recherche

Portada del sitio > Los Primos > América Central y Caribe > Haïti- Haïti : à qui la faute ?

6 de marzo de 2004

-Haïti-
Haïti : à qui la faute ?

 

Par Denis Sieffert
Politis, 4 mars 2004

Aux yeux des citoyens français, Haïti souffre d’un terrible handicap : leur grille de lecture y est inopérante. Dans le chaos qui embrase depuis plus d’un mois cette moitié d’île des Caraïbes, les repères font défaut. Le démocrate ne trouve même pas à qui s’identifier ­il a appris à se méfier des « rebelles », et l’information qu’il reçoit l’incite davantage à la résignation qu’à la mobilisation. Lorsque son intérêt se réveille pour cette ancienne colonie, c’est toujours la même chose : il est trop tard. Les voitures flambent déjà, les pilleurs tiennent la rue, et les milices font des cartons sur tout ce qui bouge. Le spectacle de la haine y paraît indéchiffrable. Circulez, il n’y a rien à comprendre. Tout juste à se gaver d’images mortifères qui portent en elles tous les racismes : ces gens-là ne seraient pas faits pour la démocratie ! Haïti, c’est cela. Le préjugé est d’autant plus tenace que la raison, chaque fois qu’elle a cru pouvoir se frayer un chemin, a été grugée. Le départ précipité du président Jean-Bertrand Aristide, dimanche matin, consacre l’une de ses défaites les plus cuisantes. Comme beaucoup des Haïtiens, comme des journalistes occidentaux et des militants associatifs assidus de ce minuscule pays de neuf millions d’habitants, le citoyen français avait cru ­ un temps ­ à la fin des années 1980 que ce prêtre défroqué, porte-parole des pauvres, allait au moins mettre un peu de baume sur les plaies des déshérités des bidonvilles. Victorieux en 1990, au terme d’une élection régulière, et légitimé de plus belle par le coup d’État militaire qui l’avait destitué six mois plus tard, Aristide avait retrouvé son palais présidentiel en 1994. Hélas, la suite n’est qu’une banale histoire de pouvoir qui corrompt et qui rend fou. Une histoire qui montre les limites de ce genre de personnages, populistes, invertébrés, sans programme politique, naviguant à l’intuition et offerts à toutes les influences. En soi, l’aventure d’Aristide, commencée en sauveur et achevée en dictateur, invite à la prudence devant la figure trop classique de l’homme providentiel.

Mais ces considérations sur l’éternel humain n’expliquent pas tout. Si la vie politique haïtienne était dotée d’une tradition démocratique, les aventuriers et autres prophètes n’y trouveraient pas aussi facilement refuge. Et c’est ici qu’il nous faut bien nous tourner vers l’histoire coloniale. Car le pays ne s’est en vérité jamais émancipé de ses deux grands tuteurs, français et américain. Deux cents ans après qu’Haïti se fut libéré du joug de la France révolutionnaire, c’est encore de Paris que l’ordre de la démission a été donné au président déchu. Et soixante-dix ans après le départ des Américains, qui ont occupé l’île de 1915 à 1934, c’est encore de Washington que la fuite a été organisée. Chassé une première fois par un putsch appuyé par les États-Unis, rendu au pouvoir, quatre ans plus tard, par les mêmes États-Unis, Aristide a été enlevé comme le malpropre qu’il était devenu, tôt dimanche matin, par des marines de George W. Bush. En l’occurrence, il n’y a d’ailleurs rien à dire. L’opération liquidation politique d’Aristide par Paris et Washington est finalement un moindre mal. La vraie question est ailleurs : les deux capitales, qui ont joué ces jours-ci les pompiers de service, ne peuvent-elles pas s’intéresser à Haïti en d’autres circonstances que lorsqu’il s’agit de congédier le dernier de leur favori ? Incontestable dans la forme, l’intervention franco-américaine n’en révèle pas moins sur le fond un insondable mépris pour un pays sans enjeu économique, sans ressources, et dépourvu de tout attrait stratégique. Un pays dont on aimerait seulement qu’il se fasse oublier. Sous des apparences moins vertueuses, c’est la même logique qui avait déjà présidé en 1957 à l’installation de l’épouvantable dynastie des Duvalier (le rejeton « Bébé Doc », qui fit régner la terreur de 1971 à 1986, coula ensuite des jours heureux sur la Côte d’Azur), et la même logique qui sauva scandaleusement le dictateur menacé par une rébellion en août 1959 [1].

L’heure n’est-elle pas venue de s’investir différemment dans cette « nation pathétique » dont les premiers colons espagnols firent une terre d’esclavage, après avoir liquidé les Indiens ? Nous savons que le repentir post-colonial n’est plus très bien porté de nos jours, mais comment ne pas voir que ce pays n’en finit pas de payer ce passé qui ne lui a jamais vraiment appartenu ? Plutôt que de porter aux nues le dernier petit chef rebelle entré à Port-au-Prince, mieux vaudrait cette fois jouer la carte de la « Plate-forme démocratique », qui fédère des oppositions pour l’heure impuissantes. Mais il faut pour cela donner les moyens de la démocratie. Il y a beaucoup à faire dans un pays où l’on meurt en moyenne à 49 ans, et où un quart de la population vit avec moins de 80 dollars par an.

Notas

[1Pour plus d’informations sur cet épisode, et sur quelques autres, on se reportera au livre de William Blum, les Guerres scélérates, Parangon, 450 p., 20 euros. Blum sait de quoi il parle : il est un ancien fonctionnaire au Département d’État.

Retour en haut de la page

Objetivo

|

Trigo limpio

|

Mapa del sitio