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Par Jean-Jacques Sévilla
Pour Arminio Fraga, gouverneur de la Banque centrale du Brésil, c’est la faute à un "excès d’anxiété". A en croire cet ancien et performant gérant d’un fonds spéculatif du financier George Soros, la nouvelle flambée du dollar enregistrée depuis le début de la semaine est totalement imputable à l’humeur exécrable des investisseurs à l’approche de l’élection présidentielle du 6 octobre.
Mardi 24 septembre, le billet vert, en hausse de plus de 5 % sur la séance, à 3,78 reals, a en tout cas, pour la seconde fois en deux jours, atteint son plus haut niveau historique face à la devise brésilienne.
"L’HYSTÉRIE FORCÉE"
Il est vrai que les derniers sondages montrent de concert une avancée supplémentaire vers une victoire dès le premier tour de Luiz Inacio Lula da Silva, candidat du Parti des travailleurs (PT) et ancien leader syndical des métallos de Sao Paulo, ainsi qu’un tassement de la cote de son principal rival, José Serra, ex-ministre de la santé du président Fernando Henrique Cardoso et challenger préféré des milieux d’affaires. "C’est de l’hystérie forcée car honnêtement je pense qu’il n’y a aucune raison politique ou économique à un tel taux de change. L’"effet Lula", qu’il gagne au premier ou au second tour, a déjà été inclus dans le taux de 3,40 reals pour un dollar (la semaine dernière), et tout le reste est pure spéculation", déclarait lundi Maurice Costin, directeur des relations internationales de la puissante Fédération des industries de Sao Paulo (Fiesp).
La relation de cause à effet qui s’installe dans les médias, sous la formule de l’"effet Lula", entre l’ascension du chef historique du PT dans les sondages et celle, encore plus fulgurante, du dollar sur le marché des changes local commence d’ailleurs à attiser une polémique. Les conseillers économiques de Lula s’interrogent en effet - et se chargent de le faire bruyamment savoir - sur la "timidité" des interventions de la Banque centrale alors que les manœuvres spéculatives se déchaînent, alimentées par la crainte d’un moratoire sur la dette publique.
Arminio Fraga pratiquerait-il par omission, se demandent-ils tout haut, une "certaine forme de terrorisme" destinée à officialiser l’"effet Lula" et à épouvanter du même coup les électeurs ? Toujours est-il que le candidat du PT a mis, mardi, définitivement fin aux spéculations qui allaient bon train sur le possible maintien à son poste, en cas de victoire à la présidentielle et afin de rassurer immédiatement le marché financier, de l’actuel gouverneur de la Banque centrale. C’est ce que souhaitait notamment le sénateur du Parti libéral, formation de droite alliée au PT, José Alencar, candidat à la vice-présidence.
"PACTE DE TRANSITION"
A l’évidence, le "pacte de transition" récemment conclu entre M. Cardoso et les quatre principaux postulants à sa succession n’a aucunement calmé "l’excès d’anxiété" de ces deux derniers mois. Fondé sur l’engagement des candidats à respecter les termes de l’accord de quinze mois signé avec le Fonds monétaire international (FMI) et assorti d’un prêt de 30 milliards d’euros libérable en tranches jusqu’à fin 2003, celui-ci n’a visiblement pas produit les effets escomptés. Car aux risques de moratoire et de crise financière majeure s’ajoutent les retombées négatives d’un contexte international incitant tous azimuts au pessimisme. C’est du moins l’analyse partagée par les multinationales, lesquelles anticipent en urgence le transfert vers les maisons mères des bénéfices et dividendes des filiales brésiliennes en vue de se prémunir face à une éventuelle dérive incontrôlable du taux de change.
Alors que le FMI joue ses ultimes lambeaux de crédibilité sur le sauvetage du dernier en date de ses "élèves modèles", son patron, Horst Kohler, vient de déclarer que l’institution qu’il dirige "ne tournera jamais le dos au Brésil quoi qu’il arrive". Selon lui, il suffira que le successeur, "quel qu’il soit", de M. Cardoso se porte garant, dès sa prise de fonctions, de l’accord passé avec le Fonds pour que "la situation se normalise". Tout porte cependant à croire que le prochain président du Brésil va débuter son mandat sans droit à l’état de grâce.
Jean-Jacques Sévilla, correspondant du Monde
Le monde
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.09.02