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9 septembre 2003

L’expérience de démocratie d’un assentamento des "sans-terre" au Brésil

 

Par Susana Bleil,
info Terra, décembre 2002.

La plupart des travaux universitaires portant sur le MST se sont concentrés sur l’étude de l’histoire et de la trajectoire du mouvement, ainsi que son impact sur la réforme agraire au Brésil (Fernandes 2000, Stedile et Fernandes 1999, Stedile 1997, Novaes 1998). Très peu de travaux ont été par contre consacrés à l’étude de la dynamique interne des assentamentos et surtout au projet de société qui s’y déploie et s’y consolide.

Note : un assentamento est une occupation de terre légalisée

Les expériences réalisées dans les assentamentos du MST révèlent des stratégies de survie très novatrices. En raison de leur capacité à réussir face à des conjonctures défavorables pendant presque une vingtaine d’années, les assentamentos constituent de véritables " laboratoires " qui méritent d’être étudiés (Medeiros et Leite, 1999(a) : 16. Medeiros et Leite, 1999(b) : 155).

Notre recherche porte sur l’assentamento de Santa Maria, situé aujourd’hui au sud du Brésil, dans le nord-ouest de l’état du Paraná. Il s’agit d’un ensemble de familles et des individus fils de petits propriétaires qui, ayant perdu leur terre à la suite de dettes ou ayant quitté la maison de leurs parents, en étaient réduits à vivre dans la pauvreté au sud-ouest du Paraná.

L’assentamento Santa Maria est donc une sorte de société intégrée où existe une division du travail entre les hommes et les femmes, qui sont rémunérés par heure travaillée. Dans cet assentamento de type collectif, les espaces privés et collectifs réalisent une sorte d’intégration : les familles ont chacune une maison mais le petit-déjeuner et le déjeuner sont pris collectivement, dans un restaurant. Dans ce cas, les champs appartiennent à la coopérative et les individus doivent décider collectivement ce qu’ils veulent et comment y parvenir. En effet, les décisions relatives à la production, à la commercialisation et même à une partie de leur consommation (au restaurant) ont pour but d’être prises collectivement.

D’après les décisions prises en assemblée, les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes droits dans la coopérative. Ils décident ensemble dans quel domaine chacun souhaite travailler et du montant du salaire horaire. Trois espaces de discussion et de délibération ont ainsi été créés. Les questions entrent dans le débat public à travers les noyaux de discussion. Le débat se poursuit ensuite au sein d’un forum de délibération, constitué des coordinateurs d’activités productives. Enfin, à l’assemblée générale, les décisions sont prises par l’ensemble des associés.

La question que nous avons est : la coopérative est-elle un espace public et démocratique, dans la mesure où il s’agit d’actions qui privilégient le bien commun, en sortant du domaine de l’intérêt particulier ? Qui possède la parole dans les espaces collectifs/publics ? Qui participe à la prise des décisions relatives à la production, à la transformation et à la consommation et comment ? Comment sont prises les décisions relatives à la division du travail ?

" Quand nous avons décidé de venir à la Copavi, nous avons organisé des réunions avec les camarades qui étaient venus avec nous et à ce moment-là, on a élaboré ce projet : " Nous allons à la Copavi, à Paranacity, mais pour travailler le collectif, la terre entière sous forme collective ". Moi-même, j’ai eu peu de difficultés parce que, quand nous sommes arrivés, nous connaissions déjà les personnes, nous avions déjà… déjà un objectif. Tout le monde avait déjà cet objectif : le même. Ainsi, nous avons eu cette facilité. Moi, je trouve que notre convivialité à l’intérieur du groupe… est… est plus facile à vivre ensemble grâce à la lutte que nous … la lutte que nous menons, le fait de connaître de plus en plus le mouvement sans terre, le fait de travailler de plus en plus dans le mouvement sans terre. Tu commences donc… Tu deviens quelqu’un de plus sensible pour comprendre les autres… Il y a des gens qui sont plus difficiles à comprendre, n’est-ce pas ? Tu as donc cette facilité. Et les gens qui ne sont pas dans le mouvement sans terre, nous le voyons maintenant. Ces gens… ont une certaine difficulté à comprendre les camarades, à être sensibles aux autres camarades, à comprendre… et à avoir des relations avec les autres camarades. Un grand nombre de familles qui sont venues ici sont parties. Pour quelle raison ? Parce que ces familles viennent, elles ne sont, comment je peux dire, elles ne réalisent pas d’où elles sont venues, où elles vont, quel est le travail qu’elles doivent réaliser… Elles n’ont pas d’objectif clair, en fait, elles n’ont pas d’objectif clair. Nous avions, en fait, un objectif clair… Pour arriver à vivre ici comme nous vivons… Nous devons avoir avant tout la sensibilité avec les camarades " (Entretien réalisé avec Célia Soares le 19 septembre 2001).

Cependant, on comprend aussi que des individus soient plus aptes que d’autres au processus de dialogue. Pour certains, il existe, d’une part, l’espace de discussion des assemblées où ils doivent discuter pendant des heures et manifester leurs divergences. C’est un espace où l’on peut même blasphémer. D’autre part, il existe l’espace de l’amitié, où l’on ne se dispute plus.

" Par exemple, ici, on a cet avantage : une discussion est une discussion ! Tu es dans une réunion, tu peux insulter quelqu’un, tu peux…Parce qu’il est clair que les opinions ne seront pas toujours semblables, n’est-ce pas ? Par exemple : moi, j’ai une opinion. Natalino [son mari] en a une autre…Je ne vais pas toujours être d’accord avec ses opinions parce qu’il est mon mari. Parfois, il peut avoir raison et moi, je peux aussi ne pas être d’accord. C’est comme ça… Jamais les opinions ne seront tout à fait les mêmes. Mais quand on sort de la réunion, personne n’est en colère, personne ne va se disputer. Une réunion est une réunion ! Une discussion est une discussion ! Le travail est le travail et la relation avec les autres est une autre chose. Après la réunion, il n’y a plus de dispute… On revient à la normale… Par exemple, jamais quelqu’un n’a agressé quelqu’un d’autre… c’est même interdit. Nous avons des règles : " si quelqu’un agresse quelqu’un d’autre, il est expulsé ". Cela n’existe donc pas. A la fin, on se fiche la paix " (Entretien réalisé avec Teresinha Gonçalves le 19 septembre 2001).

La première raison qui conduit les paysans à partager leur vie et la propriété est sans doute le fait d’avoir un but commun. Ils partagent le même idéal, en l’occurrence la lutte pour la réforme agraire. Ils veulent changer la réalité et ils croient que leurs possibilités sont réelles. Avant d’être ensemble dans la coopérative, ils partageaient déjà une condition d’exclusion. Ils étaient tous " sans terre " ou " sans emploi ". Contrairement aux communautés ethniques, la décision d’être ensemble résulte d’un choix : le projet de vivre une expérience de vie collective. Il n’existe donc pas de contrainte d’ordre familial qui les oblige à y rester. Cependant, en tant qu’associés d’une coopérative de production agricole, ils doivent toujours chercher un accord, d’où la tension irréductible entre le privé, le communautaire et le public, dans la résolution des conflits.

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