Accueil > Les Cousins > Amérique Centrale et Caraïbes > Haïti : Record d’impopularité pour Jean Bertrand Aristide.
Alors qu’une marrée humaine comparable aux foules gigantesques et euphoriques de l’après Duvalier (février 1986) déferlait le 22 décembre sur la capitale haïtienne, des partisans de Jean Bertrand Aristide, en nombre insignifiant, s’offraient en spectacle dans l’aire du Champ de Mars, principale place publique de la capitale. Imperturbable, Aristide continue de « préparer » la célébration du bicentenaire d’Haiti le premier janvier prochain. Sans programme officiel, jusqu’à présent.
Par Vario Sérant
Sous le coup de dix heures du matin, heure haïtienne, ce 22 décembre, répondant à l’appel d’un regroupement d’organisations de la société civile et des partis politiques de l’opposition, des gens de tous âges et de toutes catégories sociales et professionnelles commençaient à se réunir à la place du Canapé-Vert, le lieu de ralliement.
Au même moment, des bandes de rara composées presqu’exclusivement d’adolescentes et d’adolescents créaient l’animation devant le Palais National. Quelques moments de déhanchement et des slogans lancés pelle mêle en faveur du Chef de l’Etat, les « carnavaliers » s’évaporent.
En début d’après-midi, le décor change des deux côtés.
D’une part, une foule compacte arborant des branches d’arbres et des mouchoirs blancs en signe de paix, le long de plus d’un kilomètre de route, sillonne, au pas de course, diverses artères de la capitale (Delmas, Nazon, Lalue), en scandant des slogans coutumiers du genre « si c’est ça la minorité, Jean Bertrand Aristide ne sait pas compter ».
De l’autre, des chimères (casseurs recrutés par le pouvoir dans les quartiers défavorisés) sont rassemblés en petits groupes dans l’aire du Champ de Mars.
Très menaçants, ils ont provoqué, à plusieurs reprises, une certaine panique au coeur de Port-au-Prince. Ils ont placé des barrages non loin de l’intersection Poste Marchand / Avenue John Brown (Lalue) alors qu’ils flairaient l’arrivée des manifestants anti-Aristide et tiré plusieurs coups de feu.
Sous les regards de policiers impuissants, ils ont confisqué des véhicules pour être plus « opérationnels ». Une de ces scènes insolites s’est déroulée dans les parages d’une station service située à quelques mètres du Palais National. Un employé en cravate de l’Office National d’Assurance a été éjecté de son véhicule immatriculé SE (Service de l’Etat)-2478.
On a par ailleurs aperçu plusieurs véhicules suspects, dont une « jeep » Rocky immatriculée 1-00-79, à bord desquels circulaient des policiers et civils en armes.
La manifestation anti-Aristide s’est déroulée sous forte protection policière. Deux morts et six blessés sont tout de même à déplorer, selon le bilan dressé en fin de journée par la police nationale.
Les personnes tuées auraient été touchées au moment où des agents de la compagnie d’intervention et de maintien d’ordre (CIMO) ouvraient le feu, selon des témoins, pour bloquer une « jeep » d’individus armés qui tiraient contre la manifestation anti-gouvernementale pour fomenter la pagaille.
Parmi les membres de ce commando figureraient les chefs de groupes lavalas René Civil et Paul Raymond. Ces derniers ont démenti leur présence à bord du véhicule incriminé, une « jeep » Montero immatriculée « location 2343.
Le gouvernement et les responsables policiers ont attribué ces incidents au fait que les organisateurs de la marche n’ont pas respecté l’itinéraire convenu (pour la manif) avec la police.
Après quelque trois heures d’horloge, la manifestation s’est achevée dans l’enceinte de la Faculté des Sciences Humaines, co-victime avec l’INAGHEI (une autre unité de l’Université d’Etat d’Haïti) d’un raid sanglant des partisans du président Jean Bertrand Aristide le 5 décembre dernier. Cet assaut s’était soldé par une trentaine de blessés.
Au même moment que Port-au-Prince, plusieurs autres villes du pays dont Gonaïves, Léogane et Saint Marc étaient également debout contre Jean Bertrand Aristide ce 22 décembre.
Un peu partout dans le pays, les populations réclamant le départ du pouvoir de Jean Bertrand Aristide disent vouloir maintenir la mobilisation jusqu’à satisfaction de cet objectif.
Le coeur des haïtiens n’est pas à la fête. Sur les principales stations de radiodiffusion, des musiques engagées volent la vedette aux traditionnels chants de noël.
Comme un leitmotiv, ce slogan revient à chaque manifestation anti-gouvernementale : « Nou pap bwè soup premye janvye ak Aristide » (Nous ne boirons pas la soupe du 1er janvier avec Jean Bertrand Aristide).
Ce 23 décembre, le collectif d’artistes et d’intellectuels pour la défense des libertés avait prévu d’organiser à la Faculté des Sciences Humaines - lieu symbolique de la résistance au régime lavalas - un méga concert avec, entre autres, des groupes et chanteurs haïtiens très prisés tels « Boukman Eksperyans » de Théodore Beaubrun Junior dit lòlò, « Wawa », « Masters » Jah Nesta et Mushi Widmaier.
Le collectif et la coordination des étudiants de l’Université de l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) envisagent à l’occasion de dénoncer la dictature lavalas.
Une manifestation de médecins pour réclamer également la démission d’Aristide a été prévue à Port-au-Prince pour le 24 décembre, veille de la noël.
Alors que la contestation enfle dans tout le pays, Jean Bertrand Aristide prépare imperturbablement les célébrations du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti ; une entreprise menée par le gouvernement en solitaire, sans que la population ne soit mise au courrant du programme des festivités officielles.
Les différents groupes organisés de la société ont pris leur distance face à la démagogie caractérisant la « préparation » de la célébration officielle et la recherche par Jean Bertrand Aristide, à travers ces « festivités » d’une légitimité internationale.
En Haïti et à l’étranger des critiques sont également émises sur la présence depuis le 22 décembre dans les eaux haïtiennes d’un navire de guerre sud-africain, accompagnant la visite prévue du président sud-africain Thabo Mbeki à l’occasion du bicentenaire d’Haiti, le premier janvier 2004.