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22 avril 2008

L’auteur colombien Antonio Caballero parcourt la carte de la violence de son pays.

« Les seules sources d’emploi sont la guérilla, les paramilitaires ou l’armée »

 

C’est un des principaux interprètes de la réalité colombienne. Avec un seul roman publié (« Sin remedio » (Sans remède)) et plusieurs recueils de ses articles journalistiques, Antonio Caballero est un critique sévère du président Uribe et de sa politique néolibérale. Il nous apporte ici une explication du drame de la Colombie.

Por Andrew Graham-Yooll
Página 12
. Buenos Aires, le 21 Abril 2008.

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Dans une citation que j’ai lu par ici, vous dites : « La Colombie est un pays débordant d’énergie et la plupart des choses indignes qui arrivent ici sont des manifestations d’énergie, cette violence démesurée est une violence dont l’origine est saine, disons-le ainsi, c’est-à-dire une violence d’énergie, ce n’est pas une violence destructive. Naturellement, que cette violence crée toute sorte de destruction, mais il me semble que même quand si on va encore vivre des choses terribles pendant de nombreuses années, elles seront l’expression d’une croissance, parce qu’en comparant la Colombie et le Pérou, il faut dire que ce dernier est un pays indigne, un monde qui paraît être descendu dans un abîme. La violence colombienne est juvénile, vitale, terrible c’est certain et les politiciens sont corrompus, et la guérilla continue à tuer des innocents et en plus il y a les narcos, etc., mais la Colombie est pleine de vitalité ". Cette énergie se traduit dans la cordialité envers l’étranger, mais, comment l’expliquer ?

La coca est simplement une source d’argent qui a multiplié la violence parce qu’elle la finance. La marijuana, la coca, source de devises s’est transformée d’abord en la principale source de recettes de la Colombie, depuis de nombreuses années, parce qu’il s’agit d’une affaire illégale. Mais la coca n’a pas produit la violence colombienne, elle se limite à la financer et la multiplier. La violence colombienne a, à mon avis, des origines sociales et politiques. L’argent de la coca est immense et coule par tous les côtés. Il maintient la guérilla de gauche et les paramilitaires de droite, il maintient l’armée colombienne elle-même, parce que l’armée vit en bonne partie de l’argent que lui donnent les Etats-Unis à travers ce qu’on appelle le Plan Colombie et maintenant le Plan Patriote, un argent destiné à combattre le trafic de drogues. S’il n’y avait pas le trafic de la drogue, l’armée colombienne serait beaucoup plus réduite que ce qu’elle est, et aurait beaucoup moins d’armement que ce qu’elle a, et se serait certainement aussi ma même chose pour les guérillas colombiennes et les paramilitaires. Mais cela n’est pas produit par la coca, simplement elle le démultiplie, l’aggrave, l’entretien. Ici la violence a d’autres origines.

Climatiques, aussi ?

Ne le crois pas. Justement parce qu’à l’époque de la grande violence (à partir du Bogotazo [1] qui a suivi le meurtre Jorge Eliécer Gaitán, le 9 avril 1948) la violence était bipartiste, entre libéraux et conservateurs, et en effet on disait qu’il y avait une composante climatique, parce que sur les côtes il n’y avait pratiquement pas eu de violence, durant ces années quarante, cinquante et soixante du vingtième siècle. En revanche, maintenant la grande violence est sur les côtes, dans la terre chaude. Je ne crois pas qu’il y en ait une, ou peut-être que oui, mais cela suppose de commencer à examiner ce qui disait un français, un sociologue du XIXe Siècle, qui croyait que tout avait une origine climatique.

Une expression de la violence que je vois depuis toujours, c’est que tout bâtiment a des grilles à l’entrée, aux fenêtres, sur le comptoir si c’est un commerce, une majorité de commerces ont le petit bonhomme de la sécurité à l’entrée…

Cela est une conséquence du chômage, en partie. Le chômage en Colombie fait que toutes les villes sont insécures, je ne parle pas de l’insécurité véritablement violente, les meurtres, etc., je parle du simple vol. Dans les villes colombiennes une très grande partie de la population est employée et vit du vol dans la rue, du vol des résidences. Alors, naturellement toutes les maisons ont des grilles, tous les bâtiments ont des gardiens. C’est une conséquence du chômage, qui donne de l’emploi… la violence en général, non pas la petite violence de rue, qui peut être très gênante. Mais l’insécurité qui produit violence est à l’heure actuelle à mon avis la principale source d’emploi dans les campagnes de la Colombie, où la violence est soit guerrillera, soit paramilitaire, voire la violence militaire elle-même. La seule source d’emploi à la campagne à l’heure actuelle ce sont les guérillas, les groupes paramilitaires ou l’armée, parce qu’il n’y a pas emploi dans les campagnes.

