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Les femmes colombiennes ont participé aux révolutions du pays à différentes époques, en tant qu’espionnes, recruteuses ou auxiliaires.
Quand on compare les listes d’hommes et de femmes révolutionnaires, on dirait que dans la plupart des cas, le terme de révolution n’a pas la même signification, qu’il se décline au féminin ou au masculin. Alors que les récits qui évoquent les hommes s’élèvent toujours en épopées romanesques poignantes dans lesquelles ils mènent de grands changements politiques, sociaux, scientifiques, participent à des mouvements historiques d’importance, et apparaissent au cœur même des idées, des complots et des aventures, les femmes, elles, ne paraissent pas faites du même bois. Alors que le « révolutionnaire héroïque » est rentré depuis longtemps dans l’imaginaire collectif, qui a déjà songé à ce que soit une femme ? De toute manière, les révolutionnaires femmes peuvent apparaître courageuses et visionnaires, toujours impertinentes, mais au grand jamais, comme héroïques.
C’est peut-être pour cela que bien souvent les femmes qui ont pris part aux grandes révolutions, apparaissent la plupart du temps dans des rôles traditionnellement réservés aux femmes, en particulier dans des tâches d’aide aux personnes, dans lesquelles elles ne pouvaient pas réellement remettre en cause le schéma traditionnel de leur condition de femme. Il est impossible de nier que bon nombre d’entre elles sont passées à la postérité précisément pour avoir transformé les espaces , les activités et les règles morales dans lesquelles nous les femmes, avons été confinées, et même pour avoir osé se battre pour accéder aux mêmes droits que leurs compagnons. Comment pourrait-on oublier les poèmes de Sœur Juana Inès de la Cruz, qui pour pouvoir accéder au savoir a dû rentrer dans les ordres, ce qui n’a pas empêché que même ainsi on l’a considérât comme « la pire de toutes » ? Qui n’a jamais entendu parler des suffragettes américaines ? Ou de Deborah Arango, l’artiste colombienne qui a osé peindre des nus et refléter ses idées politiques dans ses toiles, à une époque où les demoiselles décentes décoraient leurs maisons avec des natures mortes des plus convenables ?
Dans les guerres, théâtre d’action que l’on conçoit traditionnellement comme un monde masculin, et dans lequel, par conséquent la présence d’une femme est « contre nature », les héroïnes apparaissent généralement comme des mères de soldats, des martyrs ou des partisanes de la cause. Elles préparent la nourriture des troupes, rapiècent les pantalons usés, s’occupent du foyer tandis que les hommes, eux, vont défendre la patrie.
Les récits d’expériences de guerre des femmes colombiennes vont dans ce sens. Souvent, les héroïnes de l’indépendance de la Nouvelle-Grenade y sont évoquées en leur qualité d’amantes, de mères, de sœurs, d’épouses, de protectrices des insurgés. Si La Pola, Mercedes Ábrego et Águeda Gallardo - pour ne citer qu’elles - ont bien joué un rôle fondamental dans la lutte pour l’indépendance, en soutenant la cause patriote en tant que collaboratrices, espionnes, donneuses d’idées, recruteuses ou couturières des troupes, elles sont toujours restées en arrière plan, comme le voulait alors leur culture, et non comme protagonistes reconnues. C’est dans cette perspective que l’on aborde les missions d’espionnages accomplies par la Policarpa, qui prétendait faire des travaux de couture chez des femmes du mouvement réaliste, alors qu’elle s’ingéniait en réalité à recueillir de précieuses informations pour les troupes. La casaque brodée de fils d’or et offerte par Mercedes Ábrego au Libertador, pour lui témoigner son affection est elle aussi devenue célèbre ; cependant, on ne peut pas en dire autant de toutes les héroïnes qui ont combattu sur les champs de bataille aux côtés de Bolivar - bien souvent déguisées en hommes pour ne pas être expulsées de la troupe - et qui sont restées dans l’ombre.
Les Mille Jours
On commence à découvrir l’existence des femmes colombiennes qui ont participé à la Guerre des Mille Jours. Pas de celles qui ont œuvré en arrière ligne - comme les fameuses « Juanas », en faisant la cuisine et en réconfortant les soldats, en changeant les cartouches et en servant de l’aguardiente aux troupes, ou encore, en s’occupant des blessés - mais en tant que combattantes des groupes de guérilla libéraux. Cela est dû au fait qu’au cours des époques de grands changements, « la cause défendue » est bien plus forte que tout considération de genre, et c’est pourquoi la participation des femmes dans l’armée est le plus souvent rattaché aux groupes irréguliers - dans les guerres révolutionnaires, les insurrections ou les guerres d’indépendance.
