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13 décembre 2004

La grande peur de l’Occident face au développement de la Chine

 

Les Etats-Unis craignent de ne pas bénéficier de la croissance chinoise.

Par Pascal Riche
Liberation Washington , 9 décembre 2004

Chaque époque a droit à sa grande peur venue d’Extrême-Orient. Dans les années 50-60, c’était le « péril jaune », sept cents millions de Chinois, et moi et moi et moi. Dans les années 80, « l’étreinte du samouraï » : le Japon croquait des gratte-ciel à New York, des studios à Hollywood, inondait le marché automobile, innovait... Aujourd’hui, c’est « le tigre dopé aux stéroïdes », pour reprendre une expression de Charlene Barshevsky, l’ancienne représentante au Commerce sous la présidence de Bill Clinton. La Chine s’est réveillée et elle envahit les rayons des grands magasins de jouets, vêtements, télés, réfrigérateurs, vaisselle, appareils photo, lampes... Elle rachète même des entreprises, devient créancière de l’Etat fédéral américain et menace de se muer en superpuissance. Au rythme de croissance actuel, elle sera la première économie du monde dans dix ans.

Perdants et gagnants. Tour à tour, les magazines économiques lui consacrent leur une. Le mois dernier, The Economist titrait sur l’essor des régions intérieures du pays. Ce mois-ci, c’est Business Week qui mettait en garde ses lecteurs. « Les trois mots les plus effrayants dans l’industrie américaine : "le prix chinois" », claironnait la une du magazine. Avec cette explication en sous-titre : « Baissez vos prix d’au moins 30 %, ou perdez vos clients. Presque toutes les entreprises industrielles sont vulnérables. Résultat : un changement massif du pouvoir économique est en cours. » La Chine est au coeur du débat politique. Les républicains invoquent son agressivité commerciale pour justifier le déficit extérieur qui se creuse ; les démocrates accusent l’administration Bush de ne rien faire pour empêcher les délocalisations et les pertes d’emplois.

A observer le développement chinois, de nombreux économistes commencent à perdre leur latin. Jusque-là, ils s’en tenaient à ce qu’on apprend dans les manuels d’économie : le libre commerce est bénéfique pour tout le monde. Comme l’a théorisé David Ricardo au début du XIXe siècle, si chacun se spécialise là où il est le meilleur, tout le monde en profitera, grâce au commerce. Avec ses très bas salaires, la Chine rafle certes des marchés dans le textile ou l’électronique, ce qui détruit des millions d’emplois dans ces secteurs en Occident ; mais en se développant rapidement, elle participe à la croissance des pays industriels, qui peuvent créer des emplois plus qualifiés. Ce raisonnement, considéré comme l’un des plus solides de la théorie économique, se fissure. Car la Chine, et l’Inde, créent aussi des emplois dans les domaines où Américains et Européens pouvaient prétendre avoir un « avantage comparatif » : la programmation informatique, l’ingénierie, la recherche...

Le très respecté prix Nobel d’économie Paul Samuelson, 89 ans, a lancé le débat. Dans un article publié cet été dans le Journal of Economic Pespectives, il se demandait si le développement de la Chine bénéficierait vraiment aux Etats-Unis. Car elle est, comme l’Inde, à la fois une nation à bas salaires et à haute technologie. L’article a agité le landerneau global des économistes. Au coeur du débat, la question est de savoir si, dans un monde complètement globalisé, la « spécialisation nationale » décrite par Ricardo a encore un sens. Grâce aux liaisons à haut débit, la plupart des travaux « de matière grise » peuvent être assurés n’importe où dans le monde. Plus personne, du bas en haut de l’échelle des salaires, ne semble plus être à l’abri d’une compétition salariale. Certains économistes se demandent si, au final, on ne risque pas de déboucher sur une masse de perdants (tous les salariés) et une poignée de gagnants (les actionnaires des multinationales)...

Monnaie « manipulée ». En attendant, la grande peur de la Chine se cristallise sur le taux de change du yuan. Les Etats-Unis comptaient sur la baisse du dollar pour résoudre leur déficit extérieur : elle devait favoriser les exportateurs américains et renchérir les prix des produit importés. Mais Pékin a lié sa monnaie au dollar, ce qui rend difficile l’ajustement désiré et envenime les relations entre les deux pays. « Le développement de la Chine ne profite pas aux Etats-Unis : il leur coûte très cher, parce que la Chine manipule sa monnaie », accuse Peter Morici, professeur à l’université du Maryland, qui a calculé, dans une récente étude, que cette « manipulation » coûterait à l’économie américaine 500 milliards de dollar (376 milliards d’euros) par an. « Cela excède largement les bénéfices tirés du libre commerce », dit Morici, pour qui cette manipulation des taux de change rend inefficace la théorie ricardienne. Selon lui, la baisse artificielle du yuan représente « 9 % du PIB chinois et 21 % de ses exportations, soit la plus grande subvention au commerce de tous les temps ».

Les autorités américaines ne sont pas loin de partager cette analyse. Depuis trois ans, elles grognent de plus en plus bruyamment contre Pékin. Mais les Chinois jusqu’à présent temporisent. Hier, lors d’une conférence de presse à La Haye, à l’occasion d’un sommet Chine-Union européenne, le Premier ministre Wen Jiabao a promis que son pays « irait progressivement vers un taux de change plus flexible », mais sans préciser l’échéance : il s’agit d’un « processus complexe », a-t-il expliqué.

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