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Par Mabel González Bustelo
AIS, 3 janvier le 2005
La réunion de donateurs internationaux à la Colombie, tenue à Cartagena de Indias, le 2 et 3 février 2005, est un nouveau défi pour que l’Union Européenne (UE) définisse une stratégie propre vis à vis de ce pays, différenciée de celle des Etats-Unis.
En ce moment, le principal point de débat porte sur le processus de démobilisation des paramilitaires de l’Autodefensas Unidas de Colombia (AUC), qui négocie avec le Gouvernement d’Álvaro Uribe. Il s’agit d’un élément clef dans la stratégie du président colombien pour susciter un appui international et cela fut approuvé, avec des réticences, par les USA, mais a généré une grande inquiétude quant à la possibilité d’impunité pour des groupes et individus responsables de violations graves des droits de l’homme.
L’UE a maintenu une position distante et ne s’est pas engagée par son appui. Mais quelques Gouvernements européens l’ont fait postérieurement, et depuis quelques secteurs on craint que l’Europe recule des leur position traditionnelle vers le conflit colombien afin de chercher un rapprochement à Washington, après les tensions et les désaccords suscités par l’invasion de l’Irak et devant la réélection de George W Bush. De ce point de vue, la Colombie ne serait pas assez importante pour ouvrir un nouveau "front" dans les relations transatlantiques.
La stratégie d’Álvaro Uribe pour demander un appui international se base sur la présentation des succès de sa politique de "sécurité démocratique" et des avances obtenues dans la défaite et la démobilisation des groupes armés et dans la construction de l’État de droit en Colombie. En cela, la démobilisation des combattants des AUC (3.000 du même bord que Uribe ce sont rendus l’année passée) est un atout clef, parce qu’elle signifierait restituer à la vie civile un des acteurs du conflit avec davantage de responsabilités dans les violations des droits de l’homme.
Toutefois, des organisations droites de l’homme colombiennes et internationales, et des instances comme la Cour Interaméricaine de Droits Humains, ont exprimé leur préoccupation quant à l’absence d’un cadre légal qui garantit aux victimes le droit à la vérité, la justice et la réparation, ce qui peut consacrer l’impunité. En, les paramilitaires ne sont pas disposés à rendre les biens obtenus pendant des années d’enrichissement illicite, basé sur l’utilisation de la force et sur l’expropriation (et le déplacement de populations indigènes), ainsi que par leur participation directe au trafic de drogues.
"Guerre globale antiterroriste"
Uribe a trouvé un appui ferme dans l’Administration américaine pour sa politique de force. Après le 11-S, Washington a encadré le conflit colombien dans sa "guerre globale antiterroriste" et celui-ci est devenu considéré comme un problème du terrorisme, en laissant à un second plan d’autres facteurs. Cette stratégie est partagée par le gouvernement d’Uribe qui considère que la Colombie ne souffre pas d’un conflit armé, mais qu’il s’agit d’un Gouvernement légitime qui combat des narco-terroristes. La Colombie est déjà le troisième bénéficiaire mondial d’aide militaire américaine, après l’Israël et l’Egypte, avec plus de 3.500 millions de dollars depuis l’an 2000. Cette tendance continuera parce que la Colombie est un pays clef pour Washington et parce que c’est la réponse à l’alignement d’Uribe avec les positions américaines (ce fut le seul gouvernement latino-américain à soutenir l’invasion de l’Irak et a exempté les citoyens américains de la juridiction de la Cour Pénale Internationale sur son territoire).
Washington a exprimé (dans son éternelle dualité) sa préoccupation parce que la démobilisation des paramilitaires, telle qu’elle est posée, peut signifier l’impunité pour des narcotrafiquants puissants et minerait ainsi la légitimité politique de sa politique antidrogue. Toutefois, et bien qu’on n’ait pas obtenu d’avancées en ce sens, en 2004, le gouvernement US a apporté deux millions de dollars pour ce processus.
Cette année, ce sera plus de trois millions, conditionnés à un cadre légal adéquat et à l’engagement des membres des AUC de respecter la cessation d’hostilités et ne pas développer à nouveau d’activités illicites. Ces garanties ne sont pas visibles et, si ceci n’est pas exigé avec la fermeté nécessaire, les fonds pourraient contribuer à aggraver la situation.
Droits de l’homme
Tout ceci entraîne des problèmes pour l’Union Européenne. Uribe prétend obtenir en Europe un appui politique et économique et qu’on cesse de mettre en question sa politique sur la situation des droits de l’homme.
La position de l’UE, depuis des années, et comme elle l’a manifesté dans de nombreux documents, était que la sortie au conflit colombien serait seulement possible par le dialogue politique et la négociation. Ceci s’est traduit, par exemple, par un appui au processus de paix qu’a mené à bien le président précédent, Andres Pastrana, avec les Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie (FARC).
