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22 février 2006

La difficile réinsertion des 22.000 paramilitaires d’extrême droite démobilisés en Colombie

 

Par Marie Delcas
Le Monde
Bogota, 20 février 2006

Jeyson tire la langue pour copier, de son écriture maladroite, l’énoncé de l’exercice. Son voisin, Alberto, dit "Petit-Chauve", va deux fois plus vite. "C’est lui qui commandait, avant", chuchote Jeyson. "Avant", quand ils étaient des miliciens paramilitaires des Autodéfenses unies de Colombie (AUC)... Démobilisés, les deux hommes suivent les cours dispensés dans le cadre du programme officiel de réinsertion. "La vie civile, c’est trop bien", jubile Jeyson. Il veut conduire un camion et jure ses grands dieux qu’il ne reprendra jamais les armes. Chaîne en or autour du cou, Alberto en est moins sûr : "Si le gouvernement ne tient pas ses promesses, qui sait comment tout cela finira ?", dit-il.

Plus de 22.000 combattants des AUC ont déjà déposé les armes. Alors que l’armée peine à vaincre la guérilla d’extrême gauche, le désarmement négocié des groupes paramilitaires d’extrême droite apparaît comme le fleuron de la politique sécuritaire du président Alvaro Uribe (droite), qui devrait être confortablement réélu le 28 mai, à en croire les sondages. Toutefois, le rapport annuel du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, publié le 13 février, constate que le processus engagé avec les AUC n’a pas mis un terme à leurs exactions. L’ONU dénonce "les liens entre certains membres de la fonction publique, notamment des forces armées, et les groupes paramilitaires" et s’inquiète des pressions exercées par les AUC sur l’administration publique et la politique. Adoptée en juillet 2005, la loi dite de "justice et paix" fixe une peine maximale de huit ans pour les démobilisés, alors que certains sont coupables de crimes atroces.

"Sans pardon, point de paix", rappelle Luis Carlos Restrepo, responsable de la politique de paix auprès du président Uribe. L’ancien milicien Alberto confirme : "Quel est le con qui va rendre les armes, si c’est pour finir ses jours en prison ?" Lui se dit "peinard : parce que la justice n’a rien contre moi". Mais la plupart des chefs des AUC sont réclamés par la justice américaine pour trafic de drogue. M. Uribe a promis d’user de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas extrader vers les Etats-Unis ceux des chefs paramilitaires "qui se conduisent bien".

"La démobilisation de 20.000 hommes reste une bonne chose", considère Sergio Jaramillo, directeur d’une organisation civile pour la paix, qui ajoute : "Il y a trois ans, un certain nombre de chefs paramilitaires n’avaient pas la moindre intention de démobiliser. Ils s’y trouvent maintenant contraints." Le gouvernement considère que "de 3.000 à 6.000 paramilitaires" doivent encore rendre les armes.

Moyens insuffisants

Cependant, le nombre d’armes récupérées est inférieur de moitié au nombre de démobilisés. "Une même arme était souvent partagée par deux ou trois combattants", justifie Jeyson, reprenant l’argument de ses chefs. Mais d’aucuns soupçonnent les paramilitaires d’avoir caché une partie de leur arsenal en prévision de lendemains difficiles. "Plus grave : les paramilitaires n’ont pas livré le gros de leurs équipements de transport et de communication, essentiels pour réactiver un réseau", note un haut fonctionnaire.

Précipitation, manque de coordination institutionnelle, moyens insuffisants : un certain scepticisme règne également à propos du programme de réinsertion. M. Restrepo lui-même en a publiquement dénoncé les carences. "Ni la société ni l’Etat n’étaient prêts à relever le défi de la réincorporation de 20.000 combattants", admet-on à la présidence.

Le secteur privé ne montre pas un grand empressement pour embaucher des démobilisés. Or, seuls les paramilitaires qui ont des comptes à rendre à la justice restent assignés à résidence dans des zones rurales réservées à cet effet, en attendant l’application de la loi "justice et paix". La plupart des miliciens ont d’ores et déjà retrouvé la liberté. Comme Jeyson et Alberto, ils bénéficient d’une pension mensuelle de 400.000 pesos (150 euros) pendant dix-huit mois. Les programmes de formation mis en place doivent alors leur permettre de subvenir à leurs besoins.

Du haut de ses 26 ans, Elsy Luz Gomez, psychologue, tente d’inculquer à sa classe de démobilisés quelques rudiments d’éducation civique. "Ce n’est pas facile, dit-elle : ces tueurs, qui se sont toujours baladés avec une arme à la ceinture, ne savent pas ce que c’est que de faire la queue, d’écouter les arguments de son voisin ou de gagner honnêtement sa vie. La plupart d’entre eux n’ont pas fini l’école primaire."

Menue au milieu de ses élèves baraqués et balafrés, elle dit n’avoir jamais eu de problème à imposer son autorité : "Je suis la maîtresse et ils me respectent". Elsy Luz veut croire que "ces mômes vont s’en sortir", mais s’inquiète de les voir trop prompts à tendre la main : "Habitués à tout monnayer, les "paras" attendent désormais tout du gouvernement." De temps en temps, elle prend la peine de leur rappeler, avec le sourire : "Vous n’êtes pas des victimes, et vous avez été des bourreaux."

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