Accueil > Empire et Résistance > La fin de l’ère du pétrole. Et maintenant ?
Par Robert Bermejo
Rebelión, 5 octobre 2004
Le 4 décembre 2003 The Economist publiait à la une le titre suivant : " Fini l’ère du pétrole ". Cet article est un de plus dans l’avalanche de ceux parus cette année dans la presse financière du monde, avec des positions chaque fois plus enclines à cette thèse. Mais il convient de clarifier d’entrée que la fin de l’ère du pétrole ne veut pas dire que celui-ci soit fini, mais que nous sommes entrés dans une situation de pétrole cher, qui va s’aggraver, surtout, quand on atteindra le plafond d’extractions. Et celui-ci dépend des réserves existantes et du rythme de consommation.
A propos des réserves de pétrole, il existe deux positions. La première, basée sur l’étude de l’année 2000 de l’US Geological Survey (USGS), soutient qu’il n’y aura pas de problèmes d’approvisionnement, au moins, jusqu’à 2030, d’après des estimations très optimistes sur les réserves existantes. La majeure partie des gouvernements, y compris celui des Etats-Unis et de l’Union Européenne, et, dans des grandes lignes, l’Agence Internationale de l’Énergie (organisation créée pour promouvoir l’utilisation du pétrole), acceptent les thèses de cette étude, qui rompt avec la tendance traditionnelle modérée de l’USGS.
La seconde position rassemble beaucoup de géologues qui ont fréquemment occupé des postes exécutifs dans le secteur pétrolier ou qui se consacrent à l’enseignement universitaire. Les membres européens de ce groupe sont réunis dans l’Association for the Study of Peak Oil (ASPO), dont les objectifs sont d’étudier les réserves existantes et leur épuisement et de sensibiliser la conscience des gouvernements et des citoyens pour qu’on prenne des mesures.
Cette position dispose du soutien des études les plus larges effectuées : le rapport Global 2000, publié en 1980 demandé par le président Carter ; l’étude World Oil Supply 1929-2050 ; celui effectué par Petro consultants de Genève en 1995 (qui analyse les 10.000 gisements existants) ; et celui effectué par 65 consultants, compagnies de pétrole et autres organismes.
Ces rapports estiment que les réserves sont une tierce inférieure à celles défendues par l’USGS. Les réserves calculées par l’ASPO sont semblables à celles des études précédentes. Ces experts critiquent le manque de rigueur de l’étude de l’USGS et basent leurs études sur la théorie de Hubbert et sur une analyse sur plus de trente ans du comportement des pays pétroliers, dont la plupart a déjà dépassé ses plafonds. Ce géologue a prédit durant les années cinquante et contre l’avis général que le plafond d’extractions des Etats Unis serait atteint au début des soixante-dix ; et cela s’est produit en 1971. Sa théorie se base sur le fait que les courbes de découvertes de nouveaux gisements et d’extractions ont une forme de cloche. Quelques décennies après que la première courbe atteint le plafond, de même, la seconde courbe, descend en accroissant le déséquilibre entre consommation et le pétrole nouveau.
La courbe mondiale de nouvelles découvertes a atteint son plafond en 1964, et depuis lors a suivi une tendance fortement décroissante. La version de cette courbe d’Exxon, la plus grande compagnie pétrolière du monde, est égale que celle de l’ASPO. Depuis 1976 on n’a pas découvert de gisements gigantesques, et les découvertes des grands gisements tendent vers zéro. En 2000 on en a découvert 16 ; 8 en 2001 ; 3 en 2002 et aucuns en 2003.
À partir de 1981 la consommation dépasse le pétrole nouveau, et maintenant les experts révèlent que, pour chaque baril consommé, un seul vient de nouvelles découvertes. Chevron-Texaco calcule que 4 sur 10 barils consommés sont nouveaux. Le rythme actuel de découvertes est un quart de celui prévu dans l’étude de l’USGS pour la période 1995-2025.
D’autre part, la consommation croît beaucoup. Pour 2003 l’Agence Internationale de l’Énergie pronostiquait un accroissement de la consommation de 220.000 barils quotidiens, et il a été de 1.4 million. Pour cette année, elles prévoit une augmentation de 2 millions, jusqu’à arriver à 82 millions de barils quotidiens. Donc le plafond d’extractions n’est pas loin. L’ASPO a estimé que celui-ci serait atteint en 2010, mais il l’a avancé à 2006 à cause de l’accroissement de la consommation, bien qu’il admette que sa courbe d’extractions sera pratiquement plate entre 2005 et fin de décennie. Bakthiari, directeur de planification de la compagnie pétrolifère étatique iranienne le situe en 2007, et Simmons, membre de la Commission d’Énergie des Etats Unis et propriétaire d’une importante société d’investissements en énergie, croit qu’il peut c’est produir à tout moment.