Toutefois, les contradictions internes au sein mêmes de l’UE et la difficulté d’obtenir une position commune ont miné l’efficacité de ses efforts. Tandis que le Parlement Européen fut l’instance communautaire la plus critique avec le gouvernement colombien, et le précédent commissaire de Relations Extérieures, Chris Patten, a maintenu la position d’exiger le respect des droits de l’homme et le respect des recommandations de l’ONU pour les Droits de l’homme, le bureau Javier Solana a davantage soutenu Uribe. La Déclaration de Londres, de juillet 2003, signée aussi par l’UE, soutient Uribe dans ses politiques de développement institutionnel, de lutte contre les groupes armés et le trafic de drogues, en même temps qu’elle réclame des avancées sur la protection des droits de l’homme et vers les recommandations de l’ONU. L’évaluation de ces avancées est la clé pour l’adoption de nouveaux engagements financiers à Cartagena ou pour décider de soutenir le processus de démobilisation des AUC (d’extrême droit).
Après le rapprochement d’Uribe en Colombie avec Bush à Washington, l’UE a été reléguée à un rôle secondaire dans les initiatives politiques par rapport à la Colombie. Obligée à un équilibre qui revient à ne pas détériorer plus les relations avec Washington, elle a adopté certains aspects du discours de "terrorisme" et a inclus les membres des organisations armées colombiennes dans son listing d’organisations terroristes. Quant à la démobilisation paramilitaire, quelques documents et la position de certains États membres ont suscité une inquiétude parce qu’ils supposent un changement qualitatif.
La Suède, l’Allemagne et la Hollande ont décidé de soutenir la Mission de Vérification de l’Organisation d’États Américains (OEA) dans le processus et essayent de convaincre d’autres partenaires communautaires de le faire. Ceci serait du au fait qu’Uribe présente le processus de démobilisation comme un état de fait, à l’annonce de nouveaux appuis de la Communauté internationale (en incluant celui les USA), et des efforts du gouvernement colombien pour persuader les membres de l’UE. L’UE continue à condamner l’impunité, mais a suggéré qu’elle pourrait donner son appui politique et économique si on remplit quelques conditions de base.
Le 13 décembre dernier, le Conseil des Ministres de l’UE a adopté un texte sur la Colombie qui sera la règle de la PESC dans les prochains mois. Le texte a été interprété depuis par le gouvernement colombien comme une accolade à ses politiques, puisque le document soutient "les efforts pour reconstituer l’empire de la loi et sa lutte contre le terrorisme et la drogue, ses efforts pour réformer l’économie et augmenter la cohésion sociale et la recherche d’une solution négociée au conflit armé interne".
Toutefois, il inclut aussi des références expresses aux droits de l’homme, Droit International Humanitaire (DIH) et processus de paix. Vu de la société civile colombienne cela a été interprété comme un signe que l’UE manque d’une vision d’ensemble de la situation colombienne et d’une stratégie face à la reconfiguration du modèle d’État qui existe en ce moment.
L’actuelle conjoncture internationale ne doit pas mener l’UE à changer sa position face à la Colombie pour satisfaire les Etats-Unis. La nécessité d’un rapprochement avec Washington ne devrait pas être l’excuse pour approuver des politiques de violence ou antidémocratiques, spécialement dans un pays clef pour la sécurité andine et avec la crise humanitaire la plus grave du continent.
En outre, son influence politique croît quand elle maintiendra une stratégie différenciée de celle de Washington et la crise de l’Irak a démontré qu’il est possible de se démarquer sans que cela suppose une rupture mais un exercice de responsabilité. Ceci est aussi valable pour la Colombie. C’est pourquoi l’UE doit rejeter toute possibilité d’impunité et exiger le respect des obligations internationales de l’État colombien dans ce domaine, en soumettant son aide et son appui politique aux garanties que le processus aboutira la vérité, la justice et la réparation.
De même, des stratégies claires sont indispensables pour qu’on respecte le cesser le feu et la fin des hostilités, garanties que ceux qui ont été démobilisés ne soient pas intégrés à nouveau dans des groupes armés, mais aussi du remboursement des biens appropriés de manière illégale et la fin des liens entre des éléments l’État et les groupes paramilitaires. Ce serait le premier pas pour commencer à définir une stratégie globale de paix. Le gouvernement espagnol, pour sa part, a ici une occasion de mettre en pratique son pari pour des politiques multilateraliste et de paix, en défendant dans l’UE une stratégie vis à vis de la Colombie basée sur la promotion du dialogue, la négociation et le respect des droits de l’homme.
Traduction pour El Correo : Estelle et Carlos
* Mabel González Bustelo. Analyste du Centre de Recherche pour La Paz (CIP). Agence d’Information Solidaire infosolidaria@infosolidaria.org
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