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Un an après la chute de l’ex-président Jean Bertrand Aristide, la transition dans la République d’Haïti patine : l’insécurité reste un fléau en dépit d’une mission de Casques bleus et les conditions de vie misérables de la population ne se sont pas améliorées.
Par Clarens Renois
AFP. Port-au-prince, Le samedi 26 février 2005
Jean Bertrand Aristide, exilé en Afrique du Sud, a été contraint à la démission le 29 février 2004 sous la menace d’une insurrection armée et la pression des États-Unis, de la France et du Canada. Il a été remplacé par un gouvernement de transition dirigé par un président provisoire, Boniface Alexandre, et un Premier ministre, Gérard Latortue.
« En Haïti, plus ça change, plus c’est la même chose », résume sous couvert d’anonymat un avocat proche de la présidence haïtienne qui reproche à la communauté internationale sa main mise sur Haïti.
« L’incohérence et l’incompétence du gouvernement provisoire ont enfoncé le pays dans le désespoir », dénonce de son côté le sociologue haïtien Laenec Hurbon, membre du CNRS français (Centre national de la recherche scientifique), en évoquant la corruption et l’impunité qui règnent dans le pays.
Cette semaine, Gérard Latortue a rejeté toute idée de démission, réclamée par certains partis politiques, après une évasion massive de 481 détenus à Port-au-Prince le 19 février. « Je ne démissionnerai pas, je mènerai la lutte jusqu’au bout » et « nous lutterons contre quiconque se met en travers de la politique du gouvernement ».
De son exil, l’ex-président Aristide continue de peser. Dans un récent entretien, il a indiqué vouloir retourner en Haïti et rappelé qu’il considérait avoir été victime « d’un enlèvement » en février 2004.
Pour ses adversaires, il continue d’influencer le jeu politique en injectant en Haïti de fortes sommes d’argent pour faire échouer la transition. « L’absence d’Aristide permet de construire la démocratie et un État de droit non violent », estime toutefois un dirigeant socialiste, Micha Gaillard.
Les violations des droits de l’Homme et la misère ont augmenté depuis un an, rétorque Gérald Gilles, un ancien sénateur proche de l’ex-président. « Les problèmes d’Haïti vont au-delà d’Aristide. Ce sont des problèmes datant de 200 ans qui nécessitent un dialogue profond et sérieux, mais le gouvernement n’y croit pas ».
La violence est toujours très présente, notamment via le trafic de drogue. Des partisans armés d’Aristide continuent de contrôler plusieurs quartiers de Port-au-Prince. Depuis septembre, au moins 402 civils et 19 policiers sont décédés de mort violente dans la capitale, selon la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens et des sources policières.
Un programme de désarmement des milices n’a toujours pas débuté alors que des élections générales d’un coût de 45 millions de dollars sont prévues fin 2005. D’anciens militaires possédant des armes de guerre et occupant des bâtiments publics pourraient compromettre leur succès.
Avec 6000 militaires et 1398 policiers déployés en Haïti depuis juin, les Nations unies devraient garantir l’honnêteté des élections. Mais il faudra convaincre les électeurs d’y participer. « Les Haïtiens font de moins en moins confiance à leurs dirigeants politiques », admet l’Onu.
Plus de 80 formations se préparent à présenter des candidats aux municipales du 8 octobre et aux deux tours des législatives et de la présidentielle, les 13 novembre et 18 décembre. Une carte d’identification biométrique sera distribuée aux 4 millions d’électeurs haïtiens.
Sur le plan économique et social, le gouvernement peine à répondre à l’attente des 8 millions d’habitants d’Haïti, qui compte 70% de chômeurs. L’aide internationale d’1,4 milliard de dollars promise depuis juillet tarde à se concrétiser faute de projets bien préparés, selon des sources onusiennes. Pour Anthony Barbier, représentant la société civile, « les conditions matérielles de la population ne se sont pas améliorées depuis un an ».
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Une vingtaine de morts en 24 heures à Port-au-Prince
Une vingtaine de personnes ont été tuées par balles jeudi et vendredi dans différents quartiers de Port-au-Prince, a annoncé une source policière.
Par l’AFP.
Port-au-Prince, le vendredi 25 février 2005
Treize personnes ont été abattues jeudi soir par des individus armés à « Cité l’éternel », quartier populaire au sud de la capitale haïtienne, a indiqué un officier de police sous couvert de l’anonymat.
Selon les habitants du bidonville, une vingtaine de personnes ont été blessées par balles et trois maisons ont été incendiées lorsque des inconnus armés ont ouvert le feu sur des jeunes qui avaient monté une brigade de vigilance pour combattre l’insécurité dans leur quartier.
