Accueil > Les Cousins > Amérique Centrale et Caraïbes > Impunité au Guatemala, un épisode non résolu.
Par Miguel Jiménez,
Agencia de Información Solidaria,
janvier 2003.
Texto en español
La violence politique et l’impunité sont un problème chronique au Guatemala. Les efforts pour enquêter et punir les abus du passé ont été peu fructueux, et les défenseurs des droits humains sont victimes d’actes d’intimidation réitérés. En outre, à cela s’ajoute le climat de corruption généralisée dans le pays. Le risque que cette violence augmente dans le futur est très élevé, puisqu’on ne lui met pas un frein.
Depuis la fin de la guerre civile en 1996, une série de groupes clandestins, parfois liés aux services officiels de sécurité, ont spécialement attaqué les défenseurs des droits humains et d’autres personnes luttant pour que justice soit faite sur les brutalités qui ont été commises pendant le conflit, durant lequel environ 200.000 personnes (la grande majorité indigènes) furent exécutées de manière extrajudiciaire ou "disparurent" aux mains des forces armées du Guatemala et de leurs collaborateurs civils, les Patrouilles d’Autodéfense Civile (PAC). Dans la grande majorité des cas, ceux qui ordonnèrent et menèrent à bien ces graves violations des droits de l’homme jouissent d’une impunité totale pour leurs crimes. Ces dernières années, par exemple, des menaces de mort ont été envoyées à plusieurs ONG, certains de leurs bureaux ont été pillés et plusieurs de leurs membres agressés ou même assassinés. C’est le cas de Guillermo Ovalle de Leon. Le 29 avril 2002, ce membre de la Fondation Rigoberta Menchú, a été assassiné dans un restaurant près des bureaux de la fondation dans la ville de Guatemala. L’objectif de ces attaques est de dissuader clairement les initiatives en cours pour enquêter et traiter les abus des droits humains commis dans le passé. Objectif qu’ils sont en train d’accomplir.
Le gouvernement d’Alfonso Portillo a publiquement reconnu l’existence de ces groupes clandestins et a organisé une série de réunions entre un Cabinet de Sécurité spéciale et des représentants d’ONG qui avaient été harcelés. Mais ces conversations n’ont fait apparaître aucun résultat concret, et plusieurs ONG ont cessé d’y participer en alléguant que le gouvernement ne prenait pas de mesures sérieuses pour désarticuler les groupes clandestins.
De fait, le gouvernement a été très critiqué pour d’autres actes qui profitent à l’impunité et à l’injustice. Ainsi, Human Rights Watch a manifesté sa préoccupation pour la proposition gouvernementale d’offrir des compensations à d’ex-membres des Patrouilles d’Autodéfense Civile (PAC), les milices civiles qui ont été responsables de violations généralisées des droits humains pendant les années 80. En juillet, d’anciens membres des PAC occupèrent un aéroport national et ont pris des civils en otage pour exiger une compensation financière de la part du gouvernement. Le président Portillo répondit publiquement à ses actions en leur faisant l’éloge d’être des "héros" nationaux et en annonçant l’intention de son gouvernement de répondre à leurs revendications.
De même, les ONG considèrent aussi comme inacceptable la décision de Portillo de reporter le démantèlement de l’État Major Présidentiel (EMP), corps militaire d’élite associé aux violations des droits humains dans le passé, et qui devait être démonté conformément aux Accords de Paix de 1996.
D’autre part, un fait positif a été le succès du procès pénal contre les responsables du meurtre de l’Évêque Juan Gerardi, frappé à mort en 1998, deux jours après avoir rendu public un rapport de l’Église sur la guerre. Le tribunal a reconnu coupables de meurtre le Colonel Byron Lima Estrada et son fils, le Capitaine Byron Lima Oliva. Des obstacles importants dans l’enquête sur les violations des droits humains commises par les militaires furent les intimidations des procureurs, juges et témoins. À ce sujet, le tribunal traitant l’affaire Gerardi n’a pas fait exception. Dès le début, les personnes clefs de l’affaire furent victimes d’"un harcèlement qui s’est intensifié aux moments clefs du jugement", selon la Mission de Vérification des Nations Unies au Guatemala (MINUGUA).
Bien que le résultat de ce jugement soit un énorme progrès, on a enregistré peu de d’avancées dans d’autres cas célèbres. Le procès contre des militaires impliqués dans le massacre de Xamán en 1995, au cours duquel furent assassinées onze personnes, a été annulé par la Cour Suprême sur base d’erreurs de procédure qui auraient été commises au cours du jugement. Bien qu’un nouveau jugement ait été ordonné, les preuves clefs dans cette affaire ont été perdues ou manipulées. On n’a pas non plus enregistré de progrès dans le procès, entamé en 1994, contre les soldats accusés d’avoir perpétré en 1982 le massacre de Dos Erres, où plus de 160 personnes furent tuées.
Malheureusement, l’injustice atteint tous les échelons de la société, et paraît ne pas avoir de limites. La violence anti-syndicale est une réalité, de nombreux journalistes sont menacés, beaucoup de fonctionnaires de la police ont été accusés d’obstruction à la justice, de torturer et même de mener des exécutions extrajudiciaires ; et comme si cela ne suffisait pas, l’absence d’une application effective de la loi et le haut indice de délinquance commune ont cimenté l’insécurité et la pratique permanente du lynchage comme façon de "rendre justice". En définitive, aujourd’hui, plus que jamais, la Communauté internationale doit attirer l’attention sur un pays qui se montre incapable de cicatriser les blessures d’un des pires conflits de l’Amérique latine.
© COPYLEFT RISBAL 2003.