Cette opinion, très intéressante, l’anthropologue Gustavo Duncan l’avance dans son livre Les Seigneurs de la Guerre. Des paramilitaires, mafieux et d’auto-défenses en Colombie (Planeta), il dit, plus ou moins, que « la campagne est un excrément, il faut quitter les cultures et s’engager avec les paras » (ce ne sont pas ses mots précis, mais un résumé…) Sans nous sortir du sujet de l’emploi, le Plan Colombie a favorisé des gens comme des capitaines vers le haut ? Ou bien les bénéfices arrivent-ils jusqu’au soldat ? Nous avons écouté quelques sages analystes dire que le chômage est arrivé jusqu’à l’armée, mais on envie l’armée vénézuélienne, où la troupe et les officies jouissent d’avantages, et ils se voient et discutent depuis de ce côté là de frontière.

Bon, ce sont deux choses différentes. Il faut d’abord parler de l’armement modernisé qu’a l’armée colombienne, qui fait que l’institution se sent et fonctionne mieux. De plus, durant ces dernières années, chose qui n’existait pas avant en Colombie et maintenant oui, on a des soldats professionnels. Ici l’armée était formée par des recrues, et les officiers étaient de carrière du lieutenant vers en haut. Ce sont ces derniers, qui ont toujours reçu les bénéfices les plus grands depuis qu’il existe en Colombie une situation de guerre interne. Les recrues ne prenaient pas part à cela. Mais, avec l’augmentation de la pression, est apparu maintenant le phénomène des soldats professionnels relativement bien payés, parce que le chômage nourrit cette sorte de recrutement de celui qui aspire à être professionnel.

Mais vous confirmez qu’ils sont bien payés.

Relativement… chez les officiers. Dans le conflit interne est toujours reflété le salaire. À une époque, c’était du à l’Etat de Siège, il y a eu ensuite ce qu’on a appelé l’état d’exception. Cela fait qu’ils perçoivent plus les officiers de l’armée et l’aviation, et cela leur est plus profitable que ces « états » existent. La poursuite du conflit leur convient. Toutefois, en voyant le panorama total du conflit il faut reconnaître que cela est quelque chose relativement marginal.

L’état d’exception, jusqu’à quand a-il été en œuvre ?

Jusqu’à la Constituante et Constitution de 1991, qui l’a supprimé. Il y a eu l’Etat d’exception avec quelques interruptions, quelques mois parfois, entre 1946 jusqu’à 1991.

Le débat autour de la Réforme Agraire en Colombie a été ravivé. Il y a un ministre qui dit que la réforme ne va rien résoudre. Mais il y a eu une expérience précédente, n’est-ce-pas ?

Cela fut pendant le gouvernement (1966-1970) de Carlos Lleras Restrepo (1908-1994), avec Enrique Peñaloza Camargo comme ministre, ils ont entamé une réforme agraire qui n’a pratiquement pas été faite. C’est-à-dire, elle a profité à quelques milliers de familles et cela a concerné quelque 400.000 hectares, ce qui est une surface insignifiante en Colombie. Cela a duré peu de temps. L’Incora (Institut Colombien de la Réforme Agricole) ne l’a jamais appliquée. Et cela a fini par devenir, au contraire, une espèce de caisse « mineure »pour les propriétaires fonciers pour se débarrasser des mauvaises terres. Ils les vendaient à l’Incora, qui à son tour les distribuait, ou il ne les distribuait pas, entre quelques milliers de familles.

Ce qui est proposé maintenant est du au fait que durant les dernières années il y a eu tant des déplacés de ses terres par le conflit interne, tant à cause de la guérilla que des paramilitaires, qui au fond, se sont appropriés de ces terres. On a calculé, bon, cela dépend qui calcule, mais on estime qu’entre deux et six millions d’hectares appartiennent maintenant au narco paramilitaires qui se sont appropriés ces terres au cours des dix ou quinze dernières années. Ces mêmes deux, quatre ou six millions d’hectares, cela dépend qui donne les chiffres, parce qu’en Colombie les chiffres ne sont jamais fiables, ils les ont arrachés aux trois ou quatre millions de déplacés internes, déplacés des campagnes vers les villes.

