Accueil > Empire et Résistance > Inmigration : Qui cueillent vos fraises ?
Non loin de Montréal, à 30 minutes à peine vers le nord, près de Sainte-Anne-des-Plaines, une centaine de travailleuses agricoles étrangères viennent chaque année faire la cueillette des fraises. Ces femmes constituent une main-d’œuvre servile, assidue et à moindre coût. Elles sont surtout mexicaines, mais l’on retrouve maintenant de plus en plus de Guatémaltèques parmi elles. Celles-ci seraient soi-disant moins « rebelles » que leurs collègues.
Par Roberto Nieto
Alternatives. Canada, le vendredi 7 octobre 2005
Les travailleuses saisonnières, qui triment dans les champs du Québec pendant la saison chaude, résident le temps de leur séjour à même leur lieu de travail, sur la ferme. Elles peuvent ainsi être constamment « surveillées ». Les contremaîtres ne sont jamais loin et ce sont eux qui les accompagnent dans leurs déplacements. Que ce soit au champ, au supermarché ou à la banque. Les entrées et sorties sont suivies de près et les moments de liberté plutôt rares. Comme de nombreux autres travailleurs agricoles, ces dernières se voient souvent confisquer leurs passeports et leurs autres pièces d’identité.
Il y a donc peu de chance de les croiser ou de leur parler. Obtenir un témoignage « libre » de leur part est souvent impossible. C’est que le plus souvent, elles ne peuvent recevoir de visites.
En septembre, une équipe de la télévision de Radio-Canada s’est rendue sur l’une de ces fermes, avertissant au préalable les employeurs de leur arrivée. Ils ont interviewer ces derniers, mais n’ont pu soutirer quoi que ce soit des travailleuses. Avaient-elles été avisées de se taire ? Apparemment, les journalistes n’y ont rien trouvé à redire.
Cela dit, une fois de retour au Guate-mala ou au Mexique, il n’est pas rare de les entendre parler de « conditions d’esclavage moderne », de pressions constantes, de maladies non traitées, de peur, de stress et de déductions injustes sur leurs chèques de paie.
Enquêtes inachevées...
La confiscation de papiers d’identité, l’enfermement et la contrainte psychologique sont des caractéristiques propres au travail forcé, selon un récent rapport du Bureau international du travail. Mais aucune autorité canadienne n’a encore déposé de rapport d’enquête sur la situation de ces femmes ou des autres travailleurs agricoles migrants qui viennent au pays chaque année. Soit plus de 20 000.
En France, où le phénomène existe aussi, deux inspecteurs français ont été tués lors d’une enquête menée dans une ferme de Dordogne en septembre 2004. Le gouvernement français ne s’en est pas autrement ému. Une enquête sur la situation des travailleurs agricoles saisonniers étrangers, mise sur pied il a quatre ans, avait constaté des faits si accablants pour la profession agricole qu’elle a fini par être censurée par le gouvernement. Il est possible de présumer que des constats semblables se feraient si l’on enquêtait sur la situation des travailleurs saisonniers migrants au Québec et au Canada.
Situation légale au Canada
Au Canada, la situation légale des ouvriers agricoles étrangers, qui arrivent ici avec des permis de travail temporaires, est loin d’être évidente. Le contrat de travail implique que l’employeur à de nombreuses obligations, qui dépassent de loin celle d’un employeur traditionnel. Ces derniers doivent, par exemple, loger les travailleurs, assurer leur accompagnement chez un médecin et le transport hebdomadaire pour effectuer des achats. Ce qui leur donne une certaine emprise sur tous les mouvements de leurs employés, dont quelques-uns peuvent être tentés d’abuser. Les migrants signent habituellement leur contrat juste avant d’embarquer dans l’avion. La plupart du temps, ils n’en connaissent pas le contenu.
Souvent mal informés sur les conditions de travail prévalant dans les fermes canadiennes, de nombreux travailleurs retournent prématurément chez eux. Épuisés, déprimés ou malades. Ils sont alors en situation de rupture de contrat et doivent par conséquent payer de 650 à 1200 dollars en frais supplémentaires. C’est toujours le patron qui congédie et force au rapatriement. Les motifs invoqués par ceux-ci peuvent aller de « abus d’alcool » à « leader », en passant par « trop lent ». Toutes les raisons sont bonnes... Et à toute fin pratique il n’existe à peu près aucun recours légal pour les employés en cas de départ forcé.
