Portada del sitio > Los Primos > América Central y Caribe > Haïti Les Casques bleus pris dans la tourmente haïtienne.
Par Marc Thibodeau *
La Presse. Port-au-Prince, le vendredi 24 février 2006
Lundi, 13 février. Les partisans du candidat présidentiel René Préval descendent dans les rues de la capitale haïtienne pour réclamer que le Conseil électoral provisoire publie ses résultats définitifs et confirme la victoire de leur favori.
Les esprits s’échauffent près d’une barricade improvisée sur la route de Tabarre, non loin de l’aéroport international de Port-au-Prince. Certains manifestants s’en prennent à des soldats de la Mission internationale de stabilisation des Nations unies (MINUSTAH). Des coups de feu résonnent. Un jeune homme portant un t-shirt à l’effigie de M. Préval tombe au sol, blessé mortellement.
Quelques jours plus tard, un vendeur de souliers rencontré par La Presse sur les lieux de l’incident impute cette mort aux soldats onusiens. Un premier contingent, relate Prophète Jude Luckman, a tiré en l’air pour calmer des manifestants qui lui lançaient des pierres, avant de quitter les lieux. D’autres soldats, «des Argentins», sont venus et l’un d’eux a ouvert le feu après que la victime eut reculé.
«Impossible», rétorque le porte-parole de la MINUSTAH, David Wimhurst, puisque les seuls Casques bleus présents à l’intersection ont tiré en l’air, rien de plus. Aucun soldat argentin ne pouvait être sur les lieux puisque ce n’est pas leur secteur, ajoute-t-il.
Ces versions contradictoires illustrent les tensions existantes dans la capitale haïtienne entre la population et la MINUSTAH, formée d’un contingent international de 9500 soldats et policiers.
La méfiance est plus que manifeste dans un récent bulletin du Réseau national de défense des droits humains en Haïti (RNDDH), qui demande, en titre, si la MINUSTAH est «pour ou contre la paix».
L’organisme évoque, en vrac, la présence au sein de la mission d’un gradé chilien accusé d’avoir travaillé pour la police politique d’Augusto Pinochet; une intervention «disproportionnée» en octobre dans un entrepôt de Port-au-Prince durant laquelle un garçon de 10 ans a été blessé par balle, et un accrochage entre des soldats et des policiers haïtiens mal identifiés.
Le président du RNDDH, Pierre Espérance, affirme en entrevue que la MINUSTAH est «trop passive» et n’en fait pas assez pour faire cesser les attaques et les enlèvements dans la capitale. Il souligne, à titre d’exemple, qu’il est incompréhensible que des milliers de partisans de René Préval aient pu faire irruption la semaine dernière à l’hôtel Montana, un établissement chic de la capitale, sans que la MINUSTAH ne s’interpose.
Signe des temps, un employé de l’hôtel a même indiqué à La Presse qu’il était convaincu que la MINUSTAH avait été payée pour laisser passer les manifestants.
M. Wimhurst, qui dit avoir entendu son lot de rumeurs «saugrenues» depuis son arrivée dans le pays, affirme que la mission a mal évalué les risques cette journée-là et n’avait pas déployé suffisamment de soldats. Quoi qu’en pensent les Haïtiens de la capitale, le porte-parole estime que la MINUSTAH a eu un impact déterminant dans le pays, depuis son arrivée en 2004, en permettant de sécuriser «plus de 90%» du territoire.
Le casse-tête Cité-Soleil
La situation dans le bidonville de Cité-Soleil, qui sert de base arrière à plusieurs gangs armés se réclamant de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, génère cependant beaucoup d’insécurité à Port-au-Prince, convient-il. La quasi-totalité des 10 soldats et policiers de la MINUSTAH tués en service sont morts dans ce secteur. En janvier, le groupe des 184, un regroupement d’organisations civiles et d’acteurs influents du milieu des affaires qui avait joué un rôle déterminant dans le départ de l’ex-président, a organisé une journée de grève pour obtenir que la MINUSTAH intervienne avec plus de force dans le bidonville.
La manifestation survenait alors que les Casques bleus étaient engagés depuis quelques mois dans des affrontements armés quasi quotidiens avec les gangs. Une intervention massive aurait été très mal reçue à quelques semaines des élections par les partisans de Jean-Bertrand Aristide, qui accusent régulièrement la MINUSTAH d’être à la solde de l’élite du pays, au détriment des classes défavorisées aujourd’hui rangées derrière René Préval.
Difficile, dans un tel contexte de polarisation politique, d’échapper aux remarques acerbes, souligne M. Wimhurst, qui insiste sur le fait qu’il n’y a pas de solution «militaire» à la problématique de Cité-Soleil. Il fait écho aux propos du président René Préval, qui insiste sur la nécessité d’une approche globale, tenant compte de la misère économique et sociale de la zone.
Le nouveau dirigeant haïtien demande parallèlement que la MINUSTAH augmente la proportion de policiers dans ses rangs. M. Wimhurst croit que le nombre de soldats finira par être revu à la baisse. «Ce dont le pays a besoin à plus long terme, c’est d’une police forte, efficace, qui est neutre sur le plan politique et qui respecte les droits de l’homme. Pour l’instant, les Haïtiens ne l’ont pas», conclut le porte-parole de la mission, dont le mandat vient d’être prolongé pour une période de six mois.
* Envoyé spécial.