique ». Les images télévisées de la détresse et de l’anarchie dans le sillage de l’ouragan ont déclenché une tempête politique sur les races et les classes aux États-Unis qu’on croyait tempérée depuis la révolution des droits civils des années 60.
La chronique de Maureen Dowd dans le New York Times avait pour titre, hier, « Les États-Unis de la honte ». Les gens sont en colère tant contre la lenteur des autorités à secourir les sinistrés que contre le fait que les pauvres, qui sont surtout des Noirs et privés de moyens de transport, aient été exclus des éventuelles mesures préventives des autorités.
Les démocrates sont revenus à la charge contre les politiques fiscales qu’ils jugent pro-riches de l’administration Bush, et des républicains en général. Les baisses d’impôts sont allées aux riches, qui n’en ont guère besoin, et les chiffres du Census Bureau montrent qu’elles n’ont pas stimulé l’économie comme la Maison Blanche l’avait prédit, ont déclaré plusieurs d’entre eux.
« On s’est rué, le 11 septembre 2001, au World Trade Centre à New York, symbole de la richesse et du pouvoir, mais on a ignoré les digues de La Nouvelle-Orléans, symbole du dur labeur de gens modestes », a dit hier le pasteur noir Joseph Lowry sur CNN. On s’est rué en Irak, qui a du pétrole, mais on a ignoré le Rwanda, qui n’en a pas « , a-t-il ajouté.
« Les laissés pour compte de la Louisiane, du Mississippi et de l’Alabama sont les plus pauvres des pauvres et ils n’ont pas les moyens de faire entendre leur voix comme les gens de New York ou de Californie », a estimé le Dr Kauser Akhter, de l’Islamic Society of North America.
Selon le Census Bureau, le taux de pauvreté l’an dernier était de 17,7 % au Mississippi (2,5 millions d’habitants), de 17 % en Louisiane (4,2 millions) et de 15,5 % en Alabama (4 millions).
Le seuil de pauvreté aux États-Unis, âprement controversé, se situe autour de 9000 $ par an pour un ménage d’une personne, plus 3000 $ dollars pour toute personne additionnelle.
Ces taux sont à comparer avec ceux du New Hampshire (5,7 %), du New Jersey (8,2 %), du Maryland et du Delaware (8,5 %), du Vermont et du Connecticut (8,7 %) et de Virginie (9,8 %).
Les 130 000 soldats qui combattent en Irak, comprenant une forte composante de Gardes nationaux, sont essentiellement des pauvres, Noirs, Blancs, Hispaniques, et les États comme la Louisiane, l’Alabama et le Mississippi en fournissent un nombre disproportionné- l’armée offrant un passeport vers un avenir meilleur.
Si l’administration Bush veut gérer de manière responsable un désastre d’une telle ampleur, elle doit adopter la voie du sacrifice national partagé, écrivait hier le New York Times en éditorial.
« Si elle se contente de quelques mesures d’urgence et retourne à ses baisses d’impôts (pour les riches), l’Amérique devra affronter le fait qu’elle est aux prises avec des dirigeants qui ne savent pas diriger, et qui s’en fichent », ajoutait-il.