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« Modell Deutschland »
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L’Allemagne, qui est parvenue l’une des dernières au grand démontage du pacte social d’après-guerre, est à l’avant-garde du changement involutif du régime qu’impose l’austérité.
L’Allemagne veut que la Grèce cède le peu qui reste de sa souveraineté financière à un « commissaire européen » comme condition pour lui octroyer la deuxième aide de 130.000 millions d’euros, informe aujourd’hui [28/01] le « Financial Times » depuis Bruxelles.
À la veille du sommet sur l’eurocrise de lundi prochain, le quotidien cite un document, en sa possession, du gouvernement de Berlin.
Le commissaire européen aurait le pouvoir pour superviser, « les principaux chapitres de la dépense » publique grecque, souligne le document.
Jeudi, tandis qu’Angela Merkel recevait Mariano Rajoy à Berlin, l’éloquent chef du groupe parlementaire de l’Union Démocrate Chrétienne (CDU), le parti de la chancelière, Volker Kauder, mentionnait déjà l’opportunité de ce qui est signalé dans le document divulgué par le « Financial Times » : substituer le gouvernement grec par un « commissaire » européen, et s’il était nécessaire, « envoyer des fonctionnaires allemands qui aident dans la construction d’une administration financière qui fonctionne ».
Un nouveau tour de vis
Kauder l’a dit dans un entretien avec Der Spiegel. « La pression sur la Grèce doit augmenter, il faut bien faire comprendre aux grecs qu’il y aura seulement de l’argent si le pays se conduit de manière stricte, s’il est nécessaire avec un commissaire d’État envoyé par l’Union Européenne ou les états de l’euro », a-t-il dit.
La possibilité d’envoyer à Athènes des fonctionnaires allemands pour qu’ils apprennent aux grecs à s’administrer, n’est pas de Kauder, mais du ministre de l’Économie Philipp Rösler, mais celui-là la faite sienne.
Kauder s’est déjà rendu célèbre en novembre quand lors du congrès de la CDU célébré à Leipzig, il s’est vanté du fait qu’ « en Europe on parle allemand », au milieu de l’applaudissement de ses collègues du parti.
Peu de jours après, l’ex-chancelier fédéral Helmuth Schmidt, une personne honorable au pedigree d’européen convaincu, a qualifié cette déclaration de « bravade nationale allemande », dans un discours mémorable dans lequel il a expliqué le b.a ba de l’histoire européenne à la nouvelle classe politique allemande.
Schmidt a prévenu du danger de dissolution que représente pour l’Union Européenne d’opposer un centre et une périphérie avec ce type de discours.
La Grèce a déjà un Premier ministre qui n’a pas été élu au suffrage universel, Lukas Papadimos, qui a été imposé par l’axe Berlin - Bruxelles, après que la thérapie de choc appliquée par Yorgos Papandreu, basée sur l’introduction de très drastiques coupes sociales et le fait de préserver l’intérêt des banques impliquées dans la dette hellénique, aggravant encore plus la dette grecque.
Papadimos, ex-vice-président de la banque Centrale Européenne (BCE), a été nommé à son poste pour approfondir cette ligne. Avant de passer par Francfort, au siège de la BCE, Papadimos avait été gouverneur de la Banque Centrale Grecque, entre 1994 et 2002, étape de comptabilités obscures et de relation étroite avec la banque d’investissement Goldman Sachs. Ce que suggère le document du gouvernement allemand, révélé aujourd’hui, c’est quelle que soit sa portée, encore un tour de vis de la même politique qui asphyxie la société grecque, spécialement les classes moyennes et basses de ce pays. Mais sa logique profonde est le changement de régime et transcende la Grèce.
Le « changement de régime »
Le « changement de régime » (« regime change »), le changement d’un régime par un autre, était habituellement un concept associé aux projets des faucons impériaux des États-Unis dans leurs bras de fer militaires avec divers régimes hostiles ou indépendants sur toute la planète. C’est historiquement un concept de grande tradition européenne, à l’époque coloniale, et après la décolonisation. Agité par l’Allemagne, le concept apparaît maintenant depuis le centre de l’Union Européenne, appliqué aux pays de sa périphérie. Le résultat est une dévaluation démocratique, certains de ces mouvements significatifs se produisent maintenant avec la perte manifeste de souveraineté qui est vécue dans cinq pays de la zone euro (et dans beaucoup de pays encore plus faibles et dépendants de l’Est de l’Europe) au nom d’une une « démocratie conforme au marché ».
Ce concept (« Marktkonforme Demokratie ») Angela Merkel l’a frappé ce 1er septembre dans un entretien avec la chaine de radio publique allemande Deutschlandfunk. Elle a dit que, « nous vivons dans une démocratie parlementaire et, c’est pourquoi la confection du budget est un droit basique du Parlement, malgré cela nous allons trouver des voies pour la transformer de telle manière qu’elle puisse concorder avec le marché ».
Depuis ce temps-là le concept de « démocratie conforme au marché » triomphe en Allemagne. Il a été déclaré troisième « mot de l’année » par une initiative de la Société de la Langue Allemande (GfdS), qui a critiqué en rappelant que, « la démocratie est une norme absolue incompatible avec toute conformité ». À la page électronique du SPD, le parti social-démocrate allemand, on lit qu’un tel concept, « signifie seulement que ce ne sont déjà plus les citoyens qui doivent déterminer les choses en tant qu’électeurs, mais les spéculateurs, les marchés financiers, les hedge funds et les banques ».
Le « Marktkonforme Demokratie » est un concept allemand pour le changement de régime, et puis donc, par la voie du « pacte fiscal » et de la « règle d’or » (limite de dépense fixée constitutionnellement), le dogme néolibéral se fait une loi fondamentale. Toute politique neokeynesienne qui aspire à donner à l’État un rôle financier actif reste interdite par la constitution.
C’est une étape importante, une fin, dont le nouveau livre de l’historien illustre catalan Josep Fontana, « Por el bien del Imperio », explique qu’elle a commencé à être imminente à la fin des années soixante-dix, quand a commencé, d’abord aux États-Unis et ensuite au Royaume-Uni, le déblaiement du pacte social d’après-guerre qui est dans l’identité de « l’Europe sociale ».
L’Allemagne qui est arrivée en retard à ce processus –a commencé à l’embrasser après la réunification de 1990, la RDA morte elle qui a tant inspirée le capitalisme social de son « Modell Deutschland » - est maintenant le porte-drapeau de quelque chose qui ressemble à un changement de régime en Europe. Ses conséquences sont imprévisibles : Tant un 1848 rebelle, qu’un retour à l’Europe brune et d’extrême droite de 1930.
La Vanguardia. Barcelone, le 28 janvier 2012.
Titre original : « Un document allemand demande un commissaire pour la Grèce. »
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
El Correo. Paris, le 29 janvier 2012.