Lors de la III ème Conférence Mondiale sur le ’plafond du pétrole’, tenue en mai et organisée par l’ASPO, ont débattu des représentants des principales entreprises pétrolières, comme l’Agence Internationale de l’Énergie, celle du Gouvernement des Etats Unis, la compagnie étatique saudí (ARAMCO), etc..., et des centaines d’experts. Selon Roger Herrera, qui s’exprimé dans la revue Petroleum News, "on doit conclure que les David (les experts) ont été les gagnants, mais ce n’est pas fondamental que le tempo soit correct, parce que il faudra faire quelque chose pour faire face au jour d’après le ’plafond du pétrole’.
Les compagnies pétrolifères font face à des difficultés croissantes pour satisfaire la demande. En 2003 BP, Shell et Chevron-Texaco ont annoncé la réduction de leurs traditionnels objectifs élevés de production. L’accroissement des prospections manquées met quelques compagnies en difficultés financières, c’est pourquoi elles sont absorbées, souvent, par d’autres. Celles-ci parviennent ainsi à augmenter leur capacité qu’elles ne peuvent pas atteindre avec leurs ressources propres. BP a absorbé Amoco et Arc, Exxon à Mobil, Chevron à Texaco, etc... Cette situation a été mise en évidence de manière dramatique quand Shell a annoncé cette année une réduction de 22% de ses réserves, ce qui a eu comme effet que de nombreuses petites compagnies fassent la même chose.
Devant ces difficultés, les entreprises ne peuvent pas dire qu’elles font face à une pénurie structurelle, parce que leurs actions seraient descendues. Il s’ensuit qu’elles affirment généralement qu’il est nécessaire d’investir beaucoup plus. Exxon estime que pour satisfaire la demande en 2010, il sera nécessaire d’investir un milliard de dollars. Mais personne n’est disposé à contribuer à la réalisation d’un tel niveau d’investissement, comme le constate une étude de Petroleum Review (janvier 2003). Au contraire, beaucoup de ces entreprises réduisent leurs investissements en pétrole pour se consacrer à d’autres domaines (hydrogène, énergies renouvelables, etc....). Selon Robert Anderson, précédent directeur d’Arc, cette situation "est le coucher de soleil de l’industrie, et le soleil est réellement bas dans le ciel ".
Quelques gouvernements commencent à réagir. Le Conseil danois de la Technologie a tenu une conférence internationale sur le ’plafond du pétrole’ en décembre 2003, dans un programme d’études sur l’épuisement du pétrole et ses conséquences. L’Afrique du Sud étudie aussi le problème, et l’Australie Occidentale a décidé de parier sur une économie solaire, en arrivant à la conclusion que nous sommes près du plafond.
Krugman, considéré comme l’économiste le plus influent de sa génération, constate que la demande croît et que les nouvelles découvertes diminuent. Donc "la collision entre la demande mondiale augmentant rapidement et une offre mondiale limitée, est la raison pour laquelle le marché du pétrole est tellement vulnérable". Pour cette raison, "nous nous devrons adapter" à une ère de pétrole cher (The New York Times, 4.V. 2004).
Mais, une fois qu’on a atteint le plafond, le pétrole sera extrêmement cher, surtout s’il n’y a pas une coordination internationale pour gérer la transition vers une économie solaire. Une idée de l’ampleur nous la donne par ce qui s’est produit dans les crises du pétrole. Le 19 octobre 1973 le baril a monté de 3 à 5 dollars, et pour Noël avait atteint les 11.65 dollars (aujourd’hui à 52 dollars au 7 oct. 2004). La cause fut un déséquilibre de 5% entre l’offre et la demande. Entre 1975 et 1980 le baril a monté de 7 à 35.69 dollars (aujourd’hui à ?? dollars au 7 oct. 2004).
* Robert Bermejo est Professeur de l’UPV et membre de Bakeaz
Traduction de l’espagnol por El Correo : Estelle et Carlos Debiasi