Dans la plupart des fermes québécoises, les travailleurs n’osent généralement pas s’opposer aux patrons. Toute contestation, aussi légitime soit-elle, pourrait donner lieu à un renvoi, le retour au bercail et l’exclusion à tout jamais du Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Pour ces raisons, ces travailleurs vivent ici dans l’ombre, l’isolement et la peur constante.
* L’auteur est coordonateur du Centre d’appui pour les travailleurs agricoles migrants
RÉPONSE À UN ARTICLE PARU DANS ALTERNATIVES, VOL. 12 N˚2
Dossier de la main-d’œuvre agricole étrangère au Québec
jeudi le 6 octobre 2005,
Par René MANTHA*
Alternatives octubre 2005
Suite à l’article publié le 28 septembre 2005 dans votre journal, sous le titre Qui cueillent vos fraises ? qui dénote l’opinion de M. Roberto Nieto, qui travaille pour les TUAC (Travailleurs unis de l’alimentation et du commerce) et qu’il entend vous présenter la version syndicale ainsi que le rôle que lui et son groupuscule (Centre d’appui pour les travailleurs agricoles migrants) essaie de jouer dans le dossier de la main-d’œuvre agricole étrangère au Québec.
Quant à moi, je dirige un organisme à but non lucratif, soit la Fondation des entreprises en recrutement de main-d’œuvre agricole étrangère (FERME). Nous représentons environ 350 employeurs et nous assumons la coordination de la venue de près de 4,000 travailleurs agricoles saisonniers. Par l’entremise de ce texte, Je voudrais vous faire connaître le Programme des Travailleurs Agricoles Saisonniers qui existe depuis plus de trente ans avec le Gouvernement du Mexique.
Dès les premières lignes de cet article, la personne qui a écrit ce texte avait en tête l’objectif de démontrer que les travailleurs qui cueillent vos fraises sont exploités par de méchants employeurs et qu’il faut dénoncer cette situation.
Ces femmes, sont des travailleuses agricoles en provenance du Mexique et du Guatemala, qui viennent travailler ici suivant un processus de recrutement et de sélection sous le contrôle des ministères du Travail de ces deux pays. De plus, l’employeur qui est visé, est le plus gros producteur de fraises au Canada et cet employeur qui embauche ces femmes, donne l’opportunité d’emploi en agriculture au Canada. Cette entreprise a été la première à tenter l’expérience de la main-d’œuvre féminine au Québec et ce, avec un grand succès.
Elles ont un contrat de travail et des conditions de travail qui n’ont rien à voir avec son expression de main-d’œuvre servile. Quant à l’assiduité, c’est une qualité que tous les employeurs recherchent chez leurs travailleurs. En ce qui a trait à l’expression à moindre coût, je tiens à souligner que ces travailleuses sont payées 7,95$/l’heure et non pas au salaire minimum. En outre, l’employeur est tenu de défrayer le coût du transport aérien, d’offrir un logement gratuit et d’assumer un bon nombre de dépenses relatives à la présence de ces travailleurs étrangers. Tout cela se fait dans un cadre légal et toutes ces travailleuses du Mexique ou du Guatemala bénéficient du support actif de leurs représentants consulaires à Montréal. Le programme des travailleurs agricoles saisonniers avec le Mexique existe depuis plus de 30 ans et je peux vous assurer que c’est un excellent programme dont les bénéfices sont également partagés par les travailleurs étrangers et les employeurs canadiens.
Ces travailleuses saisonnières ne triment (travailler dur) pas plus que tous les autres travailleuses dans les champs du Québec pendant la saison chaude. Il faut comprendre qu’être travailleur agricole c’est bien différent que de pousser un crayon et d’écrire des articles truffés de faussetés ou de demi vérités. De plus, les fraises au Québec ne poussent pas bien par temps froid. La saison 2005 a été particulièrement chaude mais la saison des récoltes au Québec pour quelqu’un de familier avec l’agriculture, c’est relativement court.
