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Face à l’escalade de l’entreprise française, le ministre de Planification explique les motifs de la rupture et assure que "le service est garanti" et qu’ "il n’y aura pas d’augmentations de tarif". Bien qu’il ne ferme pas la possibilité d’une négociation, il anticipe ce que fera le Gouvernement avec l’entreprise. Il assure aussi que "les pressions internes sont pires que celles du FMI".
C’est déjà un classique. Dans un coin, la privatisée la moins respectueuse d’une longue liste de s privatisées non respectueuses de leurs engagements. Dans l’autre, le ministre chargé de poursuivre la complexe renégociation contractuelle. Vendredi un échange dur a agité la flemme des spectateurs. L’entreprise française Suez, propriétaire d’Aguas Argentinas, a annoncé qu’elle recommandera à son conseil d’administration de résilier le contrat qui lie l’entreprise Argentine.
En dialoguant avec Página/12, Julio de Vido assure qu’il ne le considère pas cela comme un échec et essaye de se montrer fort devant les pressions. "Nous renégocions 61 contrats et celui d’Aguas est le seul qui n’est pas arrivé à bon port", dit-il, avant de réaffirmer que "l’État n’est pas sans défense" et que des stratégies juridiques sont déjà prêtes pour faire face aux possibles réclamations de Suez devant des tribunaux internationaux.
Il s’est aussi préoccupé de tranquilliser les utilisateurs face un retrait éventuel des français. "Le service est garanti", assure, avec le même ton avec lequel il affirme qu’après les élections "il ne va pas à y avoir d’augmentation de tarifs au-delà de ce qui est de notoriété publique »
Le Gouvernement convoquera t-il Suez à une nouvelle séance de négociation ou n’est-il question de revenir en arrière ?
La négociation, ce n’est pas nous qui l’avons rompue. S’ils veulent converser à nouveau, nous sommes disposés. Notre volonté est de chercher un accord. En outre, nous n’avons jamais été aussi près que cette semaine.
Et que s’est-il passé ?
La négociation s’est bloquée quand nous examinions la rémunération du capital régulateur. C’est-à-dire, comment ils amortissaient les investissements effectués. Ils demandaient 9 % et nous leur offrions 7. On pouvait arriver à un accord. Le point le plus complexe était qui assumait la dette avec la BID, d’un crédit qui a été transféré vers Aguas Argentinas quand elle a assumé la concession. Ils ont demandé que l’État le prenne en charge ce prêt, qui à l’origine était de 150 millions de dollars et aujourd’hui doit avoisiner les 300 millions à cause des intérêts. Ni Lavagna, ni moi nous avons accepté. L’État ne peut pas payer les dettes d’un autre.
Comment va se poursuivre la relation avec l’entreprise ?
Il y a deux alternatives. Ils peuvent envoyer de nouveau des négociateurs ou ils peuvent communiquer qu’ils se retirent de la concession. Si c’est cela qui se produit, nous ferons face au processus de remplacement comme il se doit. L’État n’est pas sans défense. Nous avons des éléments pour garantir le service. Ils doivent remplir des clauses contractuelles qui les obligent à rester 90 jours à la tête de la gestion et comme opérateur de l’entreprise et une année comme opérateurs seulement. S’ils s’en vont, cela ne veut pas dire qu’ils importeront les tuyaux. Nous avons des techniciens, l’infrastructure et la volonté d’investir.
Si le Gouvernement a tout cela, pourquoi ne pas étatiser l’entreprise alors ?
Parce que le chemin que nous avons choisi est le même que celui du cas Edenor, quand Electricité de France est partie et le Groupe Dolphin est arrivé. L’idée est d’avoir un opérateur privé qui peut maximiser sa capacité opérationnelle et d’administration. Après une période de transition, on fera à nouveau un appel d’offre pour l’entreprise.
La province de Buenos Aires a ré-étatisé le service après avoir rompu avec Azurix et l’expérience s’est avérée positive.
Nous croyons que la présence d’un opérateur privé est saine parce qu’elle enrichira avec son propre investissement les apports en ressources que fait le secteur public. Ce n’est pas par méfiance sur le personnel, mais pour produire de nouveaux revenus du capital.
Pourquoi l’Etat doit mettre de l’argent dans la compagnie ?
Partout dans le monde les entreprises d’eau reçoivent des apports importants de l’État, parce que dans le cas contraire les tableaux de résultats sont toujours négatifs. Nous avions déclaré auprès de Suez que nous allions apporter 350 millions de pesos (100 millions d’euros) par an pendant ces trois prochaines année, pour l’expansion du réseau, et plus 120 millions de pesos (34 millions d’euros) par an pour la maintenance.
Pourquoi le Gouvernement donne tant de chances à la privatisée qui a le moins respecté ses engagements par rapport au contrat ?
Nous devons suivre la loi qui nous oblige à renégocier le contrat et nous devons passer par toutes les instances. Quand je négocie je ne fais pas d’évaluation sur comment a été le comportement de l’entreprise. S’ils se retirent, nous ferons une évaluation et nous définirons quelle sera notre stratégie envers l’entreprise, ce que pour le moment je ne peux pas rendre publique.
Etes-vous surpris par l’interruption des négociations ?
Il y a peu de choses qui me surprennent. Ce fut une décision de l’entreprise. Mais l’État ne reste pas les bras ballant et répondra avec toute l’énergie nécessaire aux différents mouvements que peut faire l’entreprise. S’ils nous disent qu’ils s’en vont, comme dans le cas d’Edenor, qu’ils nous informent qu’ils se sont arrangés avec un autre opérateur qui remplit ce que nous demandons, nous nous serrons la main et on passe à autre chose.
Une rumeur indique que la stratégie de Suez est de casser le contrat pour parier tout sur un jugement lui rapportant des millions devant le Ciadi.
