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4 octobre 2008

Guerre civile en Colombie
Les ambassadeurs

 

Comment vont être ambassadeurs ces Colombiens qui ont à rechercher dans le monde la sécurité pour leurs vies qui ne trouvent pas ici.

Par Antonio Caballero
Semana . Colombia, le 3 octobre 2008.

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Juanes l’a dit, l’auteur-interprète, « beaucoup de gens vont dans le monde haciendo patria [acte de bravoure envers la patrie], y compris les immigrants qui ont eu à laisser le pays pour aider leurs familles. Eux aussi sont des ambassadeurs ».

Aux entrepreneurs et aux gens du business qui à la fête de la revue le Portafolio ont applaudi, les mots de Juanes ont dû leur sembler très jolies, très solidaires, très dégoulinantes de bons sentiments. Et, après les avoir applaudies, ils ont dû eux mêmes se sentir très solidaires et très beaux, avant de passer à table. Mais les choses ne sont pas ainsi.

Les immigrants dont parle Juanes le sont dans d’autres pays, quand ils les laissent arriver jusqu’à là-bas, légaux ou illégaux : et il est dans le caprice de chaque pays de décider s’ils les acceptent avec générosité ou s’ils les repoussent avec égoïsme. Mais vu de la Colombie ils sont émigrants. Ils partent d’ici. D’ici ils les jettent. Ici ils sont en trop. La tant criée sur les toits « confiance à l’investissement » ne génère pas l’emploi dont ils ont besoin, et encore moins avec la concurrence de tant de déplacés internes comme le génère la tant criée sur les toits « sécurité démocratique » : autant de « migrants », pour utiliser l’aussi faux que joli mot du conseiller présidentiel José Obdulio Gaviria.

Les "immigrants" de Juanes, qui sont quatre millions, et les "migrants" de Gaviria, qui sont quatre autres (additionnés, un cinquième de la population colombienne) c’est à dire, les déplacés externes et internes, économiques et politiques, ils ne « vont de par le monde en faisant patrie ». Ils vont dans le monde parce qu’ils les ont expulsés de leur patrie, ceux qui la gardent pour eux, « refondation », comme disent-ils dans leurs pactes de sang. Pour la vendre tout de suite, et pour sortir à l’étranger leurs gains. Les émigrants colombiens sortent en fuyant leur patrie, pour que cette mauvaise patrie ne les tue pas ou que ne les laisse pas mourir de faim.

Et ils ne sont pas, bien sûr, des ambassadeurs. Ce sont des fugitifs de la catastrophe, des survivants du naufrage. Ambassadeurs : cela sonne si bien et si joli, et sans doute si efficace dans des termes pratiques : « Recevez-moi ici en Espagne, ou aux États-Unis ou en Équateur, parce que bien que je ressemble à un réfugié en réalité je suis un ambassadeur ». Comment vont être ambassadeurs ces Colombiens qui ont à rechercher dans le monde la sécurité pour leurs vies qu’ils ne trouvent pas ici, le soutien pour leurs familles qui ne trouvent pas ici, dans ce pays de la tant criée sur les toits « cohésion sociale ». Les ambassadeurs sont vraiment autres.

Les ambassadeurs, avec titre et salaire et frais de représentation, sont, par exemple, ce monsieur Salvador Arana, ambassadeur à Santiago de Chile et aujourd’hui emprisonné pour l’assassinat de paysans et organisation de bandes paramilitaires quand il était gouverneur de Sucre ; et ce monsieur Jorge Noguera, consul à Milan, aujourd’hui mis en examen pour l’assassinat de syndicalistes et protecteur des mêmes bandes narco-paramilitaires quand il était directeur du DAS ; et ce monsieur Luis Camilo Osorio, ambassadeur au Mexique, aujourd’hui accusé de complicité avec des narco-paramilitaires quand il était Procureur Général de la Nation ; et ce monsieur Juan José Chaux, ambassadeur à Saint-Domingue, accusé d’alliances avec les narco-paramilitaires quand il était gouverneur de Cauca ; et ce monsieur Sabas Pretelt, ambassadeur à Rome, accusé de subornation pour permettre la réélection présidentielle quand il était Ministre de l’Intérieur et de la Justice (les narco-paramilitaires lui ont fait leurs adieux en pleurant).

Les vrais ambassadeurs ce sont ceux-là. Et d’autres, leurs semblables, qui, loin d’avoir « aider leurs familles », comme Juanes dit, sont aidés par elles à obtenir leurs droits et salaires diplomatiques : des parents d’hommes politiques, leurs enfants et neveux, ou des hommes politiques professionnels eux mêmes : comme l’ex-président Andrés Pastrana, qui a accepté un poste fugace d’ambassadeur à Washington ; ou comme l’ex-président Ernesto Samper, qui a aussi accepté, mais pour des raisons étrangères à sa volonté n’est pas arrivé à en tirer profit, un poste d’ambassadeur à Paris.

Voila les ambassadeurs. Ce n’est pas du tout un honneur, dans les temps qui courent, être ambassadeur de la Colombie devant le monde de la tant criée sur les toits "patrie". Les émigrants qui ont eu à partir expulsés, et à cause de cette classe de gens qui les ont jetés, sont reçus avec méfiance à l’étranger ne méritent pas qu’ en plus, un chanteur viennent à les insulter en les appelant aussi en prime « ambassadeurs » et en disant qu’ils « haciendo patria ».

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi

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