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11 décembre 2002

Guatémala : une démocratie à réinventer

 

Par Bernard Drainville

Le correspondant de la télévision de Radio-Canada en Amérique latine, Bernard Drainville, a séjourné au Guatémala, du 3 au 10 novembre. Pendant ces huit jours, il s’est rendu dans la capitale, Guatémala, mais aussi dans plusieurs régions du pays à forte majorité indienne (maya, principalement). D’Amérique centrale, Bernard a rapporté une série de quatre reportages diffusés sur les ondes de Radio-Canada/RDI. Il a aussi ramené tout un questionnement sur la difficulté des onze millions de Guatémaltèques à tourner la page sur quatre décennies de violences et à entreprendre le long et laborieux chemin de retour vers la légitimité démocratique.

Efrain Rios Montt et Bernard Drainville
Mexico, le 29 novembre 2002 - Nos reportages sur le Guatémala ne respiraient pas d’optimisme, c’est un euphémisme. Les anthropologues mettront des années à trouver et à vider les fosses clandestines que la guerre civile a essaimées dans plusieurs coins du pays. Pendant ce temps, le général Efrain Rios Montt est Président du Congrès, comme si sa dictature (1982-1983) n’avait rien à voir avec les milliers d’innocents qui dorment dans ces fosses. Qu’un ex-dictateur accusé de génocide en vienne à représenter le pouvoir législatif de son pays, voilà qui fait douter de la volonté (ou de la capacité) de ce pays à tourner la page sur son passé sanguinaire. Les images de lynchages venaient confirmer combien l’âme de ce petit pays est encore tourmentée par les tentations de la violence et de la justice expéditive. Le Guatémala est affligé d’une espèce d’obscurantisme dont il tarde à se libérer. Il est inévitable qu’on se demande pourquoi.

Des institutions malades

Il faut d’abord évoquer la pauvreté galopante du pays et la sous-scolarisation de sa population qui freine la diffusion des connaissances et empêche l’émergence d’une citoyenneté éclairée. Les Mayas forment la moitié de la population guatémaltèque. Leur taux d’analphabétisme est très élevé, ce qui ralentit le développement de leurs communautés et les rend davantage vulnérables à l’influence d’éléments délinquants ou criminels. Ceci dit, si l’exclusion sociale est la source de bien des maux, il ne faut pas tout lui mettre sur le dos. D’abord parce que c’est trop commode. Les élites qui exercent le pouvoir depuis des générations en Amérique latine invoquent l’héritage de la misère et du chômage pour masquer leur propre incurie, sinon leurs pratiques corrompues.

La thèse de l’exclusion est également réductrice. Le Guatémala souffre du mal de ses institutions et la thèse de l’exclusion ne nous aide guère à comprendre pourquoi. En d’autres mots, ce n’est pas la faute de la pauvreté si la justice ne juge pas, si les policiers n’appréhendent pas et si l’État guatémaltèque reste anormalement asservi à l’influence des militaires. Comme si les années passées sous les dictatures avaient enlevé à l’État ses réflexes démocratiques et sa capacité de répondre aux besoins de la population, en matière de santé et d’éducation surtout.

La gauche et son mea culpa

Un changement dans la direction politique du pays pourrait également aider. La gauche admet qu’elle n’a pas su s’imposer comme alternative aux partis de droite. 6 ans après les accords de paix, 6 ans après la légalisation de la gauche guatémaltèque, aucun parti social-démocrate ou même libéral n’est encore capable de défier la suprématie politique de la droite conservatrice. 6 ans après sa dissolution, l’ex-guérilla guatémaltèque a échoué dans ses efforts pour se transformer en un véhicule politique crédible. L’Union Révolutionnaire Nationale Guatémaltèque (UNRG) qui avait été fondée par les ex-guérilleros, a éclaté en deux, une fraction restant avec l’UNRG originale, l’autre se ralliant au parti « Alliance Nouvelle Nation » (ANN-gauche démocratique). À deux, UNRG et ANN ne contrôlent que 9 sièges sur un total de 113 au Congrès guatémaltèque. Pour l’essentiel, ce sont les partis de droite et de centre-droit qui contrôlent le reste. Difficile dans ces conditions de changer l’axe historique conservateur et autoritariste du Guatémala.

Nineth Montenegro et Bernard Drainville

La députée Nineth Montenegro du parti ANN (gauche démocratique) l’a reconnu avec une certaine tristesse : « La gauche guatémaltèque n’a pas su moderniser son discours. C’est comme si elle ne s’était jamais remise du coup d’État qui a renversé le gouvernement d’Arbenz en 1954. » Arbenz avait été élu démocratiquement. Il voulait instituer entre autres une réforme agraire mais la CIA et la United Fruit Company ont comploté pour le renverser. « Ce fut la fin de la seule révolution démocratique que le pays ait jamais connue, nous a dit Montenegro. Par la suite, les militaires ont pris le pouvoir et annihilé la gauche. Tous ses meilleurs éléments ont été séquestrés, assassinés, massacrés. Mon mari était de ceux-là. Ils l’ont enlevé en 1984 alors qu’il était leader étudiant. Je ne l’ai plus jamais revu. Ce n’est pas pour rien, ajoute-t-elle, que les Guatémaltèques hésitent tant à s’associer à nous. Historiquement, la gauche c’était un passeport vers la mort. »

Il faut espérer que le Guatemala se libère un jour de son passé. Peut-être pourra-t-il alors amorcer une sorte de révolution tranquille qui permettra enfin l’implantation des accords de paix de 1996. Ces accords pavaient la voie à la construction d’un nouveau Guatémala, plus humain, plus respectueux de la dignité des personnes. Passage obligé, si le pays veut enfin enterrer le passé et entamer, résolument, la construction de son avenir.

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