Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Unión Europea > Francia > France À quand une journée sans Sarkozy?
L’intervention du président français Nicolas Sarkozy au Tchad, où il s’est rendu en coup de vent dimanche pour récupérer les journalistes et les hôtesses de l’air incarcérés dans l’affaire de l’Arche de Zoé, fait des vagues dans l’Hexagone.
Marc Thibodeau
La Presse. Paris. Le 6 novembre 2007.
Plusieurs journalistes, politiciens d’opposition et sociologues questionnaient hier la nécessité de ce déplacement présidentiel, qui a bénéficié d’une large couverture médiatique.
Emboîtant le pas aux radios et aux télévisions, qui ont traité en priorité du voyage du président le jour même, les principaux journaux français traitaient hier en première page de l’expédition de M. Sarkozy. Le Figaro, proche de l’Élysée, saluait un «coup d’éclat humanitaire» alors que Le Parisien soulignait en grosses lettres le «retour du Tchad» du politicien et de ses protégés.
La libération des trois journalistes et des hôtesses était devenu prévisible dès le milieu de la semaine dernière lorsque le président tchadien Idriss Déby avait indiqué qu’il fallait les faire libérer «dès que possible».
Dix Occidentaux, dont six membres de l’Arche de Noé, demeurent détenus à N’Djamena. Ils sont accusés d’enlèvement pour avoir cherché à emporter en France une centaine d’enfants présentés comme des orphelins du Darfour. La plupart, selon les premières évaluations, ont des parents. Plusieurs familles tchadiennes disent avoir été bernés par les représentants de l’ONG française, qui auraient dissimulé leur intention d’amener les gamins à l’extérieur du pays.
Le voyage éclair de Nicolas Sarkozy suscite l’ire du Parti socialiste. Le critique du parti en matière d’affaires internationales, Pierre Moscovici, parlait hier de «diplomatie spectaculaire».
C’est à se demander s’il «y a encore en France d’autres personnes que le président de la République capable de résoudre un problème ou de prétendre le faire», a-t-il noté.
Le journaliste Pierre Haski, fondateur du journal en ligne Rue89, soulignait pour sa part que le «recours permanent et tous azimuts au chef de l’État» pour régler les dossiers «a pour effet de délégitimer les autres responsables du gouvernement». «L’époque de "L’État, c’est moi" devrait être révolue», a-t-il indiqué.
Le sociologue Pierre Bitoun déplore de son côté que l’intervention au Tchad ait reçu une telle attention.
«Les grands médias sont malheureusement trop suivistes. Il suffit que le président bouge le petit doigt pour qu’ils s’emportent», déplore M. Bitoun, qui presse les journalistes français de tenir à la fin du mois une «journée sans Sarkozy» durant laquelle il ne serait pas fait mention du président.
L’efficacité de la cellule de communication de l’Élysée, les liens existants entre le président et plusieurs journalistes de renom ainsi que la «fascination» des médias pour la «culture de l’événement» font en sorte que le politicien réussit à occuper une trop large place de l’espace public, juge-t-il.
Le Parti socialiste a tenté il y a quelques semaines de forcer le Conseil supérieur de l’audiovisuel à intervenir sur ce sujet. Ses dirigeants ont demandé que le temps de parole du président soit considéré dans les calculs visant à garantir un certain équilibre entre le traitement médiatique du gouvernement et celui de l’opposition.
La requête a été rejetée mais vient d’être remise à l’ordre du jour par une commission gouvernementale qui préconise de modifier la Constitution pour élargir les pouvoirs du président.
L’attention accordée à Nicolas Sarkozy n’étonne pas Denis Muzet, sociologue des médias à l’Université Paris-I, qui sortira en janvier un essai intitulé Le télé-président.
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Nicolas Sarkozy, dit-il, a compris «que ce qui ne passe pas à la télévision n’existe pas». «Il fonde son action sur l’impression que l’image va primer sur le fond», juge M. Muzet, qui souligne le grand appétit des médias «pour des histoires en kit» capables de captiver le public.
«Ce qui est mis en scène, c’est une nouvelle aventure de Sarko le héros... On le voit volant au secours des journalistes. Ce qui compte, c’est l’image du président se dépêchant, toute affaire cessante, pour aller chercher le bien précieux, véhiculant du coup l’idée de performance, de vitesse, d’efficacité», souligne le chercheur.
Le Nouvel Observateur avait traité de l’omniprésence politique et médiatique du président français il y a quelques semaines en le traitant de «cannibale». Un parallèle peu apprécié par le principal intéressé.
«On m’accuse de cannibalisme. Je ne comprends pas. J’ai été élu pour agir. J’agis!» a-t-il déclaré.