Portada del sitio > Imperio y Resistencia > Unión Europea > Francia > Etudiants de France: Le spectre de mai 68?
La Sorbonne, au coeur du Quartier latin, à Paris, a retrouvé ces derniers jour un décor évoquant les jours difficiles de la révolte étudiante de mai 1968.
Par Louis-Bernard Robitaille
La Presse. Paris, Le lundi 13 mars 2006
Pendant un peu plus de 48 heures, les grands médias français s’en sont donné à coeur joie. L’occupation de la Sorbonne par quelques centaines de jeunes, étudiants ou pas, depuis mercredi après-midi, avait indéniablement un parfum de mai 68. Pour le gouvernement, le spectre de mai 68.
De nouveau, l’université parisienne, au coeur du Quartier latin, allait devenir le quartier général et le point de référence du mouvement de protestation. D’ailleurs, c’est à partir de jeudi qu’on a commencé à comptabiliser -dans la confusion- les universités en grève. Deux universités à peu près paralysées sur les quelque 80 que compte le pays, une quarantaine de facs «touchées par le mouvement», selon le pointage du Monde. Le flou total.
À l’origine de la contestation, une réforme «libérale» du Code du travail à l’intention des jeunes, dont le taux de chômage est de 23% parmi les actifs de 18 à 25 ans. Un record en Europe.
Dominique de Villepin a donc sorti de ses cartons le «contrat première embauche» (ou CPE), qui donne pendant deux ans aux entreprises la possibilité de licencier un jeune salarié sans avoir à fournir de justification. Dans le système français, toute embauche sous forme de contrat à durée indéterminée (CDI) est assortie d’une très forte sécurité d’emploi. Résultat: on estime que beaucoup d’entreprises, surtout petites, préfèrent ne pas recruter plutôt que de se retrouver avec des salariés de trop sur les bras. Ou alors, les employeurs ont recours au travail intérimaire tournant, aux stages ou aux contrats à durée déterminée (CDD) de six mois au maximum.
Avec le CPE, le gouvernement fournissait donc aux entreprises une flexibilité totale pour deux ans en pariant sur le fait que ces CPE se transformeraient en emplois stables. Et en offrant aux jeunes salariés un début de protection sociale (assurance chômage, stages, etc.). Une nouvelle flexibilité très comparable à ce qui se pratique dans presque tous les pays européens.
Mais, bien entendu, aux yeux de plusieurs associations ou syndicats étudiants, des mouvements d’extrême gauche et de centrales syndicales comme la CGT, ce fameux CPE n’est rien d’autre qu’une entreprise de démolition du Code du travail et l’officialisation du régime de précarité pour les jeunes. Il est vrai que cette démarche consistant à traiter à part les 18-25 ans est discutable et que des employeurs de mauvaise foi peuvent désormais jouer avec les CPE de manière à éviter toute sécurité d’emploi. Toutefois, de l’avis général des spécialistes, les mêmes employeurs utilisent déjà les CDD et les stages pour contourner le Code du travail.
Mais l’opinion révoltée ou résignée des jeunes est faite: il s’agit de créer des sous-emplois et de confirmer les jeunes dans une catégorie à part. «Si ça continue comme ça, disait l’autre jour une étudiante, je ferai comme d’autres, j’irai au Canada.» Elle ignore sans doute que, au Québec ou au Canada, il n’y a pas de sécurité d’emploi dans des petites entreprises non syndiquées. Même avec le CPE, la France demeure l’un des pays où l’emploi est le plus protégé et où, selon l’OCDE, le marché du travail est l’un des plus rigides.
À vrai dire, côté syndicats ou partis de gauche, on ne s’attendait pas, ces dernières semaines, à une forte mobilisation contre le CPE. À deux jours de son adoption définitive par le Parlement, mardi dernier, on dénombrait pourtant au moins 50000 manifestants dans Paris, et plus de 500000 dans toute la France. Et, maintenant que la loi est adoptée, le mouvement étudiant commence à faire tache d’huile. Assez nettement pour que, à la fin de la semaine dernière, des parlementaires de droite commencent à donner quelques signes de panique et à conseiller à Villepin de retirer purement et simplement cette loi tout juste adoptée.
Cette occupation de la Sorbonne sonnait comme un inquiétant symbole. Et il était difficile pour le gouvernement de laisser faire. Dans la nuit de vendredi à samedi, des dizaines de CRS ont donc expulsé sans ménagement les 300 à 500 jeunes, étudiants, chômeurs ou militants anarchistes en train de tenir des assemblés générales à la queue leu leu.
Cela veut-il dire que le mouvement est terminé? Rien de moins sûr. On verra jeudi quel est le succès des manifestations prévues par les coordinations étudiantes, avant celles de samedi prochain, organisées par les syndicats. Y aura-t-il des foules immenses dans les rues? Les universités du pays seront-elles finalement en grève? Hier soir, les observateurs tiraient à pile ou face le sort du mouvement de contestation, sans rien exclure. Une seule certitude: Dominique de Villepin joue son avenir sur ce CPE. Il ne peut le retirer sans perdre la face, mais il sera également tenu pour responsable si son maintien mène à un grand mouvement de rue. Tout se jouera cette semaine.