On suppose alors qu’il existe maintenant un institut, un autre, consacré à remettre à ces déplacés leurs terres perdues et à les réinsérer, mais le ministre de l’Agriculture, le ministre de Finances, et en général l’actuel gouvernement, qui est un gouvernement néolibéral de toute manière, considèrent que la terre doit aller aux grands propriétaires fonciers, qui seuls peuvent rationnellement l’exploiter et qui ont le capital pour. Ils considèrent alors que c’est une erreur de restituer les terres aux paysans déplacés vers les villes. Comme simultanément des villes se sont exilés, pas les paysans qui viennent à la ville, mais d’autres, il y a aussi quatre millions d’exilés économiques de la Colombie à l’heure actuelle aux Etats-Unis, en Espagne, au Venezuela, on a fait un transvasement de populations qui, selon les gouvernements (pas seulement celui-ci mais les précédents), est sain pour l’économie. Sain, socialement parlant, à mon avis, c’est tout le contraire. Mais bon…

J’ai lu cette semaine dans El Tiempo qu’on parlait de quatre millions de déplacés, mais cela doit être un chiffre très flexible…

Tous les chiffres en Colombie sont très flexibles et cela dépend de qui il les donne.

En parlant de chiffres, quelle est la source des chiffres qui disent que la troupe des FARC est tombée de 16.900 hommes et femmes durant l’année 2000, à 8.900 en 2007 ?

Ces chiffres sont officiels, ils sont fournis par le Ministère de la Défense. Sur ce sujet, j’ai souvent discuté avec des généraux et avec des fonctionnaires du Ministère de la Défense. Les FARC sont une guérilla qui existe depuis quarante années (elle a été fondée en 1966). S’ils n’en sortaient pas les guérilleros auraient tous quatre-vingt ans, ou au moins 60. Les chefs ont maintenant 60 ans. Les guérilleros entrent et sortent, c’est comme ceux qu’ils accomplissent un service militaire dans une armée régulière. Ce qui arrive, c’est que maintenant le Ministère de la Défense considère que les partants des FARC et de l’ELN sont une victoire du gouvernement et non que se sont guérilleros qui ont accompli leur service militaire dans la guérilla et qui retournent chez eux. Je crois que tous ces chiffres sont des comptes farfelus, d’une part. D’autre part, oui, il faut tenir compte que l’armée colombienne a doublé durant les dernières cinq années (elle est estimé à 140.000 hommes), et est effectivement beaucoup plus active, surtout est à nouveau présente dans tout le pays. Effectivement, ils donnent des coups très forts militairement aux guérillas. Mais au sein des guérillas, il est impossible de savoir les chiffres. Disons que durant les dernières années, quand est arrivé ce gouvernement d’Alvaro Uribe et qu’il a commencé à faire des traités de pardon et d’oubli, des lois de justice et paix, comme on les a appelées, et de beaucoup d’autres manières, les traités avec les paramilitaires, les groupes de droite qui collaboraient avec les militaires dans la lutte antiguerrillera, on a dit qu’il y avait 12.000 paramilitaires. 44.000 ce sont rendus. Ce sont des chiffres assez faux. Se livrer est une autre source de revenus. Dans un pays où la plupart des personnes n’ont pas de quoi vivre à moyen termes, se déclarer paramilitaire à la retraite signifie une série d’avantages économiques offerts par le gouvernement. Quand un volcan entre en éruption, par exemple, nous dirons que le volcan d’Armero qui a été une grande tragédie il y a vingt ans, on supposait qu’il y avait vingt mille habitants à Armero. Vingt mille sont morts, et 40.000 se sont présentés comme victimes, sont venus, naturellement, de tout le pays et ont dit qu’ils avaient perdu leurs familles, leurs terres, en Armero. Cela était absolument faux, mais très naturel, c’est de cela qu’on vit.

Comment gère-t-on individuellement ces cas ? Par exemple, dans le cas de la reddition du chef de la sécurité (alias « Rojas »), du membre du secrétariat des FARC Ivan Rios, à qui on a tiré dans le front, Quel bénéfice a-t-il ? On va l’amnistier ? il s’en ira vivre à Miami ?