C’est possible. Dans la négociation, on prévoyait que Suez allait demander que nous changions ce que nous avions fait signer à d’autres privatisées, qui est le renoncement aux procès devant le Ciadi. Nous n’étions pas encore arrivés à parler du sujet, mais c’était un point sur lequel nous allions sûrement trouver des difficultés.
Parlez-vous au passé parce vous ne croyez déjà plus qu’il puisse y avoir un accord ?
Je me cale sur les temps verbaux que Suez a utilisés dans le communiqué de presse dans lequel il a informé qu’ils recommanderaient au Conseil d’Administration d’Aguas Argentines de lâcher la concession. La volonté du Gouvernement est de suivre à la lettre la loi qui nous oblige à renégocier les contrats.
Peut-on envisager un possible procès fait à l’entreprise ?
Nous avons des stratégies juridiques que je ne peux pas commenter maintenant. Depuis qu’ils nous ont envoyé une note en disant que dans les 30 jours ils pouvaient décider d’annuler le contrat (le 7 août), nous menons depuis des consultations pour évaluer notre réponse.
Le FMI continue à faire pression en faveur de Suez ?
Plus que du FMI, les pressions ont venues de l’intérieur du pays. Il suffit de lire quelques articles de journaux, quelques éditoriaux du dimanche. Cela ne nous affecte pas.
Le Gouvernement a-t-il déjà des candidats pour remplacer Suez ?
Il y a eu des groupes privés qu’ont sondés l’entreprise elle-même, mais avec nous il n’y a eu aucune approche formelle. Nous ne pouvons pas indiquer à Suez avec qui il doit traiter. Je ne connais pas les négociations qu’ils peuvent être en train de mener.
Le Gouvernement a t-il eu des contacts avec des groupes locaux, comme Roggio, Techint ou Jorge Brito ?
Non, dans tous les cas ce furent des contacts de l’entreprise. Eux ils en ont sondé.
Qu’arrivera t-il avec les tarifs ?
L’évolution du tarif dépend de la quantité de l’investissement étatique. Nous n’avions pas commencé à négocier ce point. Ce dernier mois nous avons eu pour la première fois des chiffres crédibles sur le fonctionnement de l’entreprise. Nous étions arrivés jusque là, mais pas à parler de tarifs.
On dit qu’au niveau technique l’Uniren avait arrêté l’accord sur une augmentation de 25% et que Kirchner l’a bloqué.
Kirchner n’a absolument pas pris part à cette question tarifaire. Nous parlons de coûts, recettes et déficits et cela a donné une certaine équation qu’il fallait couvrir avec des apports de l’État ou avec l’augmentation de tarifs.
Banco Nacion pourrait accorder un crédit à l’entreprise pour aider à refinancer sa dette avec le BID et la Corporation Financière Internationale ?
Ce fut un point de la négociation qui est déjà derrière. Suez nous a demandé de consolider sa dette avec un crédit en pesos dans une banque argentine. Nous avons dit que non et ils l’ont accepté. Ils nous avaient aussi demandé de baisser les garanties et d’arrêter tous les procès qu’ont entamés les usagers. À tout ceci nous leur avons répondu par non et tout cela avait été déjà dépassé.
En mai 2004, quand le Gouvernement et l’entreprise ont signé un accord transitoire, Kirchner a placé Aguas Argentinas comme un exemple face aux autres privatisées. Que s’est-il passé depuis ?
Ce qu’il s’est passé, c’est que beaucoup d’autres entreprises ont avancé, ont renoncé au Ciadi, ont accepté des cadres raisonnables et des nouveaux modèles régulateurs de tarifs, tandis que la relation avec Aguas n’a pas évolué dans le même sens. Plus qu’un échec de la négociation, je le considère comme un changement dans la volonté négociatrice de l’entreprise.
Que devrait être une rentabilité raisonnable pour l’entreprise d’eau ?
Elle doit être de 7 ou de 8% sur les investissements effectués. C’est ce que nous avons offert à Suez jusqu’à la fin de la concession, en 2023. Avec un capital régulateur de 1.800 millions de dollars nous leur avons proposé un amortissement de cet ordre.
Des spécialistes des services publics recommandent d’en finir avec le modèle d’un seul opérateur pour le service d’eau et des égouts.
L’entreprise sera encore organisée comme jusqu’à présent. Nous ne permettrons pas la séparation. Il est impératif qu’on ne casse pas la structure d’affaires. Si on dépèce la compagnie, on perd la dimension de l’entreprise et la capacité d’action de l’État, parce qu’au lieu d’agir sur un seul front, on devrait se déplacer sur plusieurs. L’Argentine est fatiguée de diviser des unités d’affaires qui seraient rentables. C’est une décision stratégique de maintenir la concession comme jusqu’à présent.
Le service est très déficient dans d’importantes zones de la banlieue et il y a de graves problèmes avec les nappes phréatiques. Comment seront-ils résolus ?
Cela est le résultat de la politique des années 90, avec des renégociations de contrat très douteuses. Un des principaux intervenants de la privatisation d’Obras Sanitarias, Eduardo Ceballos, est devenu ensuite le président de l’Etoss.
Il y a eu une politique d’abandon et aujourd’hui Aguas Argentinas a une dette incommensurable avec des milliers d’habitants. Nous avons une bombe à retardement de l’autre côté de l’Avenue Général Paz (Périphérique de Buenos Aires), côté banlieue. Le Gouvernement travaille fortement pour la désamorcer, avec des investissements de 1.000 millions de pesos (286 millions d’euros) cette année et autres 1.000 millions en 2006.
Página 12, Buenos Aires, 11 septembre 2005.
Traductions pour El Correo : Estelle et Carlos Debiasi