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28 octobre 2002

La lutte continue

 

Le Pérou tente, sans trop y croire, d’exorciser ses horribles démons. Les guérillas du Sentier lumineux et du Tupac Amaru ont été vaincues, et leurs chefs capturés. Le dictateur Fujimori est en cavale, et Montesinos, son « Raspoutine », en disgrâce. Alejandro Toledo, aux traits amérindiens, occupe le Palais présidentiel de Lima jusqu’en 2006. Le Pérou est donc, enfin, réconcilié avec lui-même ?

Par Jooneed Khan, La Presse

Pas du tout, affirme Sofia Macher Batanero, sociologue, et ex-secrétaire exécutive de la Coordination nationale des droits humains. Mme Macher est aussi, justement, l’un des 12 membres de la Commission Vérité et Réconciliation du Pérou (CVR). Elle sait de quoi elle parle.

« Nous travaillons depuis janvier. En moins d’un an, nous avons recueilli 12000 témoignages de survivants et de proches de victimes des 20 années de lutte armée subversive et de guerre antiterroriste au Pérou. Nous en sommes à 50 000 à 60 000 morts. C’est le double du chiffre officiel admis jusque-là. Notre mandat se termine en juillet 2003, et je doute que nous arrivions au bout du compte », a-t-elle dit lors d’une causerie à Montréal.

« La guerre a aussi fait au moins 5000 disparus, entraîné 22000 détentions au terme de procès militaires sommaires, dont 2700 pour trahison, et forcé 600 000 Péruviens à se déplacer. Et si des chefs terroristes sont en prison, les responsables militaires vivent en toute liberté et en toute impunité », a poursuivi Mme Macher.

« Notre défi : comment mener à terme ce processus de retour sur ce passé de crimes et d’horreurs, et comment ouvrir des perspectives d’avenir basées sur la justice pour le Pérou - alors que la CVR ne dispose pas de pouvoirs judiciaires, que les causes structurelles de la subversion terroriste -pauvreté, inégalités, racisme- persistent, et que l’État péruvien est toujours aussi faible face aux forces armées », a-t-elle ajouté.

Sofia Macher siège également au conseil d’administration de l’organisme canadien Droits et Démocratie, qui avait organisé la conférence, jeudi soir. Une centaine de personnes étaient présentes, dont beaucoup de Péruviens réfugiés ou exilés à Montréal.

« J’ai vu la CVR au travail, j’ai été bouleversée par les témoignages », a dit Madeleine Desnoyers, responsable de Droits et Démocratie (DD) pour l’Amérique latine, qui présidait la causerie. « Jeune voyageur parcourant le monde, c’est au Pérou que, à l’âge de 19 ans, je fis l’expérience de la grande diversité humaine, et de mon premier coup d’État », confia Jean-Louis Roy, le nouveau directeur de DD, en présentant Mme Macher.

Très attentive durant la causerie, entrecoupée d’une vidéocassette de 20 minutes sur la CVR, l’assistance a défilé aux micros pour épingler, poliment mais sûrement, la « rectitude politique » de Mme Macher. Elle a mentionné une fois ou deux les causes socio-économiques de la violence, la pauvreté et le racisme.

Mais Lucas Cachay, un responsable régional de San Martin exilé depuis 10 ans à Montréal, a placé les affres péruviennes carrément dans le cadre des « 500 ans de génocide » postcolombiennes dans le Nouveau monde. Et Jacqueline Perez, de l’Équateur, a contesté le terme « terroriste » appliqué par Mme Macher aux combattants du Sentier lumineux et du Mouvement Tupac Amaru, qu’elle préfère qualifier de « révolutionnaires ».

La sociologue péruvienne a répliqué en affirmant que le Sentier lumineux du maoïste Abimaël Guzman avait torturé et massacré un grand nombre de paysans. Mais elle a admis que « la guerre au terrorisme » a servi de prétexte au régime Fujimori surtout (1990-2000), et aux Forces armées et constabulaires, pour détourner des fonds publics à une échelle massive, et pour torturer et massacrer en toute impunité.

« Il y a là des leçons à tirer pour la communauté internationale, surtout que la lutte contre le terrorisme est revenue en force après le 11 septembre 2001 », a-t-elle souligné. La CVR veut « individualiser et responsabiliser » les auteurs des crimes au Pérou, mais « le terrorisme » continue de germer sur le sol fertile de la pauvreté et de l’exclusion. Et les forces armées, et même des partis politiques, ne demandent pas mieux pour se consolider au pouvoir.

Cyberpresse

La Presse, Le samedi 26 octobre 2002

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