Dans ce cas spécifique je ne sais pas, mais depuis le début de ce gouvernement, il y a cinq ans, il a eu comme politique de récompenser les délations et les délateurs, à qui on donne protection et avantages économiques, et dans certains cas s’il faut l’extraire du pays, on l’envoie à Miami ou n’importe où. Surtout, on les paye. Je ne sais pas ce qui c’est fait dans des cas spécifiques, mais récompenser la délation c’est la politique.

On remarque ici un contraste énorme avec les années précédentes. Les gens dans la rue paraissent plus tranquilles, même quand a été déclenchée la crise diplomatique avec l’incursion colombienne en Équateur pour tuer Reyes, chef des FARC (le 1er mars). Qu’est-ce que s’est passé ?

La crise avec le Venezuela fut, dans une grande mesure, due à la rhétorique d’Hugo Chavez. Ce fut une bataille rhétorique entre Chavez et Alvaro Uribe, et effectivement cela continuera et c’est possible qu’ils arrivent de temps en temps à des incidents frontaliers, il peut y avoir des morts à la frontière. Mais tout cela n’amène pas à une guerre, c’est simplement la composante d’une utilisation du conflit, un peu comme c’est arrivé entre le Pérou et l’Équateur il y a quelques années. Ce qui arrive ici , c’est que cette guerre qu’on vit en Colombie depuis tant d’années, d’abord, alors elle génère une sorte d’accoutumance ; deuxièmement, c’est un phénomène beaucoup plus de la campagne que de la ville. Dans les villes on voit ses effets à travers ces gens qui sont arrêtés aux feux avec un carton disant « nous sommes des déplacés » et qui demandent l’aumône. Cela non seulement arrive à Bogota, mais dans toutes les villes de la Colombie, grandes et moyennes. En Colombie les villes sont pleines de centaines de milliers de paysans déplacés. Mais dans les villes on ne vit pas la guerre. Par conséquent, la tranquillité est absolue. Ce qu’il y a dans la ville est cette insécurité superficielle qui consiste en des vols dans des maisons, aussi ce qui est appelé le « raponeo », le vol à l’arrachée d’un portefeuille ou d’une montre ou d’une camera. Dans les villes on ne vit pas la guerre. Et maintenant on ne la vit pas non plus sur les grandes routes. Dans les effets qu’a eu l’augmentation de la pression de l’armée et de la police, c’est qu’on a récupéré le contrôle des routes. Il y a des années il y avait ici des enlèvements de façon permanente sur les routes, chose que faisaient les guérillas. Cette action était appelée la « pêche miraculeuse ». Ils arrêtaient toutes les automobiles qui passaient pendant une heure, qu’elles soient cent ou deux cent, et amenaient tout le monde. Ils négociaient ensuite, plus ou moins cher, en accord avec s’ils avaient capturé un riche ou un pauvre. Le riche avait des ressources, le pauvre avait peut-être seulement son automobile. Avec l’augmentation des points de barrages, les enlèvements ont considérablement diminué. L’enlèvement n’était ici pas seulement l’action des guérillas, mais des bandes de truands. La délinquance est de toute façon une nouvelle situation en Colombie. Arrivent deux choses, qui ce sont superposées. D’abord un énorme chômage. Et ensuite la non-existence absolue de Justice. Ici tu peux tuer ta mère en présence de soixante personnes et à toi il ne t’arrive rien. N’importe quel type de délit peut être commis en public et la Justice n’opère pas. On estime que (le calcul est d’eux-mêmes, sources du Ministère de la Justice), 99 pour cent des infractions qui sont commises en Colombie n’arrivent pas au jugement. Ce n’est pas qu’elles ne soient pas punies, c’est qu’elles n’arrivent même pas au procès. Cela est valable pour tout type d’infraction, que tu voles une montre dans la rue, ou que tu tues ta grand mère.

Pourquoi tu n’as jamais écrit un second roman ?

Parce qu’il me semble qu’on doit seulement écrire quand on a quelque chose à dire. Et ce que j’aurait voulus dire dans un autre roman, c’est de réitérer un peu les mêmes trois ou quatre sujets qui m’intéressent. Cela ne m’intéresse pas de me transformer en romancier qui sort un roman par an. Je pourrais parfaitement, mais répéter la même chose avec une autre présentation narrative ne me semble pas avoir beaucoup sens. Mon roman (Sin remedio, Alfaguara, Colombia) n’est pas un roman de personnages ou de situations. C’est un roman pour expliquer deux choses dans lesquelles je crois : l’une c’est qu’il me semble que c’est très difficile d’écrire de la poésie, parce que cela exige de dire la vérité. L’autre, c’est que quoi que tu dises, ce sera mal compris.