La plupart de ces femmes appartenait aux couches de population modestes, et, bien que nombre d’entre elles ont incorporé les troupes pour des motifs affectifs, il ne faut pas perdre de vue que d’autres décidèrent aussi de le faire librement et pour des raisons politiques. Elles ont porté des armes et sont montées à cheval ; certaines ont même accédé au grade de capitaine, et bien que l’on n’ait pas répertorié l’existence de compagnies exclusivement féminines - comme ce fut le cas durant la révolution mexicaine - , on sait de source sûre que des groupes de femmes ont bel et bien mené des actions de guerre. Mais, des années plus tard, lorsque le gouvernement colombien a décidé de donner une pension aux combattants de la Guerre des Mille Jours, les femmes qui avaient combattu au même plan que les hommes n’ont pas eu le droit d’en bénéficier, au prétexte qu’elles n’avaient pas le statut de citoyennes. Une fois la révolution finie, une fois la guerre achevée, au moment des tout reconstruire, les femmes serviables sont priées de rentrer gentiment chez elles. Et c’est encore mieux quand elles n’en sont pas sorti.
Leur présence est tout aussi invisible au cours de la période de « La Violence », pendant laquelle les femmes ont combattu aux côtés des groupes de guérilla libéraux. Bien que l’on sache que parmi elles se trouvèrent des femmes telles que la ’« Mona Ofelia »’, connue aussi sous le nom de ’« Sergent Matacho »’, leurs noms sont pour la plupart passés aux oubliettes d’une histoire racontée par les hommes et pour les hommes, dans laquelle ces mêmes femmes sont effacées, et confinées à la maison, aux travaux de couture, et à lutte privée - et anonyme - de la survie.
Cela ne les a pas empêché par la suite de continuer à participer aux révolutions politiques du pays sur différents plans, et pour la plupart hors du foyer familial ; en partie car c’est là, dans le domaine social, qu’elles ont l’impact le plus important. Nombreuses et de tous horizons sont les femmes qui ont rempli les files des groupes insurgés colombiens dans les années 70 et 80 : des paysannes qui n’ont pas fait d’études aux universitaires ; des métisses, des indigènes, des blanches, des noires, et des descendantes d’immigrés. Peu nombreuses en revanche sont celles à avoir fait part de leur expérience ; seules Vera Grabe y María Eugenia Vásquez, toutes deux démobilisées du groupe M-19, se sont risquées à raconter leur histoire de femmes révolutionnaires. Les autres attendent toujours : enfin, que l’on fasse le récit de leur expérience, mais pas d’un point de vue masculin - en terme de dates et de batailles, de drapeaux et de consignes - mais à partir de leur expérience propre en tant qu’actrices politiques d’un société où à l’heure actuelle les espaces publics où les femmes ont droit de cité sont encore bien peu nombreux.
Aujourd’hui encore, certaines des femmes qui ont participé aux groupes démobilisés des années 90 continuent à revendiquer leur statut d’insurgées, parce que non seulement elles ont découvert que ’« la vraie révolution résidait dans la paix », mais qu’au-delà, elles sont restées révolutionnaires à la maison, dans la rue, au lit et dans leurs idées. Elles qui connaissent le monde masculin mieux que quiconque - ayant partagé l’espace qui leur était réservé pendant la guerre - ont inventé et réinventé de nouvelles manières d’être une femme. Toutefois, il est une douleur qu’elles partagent toutes : l’impossibilité de raconter leur histoire dans un pays qui est toujours en guerre. Seules quelques-unes ont droit à accéder cette mémoire, c’est à dire, à ’« se souvenir du passé » ; en effet, la vie de nombreuses femmes est couverte de censure. Pour certaines, comme ce fut le cas pour Vera Grabe, la démobilisation a été l’occasion de se montrer à visage découvert, de sortir sur la place publique sans masque et sans fard, d’être elles-mêmes, et de changer les choses par la voie légale. Mais pour la plupart, elles ont continué à vivre dans la clandestinité.
Cependant, les femmes révolutionnaires ne sont pas uniquement celles qui ont pris les armes, ni seulement les femmes courageuses qui ont apporté leur aide aux pères de la patrie. La majorité des insurgées a été complètement oubliée ; les femmes qui ont révolutionné le pays le plus en profondeur n’ont pas été retenues par l’Histoire : leurs vies et leurs luttes continuent en silence. Nous en savons donc peu sur les premières colombiennes qui se sont assisses sur les blancs de l’université, sur les femmes ouvrières, sur les femmes syndicalistes et sur les femmes sportives. Souvent, lorsque l’évoque les femmes qui ont le plus contribué aux changements du pays, on nous parle de la première femme qui a osé poser nue en Colombie - comme si elle avait inventé la nudité ! -, mais qui a déjà entendu mentionner en telle occasion le nom d’Inés Ochoa de Patiño, la première femme en Colombie qui ait obtenu son diplôme de médecin ?
Il reste encore beaucoup de luttes de femmes révolutionnaires à raconter. La majorité de leurs histoires s’est irrémédiablement perdu dans les méandres de l’Histoire, et s’est est allée rejoindre les archives du silence que compose l’ensemble de notre histoire. Mais par chance, il y en a encore beaucoup qui peuvent être contées.
Yoana Fernanda Nieto
Semana . Bogotá, Colombie le 12 décembre 2005.
Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Estelle et Carlos Debiasi
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El Correo. Paris, le