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2 janvier 2003

Etats Unis et le culte de la guerre

 

Par Farida Cherfaoui

Officiellement, le climat guerrier qui domine le monde est dû à ces « États voyous » dénoncés par George W. Bush. L’explication est un peu courte. À y regarder de plus près, la guerre est aussi pour les grandes puissances un débouché pour une industrie d’armement très lucrative, le moyen de réaliser des objectifs géostratégiques, et d’imposer un modèle économique uniforme. Les voyous ne sont pas toujours là où on croit.

Janvier sera-t-il le mois de la guerre en Irak ? George W. Bush pourra-t-il mettre sa menace à exécution, et placer les énormes réserves pétrolières irakiennes sous contrôle américain ? C’est probable. Ce n’est pas sûr. Ce qui est sûr en revanche c’est que la stratégie de la tension justifie, avant même la guerre, un accroissement considérable des dépenses militaires. Et, pour cela, les États-Unis n’ont attendu ni Saddam Hussein, ni George Bush. Car l’industrie d’armement est en quelque sorte consubstantielle au capitalisme. Elle n’alimente pas seulement les grandes puissances, elle abreuve aussi les nombreux conflits locaux qui ensanglantent la planète et enrichissent... les grandes puissances. Lesquelles accompagnent et organisent ce commerce avec une parfaite subjectivité. Ainsi, le Yémen, qui n’est pourtant pas un havre de stabilité, peut bien importer de Corée du Nord une quinzaine de missiles Scud dissimulés à fond de cale dans un cargo nord-coréen sans que les États-Unis n’y trouvent rien à redire. Ces ogives hautement explosives serviront dans on ne sait quel conflit à venir. Pourvu que le Yémen soit du côté du manche américain.

Selon la Coalition pour la Cour pénale internationale, regroupant un millier d’organisations et d’experts juridiques, ces cinquante dernières années, 250 conflits ont tué plus de 86 millions de personnes. Plus de 170 millions de personnes ont été dépouillées de leurs droits, de leurs biens, de leur dignité. Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, États-Unis, Grande-Bretagne, France, Russie, Chine, dont le rôle est précisément d’assurer une paix mondiale, sont responsables à eux seuls de 85 % des ventes d’armes dans le monde.

D’après les données du SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), les exportations d’armes dans le monde ont représenté, en 2001, 839 milliards de dollars. Le principal exportateur reste les États-Unis. La France est le troisième après la Russie, devant l’Angleterre et l’Allemagne. Les principaux clients sont officiellement la Chine, l’Arabie Saoudite, l’Inde, Taïwan, la Turquie. Et au milieu coulent des trafics prolifiques.

L’ancien Président américain, Bill Clinton, n’a pas attendu les avions d’Al-Qaïda pour revoir son budget militaire à la hausse, franchissant une nouvelle étape dans la course à la militarisation. Il prévoyait un crédit de 112 milliards de dollars sur trois ans, jusqu’en 2003. La nouvelle administration Bush l’a réévalué à 470 milliards d’ici à 2007. « À 3,2 % du PIB en 2000, le budget de la défense américaine avoisine désormais 4 %. C’est phénoménal pour un pays qui reste le plus riche du monde. Si on additionne les dépenses militaires de la Chine, de la Russie, de la France, du Japon, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et d’Israël, on n’atteint pas ce montant » (1), commente Sylvie Matelly, chercheuse en économie de la défense à l’Institut des relations internationales et stratégiques. Selon une étude du Congrès américain, au cours de la décennie 1990, le nombre d’interventions militaires américaines dans le monde a été plus élevé qu’en temps de guerre froide. La veille du 11 septembre, selon le Département de la défense, plus de 60 000 militaires américains conduisaient des opérations dans environ 100 pays.

Ce bellicisme, comme on disait autrefois, trouve évidemment une apparente légitimité au lendemain du 11 septembre. Mais la militarisation est d’abord une doctrine. Elle a été combattue au nom de l’État de droit. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, un État pouvait en attaquer un autre s’il s’estimait menacé. Les « guerres préventives » du XIXe siècle constituaient déjà un formidable prétexte. Mais la guerre en traumatise plus d’un. Les États disent alors renoncer au « droit à la guerre ». Les pays victorieux fondent en 1919 la Société des Nations. En 1928, les États signataires du pacte Briand-Kellogg renoncent à la guerre comme moyen d’imposer une politique nationale. Quiconque enfreint cette loi internationale commet un crime contre la paix. On connaît la suite... En 1945, la Charte des Nations unies est ratifiée. Une seule forme de guerre est désormais possible, la guerre défensive, autorisée jusqu’à ce que l’ONU intervienne. La doctrine stratégique de George W. Bush annonce la destruction de cet accord international.

L’ONU est morte, vive le droit à la guerre ! Pour Alain Joxe, « l’ONU a un statut de plus en plus douteux. La guerre en Afghanistan l’a assez montré. Et les bombardements irakiens - s’ils ont lieu - ne feront que le confirmer. » Les États-Unis ne sauraient tolérer un quelconque frein à leur politique, ou à leur liberté de décision et d’action. La militarisation instruit la logique militaire comme seul mode de gestion possible des relations internationales. L’usage de la force demeure seul apte à résoudre les conflits. John Bolton, assistant de Colin Powell, le susurrait lui-même : « Le droit international n’existe pas. »

Note :

(1) La Tribune, 12 octobre 2002.

Bibliographie :

Claude Serfati, la Mondialisation armée : le déséquilibre de la terreur, Textuel, La discorde, 2001.

Empire, Antonio Negri et Michael Hardt, Exils, 2000.

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