Et si nous changieons cet ordre de choses et disions que le lecteur peut penser : dites ce que vous dites, les gens vont toujours penser que c’est mieux dit dans un roman ?

Cela je ne l’avais pas pensé, mais je ne vais pas écrire un autre roman pour qu’ils disent cela. J’ai trois livres sur la tauromachie. Deux sont des recueils d’articles déjà publiés et un c’est un livre écrit sur sept toreros (« Los siete pilares del toreo », publié par Espasa). En dehors du roman ce que j’ai publié ce sont des recueils d’articles imprimés. L’un de ces livres, d’articles politiques, est celui qui a gagné le Prix Planeta (Colombie) pour les journalistiques. La majorité des textes étaient des articles de presse, de deux ou trois feuillets, bien qu’il y ait quelques textes plus longs. Le roman a très bien marché.

Tu as été adoubé d’un commentaire favorable de Gabriel García Márquez…

Oui, ça a très bien marché… On continue à le publier, on continue à le réimprimer constamment. Ce roman est vendu principalement ici en Colombie, bien qu’on l’ait publié en Argentine l’année dernière. Il y a deux ans, il est à nouveau sorti en Espagne, où il n’était pas publié depuis un moment (où il était sorti avec Bruguera, ensuite avec Planète, et finalement avec Alfaguara).

Quand nous nous sommes connus, il y a vingt-cinq ans, vous étiez assez impressionné par la mort d’un auteur, (Luis) Andres Caicedo (Estela) (1951-1977), qui s’est suicidé à vingt-six ans. Il a pris 60 pastilles, il avait essayé de se suicider deux fois en 1976 et il s’était manqué. Il a été fidèle à son idée que vivre plus de vingt-cinq ans est un manque de bon sens. Il avait reçu un exemplaire de son unique roman quelques jours avant de se suicider, à Cali. Pour moi, qu’une personne tellement jeune se soit enlevé la vie, c’est comme le tableau que vous faîtes de la Colombie « un pays débordant de jeune énergie » où arrivent des choses indignes. Je vous rappelle que cette conversation date de 1983, quand vous prépariez votre roman, et vous m’avez laissé assez impressionné, j’ai été votre admirateur. Je venais de converser avec García Márquez, qui a écrit sur notre réunion, une chronique sur la visite et sur une des mes tantes.

Je me rappelle le fait, notre conversation, et mon impression. Caicedo a à l’origine été critique de cinéma et il avait essayé aussi de faire du cinéma, qu’il n’est pas arrivé à faire. Il a écrit un roman, quelques nouvelles et deux autres romans à mi- chemin qu’il n’a pas terminé, qu’ensuite ses amis ont publié post mortem et qui ne sont pas bons, en vérité. Son roman, Que viva la música !, est un roman extraordinaire, à mon avis. Il y a de longues nouvelles très bonnes, une d’elles qui s’appelait El atravesado, est très bien, et quelques comptes courtes, et des courts fragments de romans, un texte appelée Noches sin fortuna, peut-être. Cela fait pas mal de temps que je ne l’ai pas lu à nouveau. Il s’est mort trop tôt, il s’est tué trop tôt, et n’était pas encore un auteur fait, bien que ce roman, Que viva la musica !, c’est une grande œuvre. Il n’a pas été oublié. Au contraire, parce qu’entre d’autres choses ses amis du cinéma, et ses amis de Cali, ont maintenu sa mémoire et le re-publient à chaque instant, publient des fragments, publient des lettres qu’ils trouvent, enfin, il s’est transformé en une figure de culte, comme ils disent, ce qui me semble tellement désagréable. Mais je ne crois pas qu’il ait eu aucun type de postérité littéraire. Il a simplement été isolé, il n’a eu aucune influence littéraire ni en vie ni post mortem.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par  : Estelle et Carlos Debiasi

Nota :

Notes

[1L’assasinat du candidat Jorge Eliécer Gaitán -le 9 avril 1948- qui avait de grandes chances de gagner les élections présidentielles en Colombie a déchaîné une manifestation violente connue sous le nom de « Bogotazo »

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