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Par Alain Faujas et Philippe Ricard
Le Monde. Paris, 24 janvier 2007.
En pleine campagne électorale la France fait tout, contre l’avis de la présidence allemande de l’Union européenne, pour dissuader Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, d’aller de l’avant dans les négociations de libéralisation des échanges au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Au moment où l’Union et les Etats-Unis tentent de relancer le cycle de Doha suspendu en juillet 2006, Christine Lagarde, la ministre déléguée du commerce française, devait rencontrer le commissaire, mardi 23 janvier, à Bruxelles, pour l’avertir contre toute concession précipitée qui mettrait à mal l’unité européenne.
M. Mandelson et ses services ont multiplié, ces dernières semaines, les contacts avec les Américains afin de débloquer des négociations qui sont dans l’impasse faute de compromis dans le domaine agricole, les services et les produits industriels. Sans croire à une percée imminente, les différentes forces en présence - Etats-Unis, Europe, ainsi que les pays émergents conduits par l’Inde et le Brésil - veulent profiter du forum de Davos, cette semaine en Suisse, pour tenter de fixer une feuille de route pour boucler le cycle d’ici à la fin de l’année.
A moins de trois mois de l’élection présidentielle, il n’est pas question pour les responsables français de baisser la garde. Les candidats restent très prudents en matière de réforme de la politique agricole commune, alors qu’un accord à l’OMC pourrait conduire à une nouvelle réforme en profondeur de celle-ci.
Paris considère comme un casus belli, selon un expert, les rumeurs circulant à propos d’un éventuel compromis avec les Américains, portant sur la réduction de 54 % des tarifs douaniers agricoles, et le plafonnement à 17 milliards de dollars des subventions américaines les plus anticoncurrentielles. Les Français s’en tiennent à ce stade à la dernière offre officielle faite en octobre 2005 par la Commission : une réduction de 39 % en moyenne des droits de douanes prélevés sur les produits agricoles aux frontières de l’Union. Avant même la suspension des négociations, Jacques Chirac, qui suit toujours le processus de près, avait menacé de mettre son veto à tout accord susceptible de remettre en cause la politique agricole commune.
"C’est toujours l’Europe qui fait les premiers pas et formule les meilleures offres, a déclaré au Monde Christine Lagarde avant de se rendre à Bruxelles. Pour que la situation se débloque, il faudrait que les Etats-Unis changent significativement de position, mais la situation n’est pas encore stabilisée chez eux depuis leurs élections législatives. En tout état de cause, les chiffres sur les concessions qui seraient faites par les négociateurs européens, selon des sources anglo-saxonnes, me semblent improbables et rendraient le mandat de négociation impossible."
Pour calmer le jeu, les négociateurs européens tentent de temporiser. M. Mandelson a indiqué au Monde être "prudemment optimiste" : "une fenêtre d’opportunité étroite existe d’ici à Pâques", à condition que les Etats-Unis et les pays émergents bougent aussi, dit-il. Ses proches considèrent que les rumeurs sur l’imminence d’un compromis sont à ce stade tout simplement "fausses". Mais ils reconnaissent que la proximité des élections françaises est un handicap dans le jeu de l’Union. "Si le sujet s’installe dans la campagne, cela risque de compliquer les choses", dit-on à Bruxelles.
La présidence allemande devrait jouer un rôle crucial. Le 5 janvier, lors d’une visite à Washington, Angela Merkel a indiqué à George Bush qu’elle souhaitait que le cycle de Doha aboutisse. Deux jours plus tard, à Berlin, elle rencontrait Pascal Lamy, le directeur général de l’OMC, afin d’étudier la façon de débloquer les négociations. L’Allemagne dépend à 40 % de ses exportations, en particulier vers les pays émergents. Elle a donc tout intérêt à un accord le plus rapide possible. "Les décisions qui nous intéressent se prennent à la majorité qualifiée ; la France ne pourra pas s’opposer à une avancée le moment venu", indique une experte, sans se laisser impressionner par les menaces de veto français.
"Les discussions avancent sur le plan technique, mais nous ne sommes pas sur le point d’avoir un accord", indique une source proche des négociateurs, à Genève.
Après un éventuel compromis entre les Etats-Unis et l’Europe, en mars, selon le scénario privilégié à ce stade, viendra le temps d’un accord avec l’Inde et le Brésil, aujourd’hui incontournables à l’OMC. S’il espère toujours un accord avant la fin de l’année, M. Lamy ne compte pas convoquer une nouvelle réunion ministérielle avant d’être presque sûr qu’elle pourra déboucher sur un succès.
Un cycle dans l’impasse
– L’Organisation mondiale du commerce (OMC) a pris en 1995 la succession du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) fondé en 1947 pour organiser et faciliter le commerce mondial. Elle est un cadre de négociations et de résolution des conflits pour ses 150 membres qui décident à l’unanimité. Son directeur général est le Français Pascal Lamy.
– Suspendu depuis juillet 2006, le cycle de Doha avait été lancé en novembre 2001 au sein de l’OMC pour libéraliser les échanges mondiaux. Lancé deux mois après le 11-Septembre, il était censé soutenir aussi les pays en développement, en procurant à leurs produits agricoles de nouveaux débouchés.
– Le cycle est dans l’impasse, car les trois principales forces divergent sur les grandes questions à l’ordre du jour : les Etats-Unis hésitent à réduire les subventions agricoles qui faussent la concurrence mondiale ; les Européens sont peu enclins à baisser leurs droits de douanes agricoles ; les pays émergents, sous la houlette de l’Inde et du Brésil, exigent une libéralisation des échanges agricoles en préalable à l’ouverture de leurs marchés industriels et des services.
Article paru dans l’édition du 24.01.07.