Cinq personnes, apparemment des supporteurs de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, ont d’autre part été tuées lors d’échanges de tirs avec la police dans le quartier populaire de la Saline, a encore indiqué la source.
De nombreux tirs ont été entendus vendredi dans le centre de Port-au-Prince et dans plusieurs autres quartiers, créant la panique parmi la population.
Une organisation de défense des droits de l’homme, la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens (NCHR), a dénombré huit corps à la morgue de l’hôpital de l’université d’État d’Haïti. Une dizaine de personnes portant des plaies par balles ont été soignées dans ce centre hospitalier.
Selon des témoins cités dans des radios de la capitale, des « chimères », partisans armés de l’ancien régime, ont tenté d’organiser des manifestations à l’approche du premier anniversaire de la chute de l’ancien président Aristide dont ils continuent de réclamer le retour.
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HAÏTI
Deux morts lors d’une manifestation pro-Aristide
Au moins deux personnes ont été tuées par balles lundi à Port-au-Prince lors de la dispersion par la police d’une manifestation de partisans de l’ex-président haïtien Jean Bertrand Aristide, réclamant son retour un an après son départ précipité d’Haïti.
Par Laura Bonilla
Agence France-Presse
Port-au-Prince, Le lundi 28 février 2005
Ce bilan de deux morts a été donné par des radios, certains manifestants allant jusqu’à parler de quatre morts et d’une dizaine de blessés.
La police pour sa part n’a fait état que d’un mort et d’un blessé.
La manifestation à laquelle participaient plusieurs centaines de personnes - plusieurs milliers, selon des participants - s’est produite dans le quartier du Bel-Air, bastion des partisans de l’ancien président, habité par une population très pauvre. Les manifestants dont un prêtre, Gérard Jean Juste, proche d’Aristide, ont réclamé le retour à Port-au-Prince de l’ex-président. « Nous voulons le retour d’Aristide », criaient des manifestants.
Lorsque la police a voulu disperser la manifestation, elle a utilisé des gaz lacrymogènes et a tiré à balles réelles, selon des manifestants. « La police a ouvert le feu sur une marche pacifique en présence des Casques bleus de la Minustah », a dénoncé un manifestant.
La Minustah (Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti) compte 6000 militaires et quelque 1400 policiers civils.
À l’occasion du premier anniversaire de la chute de l’ex-président, des tirs ont été entendus dans plusieurs quartiers de la capitale haïtienne. Dans la crainte d’incidents, l’activité commerciale à Port-au-Prince a tourné au ralenti lundi. La plupart des écoles sont restées fermées.
La police haïtienne et des unités de Casques bleus de l’ONU étaient visibles dans plusieurs quartiers. « Il y a moins de gens que d’habitude », relevait un Casque bleu du Bénin.
Après la manifestation, le quartier du Bel-Air a continué d’être animé, a constaté un journaliste de l’AFP. Une cinquantaine de jeunes partisans d’Aristide - appelés « chimères » et en général armés - discute à un angle de rue entre deux tas d’ordures entourés de mouches.
« J’ai vu un seul mort, mais il y a eu plusieurs. La police a tiré la première et nous avons été la cible de gaz lacrymogènes », raconte un jeune.
« Avec Aristide, le pays fonctionnait mieux et il y avait plus d’argent », indique Fito Jean, un vendeur de sandales de 33 ans, assis près d’une mare d’eaux usées qui déborde régulièrement dans les rues du quartier.
Un peu plus loin, un véhicule blindé blanc des Nations unies monte la garde. Ses militaires ne sont pas intervenus dans la manifestation. « Il y a eu deux tirs et plus tard cinq nouveaux tirs pour empêcher la police de venir prendre les corps », raconte Weimin Shao, un Casque bleu chinois, parlant de 400 à 500 manifestants.
Sous la menace d’une insurrection armée et la pression des États-Unis, de la France et du Canada, Jean Bertrand Aristide a démissionné le 29 février 2004 et quitté Haïti dans un avion affrété par les Américains. Il vit aujourd’hui en exil en Afrique du Sud. Haïti est géré depuis par un gouvernement de transition, dirigé par le premier ministre Gérard Latortue.
« Chaque jour il y a des morts, rien ne marche. C’est la même chose. Ce sont des dirigeants criminels, voleurs, assassins. On n’a pas à manger, à boire. La Minustah n’identifie les chimères », dénonce Michel Juste, 63 ans.