Logement et surveillance
Pour pouvoir participer aux programmes de recrutement de travailleurs agricoles saisonniers du Mexique ou du Guatemala, il est essentiel que l’employeur dispose de logements pour les travailleurs étrangers mais également pour les travailleurs du Québec en provenance d’autres régions.
Ces logements sont habituellement construits sur les terres du producteur agricole, à proximité des lieux de travail. Sans ces logements, le producteur ne devrait compter que sur la main-d’œuvre locale, ce qui signifierait la fin de ses opérations car cette main-d’œuvre est en pénurie chronique, voire inexistante dans bien des régions. Les contremaîtres
M.Nieto reproche également aux contremaîtres d’être trop présents, ce qui l’embête probablement dans ses tentatives de rapprochement syndical auprès des travailleuses. En fait, ces travailleuses ne parlent qu’espagnol et vous pouvez facilement imaginer qu’elles ont besoin d’assistance pour régler des affaires courantes telles que faire l’épicerie, aller à la banque, consulter un médecin, etc. Pour nous, ce sont des obligations auxquelles les employeurs sont tenus de se conformer et l’employeur doit mettre à la disposition de ses travailleurs un moyen de transport (généralement un autobus) et un conducteur qui parle l’espagnol pour pouvoir bien aider les travailleurs.
Confiscation du passeport et autres documents
Les employeurs ont toujours eu comme pratique de conserver en un lieu sûr, tel que le coffre-fort de l’entreprise, les documents de leurs travailleurs pour éviter la perte ou le vol de ces documents et de permettre un accès rapide à ces documents lors de situations d’urgence.
À la fin de 2004, dans le cadre des négociations annuelles avec le Mexique, les autorités mexicaines ont demandé que cette pratique cesse immédiatement et que les travailleurs assument leurs responsabilités en conservant eux-mêmes ces documents personnels, ce à quoi nous avons acquiescé tout en expliquant le bien-fondé de cette pratique. Par la suite, nous avons informé tous nos employeurs de l’obligation de remettre tous les documents aux travailleurs, la seule exception étant que les travailleurs demandent qu’ils soient conservés comme par les années passées par l’employeur et pour ce faire ils devaient signer un document attestant de leur volonté.
Si vous pensez que les travailleurs sont brimés ou privés de leurs droits, il faudrait nous expliquer ! S’il vous arrive, un jour, de faire une croisière, vous devrez remettre votre passeport à votre arrivée au bateau et il vous sera remis lors de votre départ à la fin de votre croisière. C’est une formule de vacances qui n’a pas encore été contesté jusqu’à maintenant !
Des témoignages libres....
Pour notre part, nous n’avons jamais reçu de plaintes à ce sujet des travailleuses et après vérifications faites auprès des agents consulaires, eux n’ont plus n’en ont jamais eu car les travailleuses sont libres d’aller et venir sur la ferme et elles peuvent quotidiennement aller « en ville » avec l’autobus mis à leur disposition.
Il est évident que vous devez exercer des contrôles sur les allées et venues de personnes ou groupes qui ne travaillent pas sur la ferme et qui veulent rencontrer les travailleuses. Est-ce des vendeurs de pacotilles, des curieux qui pourraient revenir pour commettre des vols dans les logements pendant que les travailleuses sont aux champs, etc.. De toutes façons, avant de s’introduire sur les terres privées d’un employeur, la décence exige d’obtenir la permission en donnant les motifs de la visite.
Plaintes des travailleurs de retour chez eux
M.Nieto dit qu’il n’est pas rare que les travailleurs se plaignent une fois de retour chez eux. Il faut savoir que tous les travailleurs du Mexique ou du Guatemala doivent à leur retour chez eux, avoir une rencontre au Ministère du Travail afin de fournir leurs commentaires relativement à leurs expériences de travail au Québec ou au Canada. Ces commentaires sont recueillis et sont fort utiles à toutes les parties. Si on veut en améliorer son contenu et son fonctionnement, et c’est en grande partie ce qui fait le succès de ce programme depuis plus de 30ans, il faut porter une grande attention à tous ces commentaires.
Je vous souligne ici que plus de 80% de ces travailleurs demandent à revenir chez le même employeur. Il arrive que de part et d’autre il y ait des mésententes ou des conflits et tant l’employeur que le travailleur ne veulent plus travailler ensemble. Le travailleur a toujours le dernier choix quant à l’employeur et la province où il veut aller travailler.
Nous avons visité des travailleurs et des travailleuses dans leurs villages au Mexique et au Guatemala et nous y avons rencontré des gens heureux, fiers et émus de voir des employeurs venir les visiter pendant la saison morte et on n’a jamais fait référence à des conditions d’esclavage.
Situation légale au Canada
Les travailleurs agricoles saisonniers du Mexique et du Guatemala ne sont pas des travailleurs illégaux. Leur venue est très normée et surveillée par les instances gouvernementales canadiennes. Ces travailleurs étrangers ont les mêmes droits et devoirs que les travailleurs canadiens et bénéficient généralement des mêmes protections.
Ils existent des nombreuses obligations contractuelles auxquelles les employeurs sont tenus de satisfaire. Il y a des processus à suivre et de nombreux intervenants tels que Les Centres d’emploi agricole de l’UPA, les ministères fédéraux des Ressources Humaines et de l’Immigration, le ministère provincial de l’Immigration et des Communautés Culturelles, les Ambassades du Canada à l’étranger, les ministères du Travail et des Affaires Étrangères des pays participants, l’Organisation Internationale des Migrations, etc.
Concernant le contenu du contrat de travail que, selon M. Nieto, les travailleurs ne connaissent pas, il faut signaler que toute l’information pertinente leur est transmise mais nous n’avons pas de contrôle sur la compréhension que chaque travailleur peut en avoir. Cependant, leurs représentants consulaires en connaissent tous les tenants et les aboutissants et vous constateriez qu’ils sont bien en mesure de faire valoir leurs droits.
Rapatriements prématurés et congédiements
Là encore, M.Nieto fait preuve d’ignorance ou de mauvaise foi. Je peux vous assurer qu’il n’y a pas de travailleurs qui sont rapatriés sans l’autorisation du représentant consulaire et que nous ayons toutes les raisons invoquées par les parties en cause (travailleur, employeur, agent de liaison consulaire) avant d’organiser le rapatriement du travailleur. Pour tout vous dire, rapatrier un travailleur c’est la dernière chose que nous voulons faire et quand c’est possible, nous trouvons une solution ou un compromis satisfaisant.
Il y a à chaque année, des rapatriements de travailleurs pour des raisons personnelles ou familiales telles que décès, maladie, problèmes légaux, etc. par contre il est très rare qu’un travailleur soit congédié mais c’est possible. Rappelons nous que le pouvoir de congédier va avec le pouvoir d’embaucher et il peut y avoir des raisons fort justifiables pour lesquelles un congédiement est nécessaire, que ce soit un travailleur local ou un travailleur étranger.
Conclusion
Finalement, M.Nieto affirme sans l’ombre d’un doute que tous ces travailleurs vivent ici dans l’ombre, l’isolement et la peur constante. C’est là une conclusion bâclée et l’opinion d’une organisation syndicale qui cherche à se faire valoir auprès de ces travailleurs.
Il est évident que ces travailleurs ne viennent pas ici en touristes et le fait de ne pas parler la langue française crée certainement des obstacles. Toutefois, ils ont des activités de groupe (parties de soccer), des sorties diverses (messes, magasinage, restaurant, etc.). Quand vous travaillez 60-70 heures par semaine, vous avez un certain nombre de choses à faire comme le lavage du linge, la préparation de repas, l’épicerie, téléphoner à la famille, aller à la banque, faire des transferts d’argent, etc.....
Je suis d’accord pour dire que l’ennui est important mais ça fait partie de l’engagement et ce n’est pas tout le monde qui peut s’en accommoder facilement. C’est un excellent programme, très bon financièrement pour les travailleurs et essentiel pour assurer le développement de nos productions horticoles.
* René Mantha, directeur général de F.E.R.M.E.