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Je retrouvais hier soir Tatiana Sandoval et Ariel Cusnir qui venaient de rentrer de vacances. Ils ont passé deux semaines au Chili, une partie de la famille de Tatiana vit encore de l’autre côté de la Cordillère. Tatiana est dramaturge et metteur en scène. Elle vient notamment de s’illustrer avec la direction d’une pièce écrite à partir de fragments de l’œuvre de Silvina Ocampo, La Siesta. La pièce s’est jouée tous les dimanches de la saison 2011 dans le centre de Buenos Aires, dans le patio couvert de l’ancienne demeure Fernández Blanco, transformée en musée.
J’ai connu Tatiana par Ariel, lors d’une exposition de ses aquarelles, à Zavaleta Lab, San Telmo.
Au dîner était aussi présente Rosa Gutiérrez Silva, la mère de Tatiana Sandoval, qui vit maintenant en Bourgogne depuis une dizaine d’année. C’est en discutant avec elles, que j’ai pu apprendre qu’a eu lieu, le 28 décembre dernier, dans le lycée de Jeunes filles n°1 de Valparaiso, la présentation du livre de témoignages dirigé par Rosa Gutiérrez y Aminie Calderón Tapia, toutes deux anciennes élèves du lycée de Jeunes filles de Valparaiso.
Eramos liceanas en septiembre del ’73 est le titre du livre d’entretiens et de témoignages qui revient sur une période encore enfouie des premiers mois de la dictature chilienne ; la répression d’adolescentes et de mineures. Rédigé à partir des témoignages de vingt-cinq anciennes élèves détenues, violentées, ou simplement témoins, le livre est construit et articulé autour de cinq parties. Il passe rapidement sur l’histoire du plus ancien lycée de jeunes filles pour aborder en premier lieu les témoignages sur le climat social, politique et moral qui prédominait au sein du lycée, dans le cadre de l’affiliation à des mouvements politiques ou d’autres formes de militance, telles que les Jeunesses Communistes (JC), Socialistes (FJS), Radicales (JRR), le Front Révolutionnaire Etudiant (FER), Le Mouvement pour l’Action Populaire Unie (MAPU), et la Gauche Chrétienne (IC). Bien que l’inquiétude au sein du lycée ait été le reflet des troubles qui agitaient la société chilienne dans les derniers mois du gouvernement d’Allende, les prises de position de chacun des mouvements étudiants rendent compte d’une unité qui n’était et n’a que rarement été l’apanage de la gauche en général. Ces années sont axées sur la présidence assumée par María Huerta du Conseil Etudiant (CA) avant que Rosa Gutiérrez elle-même, n’assume cette charge.
La seconde partie est centrée sur les témoignages des années troubles, où commencent les violences, alors que la nouvelle junte impose à la tête de l’établissement de facto une directrice qui lui est aféodée : Leonor Illescas Gardéazabal. Le rôle de celle-ci, éclairé à la lumière des présents témoignages, a été fondamental dans la persécution et le harcèlement des étudiantes, à travers la délation et la duplicité systématiques. Il comporte des descriptions terribles bien sûr, de viols ou de sévices, mais aussi ces choses curieuses, anecdotiques, et qui feraient sourire si elles ne s’inscrivaient pas dans un cours aussi tragique. L’histoire de ce concierge du lycée qui ne peut ouvrir la grille de l’établissement alors qu’on vient arrêter une des élèves, ou bien celle de cette autre élève, mise aux arrêts à la Academia de Guerra Naval, et qui demande qu’on lui passe un téléphone afin de prévenir, au lycée, qu’elle manquera l’interrogation écrite.
La troisième partie insiste sur les choses entendues, vues et subies pendant l’expérience de la détention par les jeunes filles qui en ont été les victimes. Des témoignages simples, sobres, sans dramatisation ni emphase, et qui résistent à l’obscène, tel celui de Sara López, qui s’interrompt au seuil de ce qui a déjà été mis en lumière : « je ne vais pas répéter ce que l’on sait ». La quatrième enfin, expose la perception de ces années par les parents et l’entourage de ces jeunes filles, conduits à vivre eux aussi indirectement les disparitions, les perquisitions, et l’angoisse de la traque.
Nombre des anciennes témoins ou détenues étaient présentes, ce 28 décembre, dans l’enceinte du lycée de Jeunes filles de Valparaiso, trente-huit ans après les faits, à l’occasion de cette présentation. La plupart vit désormais en Europe ou en Amérique centrale. Certaines en Argentine, d’autres sont encore au Chili. Ce travail a été aussi une façon de se retrouver. Plus d’une semaine après, Rosa Gutiérrez en parle avec beaucoup d’émotion dans la voix. Tatiana raconte que deux jours encore avant la date, elle hésitait à s’y rendre, une peur irrationnelle dans le ventre, non pas tant celle de ce qui pourrait survenir lors de ce rassemblement, mais plutôt celle de ce qu’on sait déjà, et qu’on garde plus ou moins enfouie, des souvenirs de bottes et de fusils lorsqu’elles passaient la frontière argentino-chilienne, avec sa mère, et de l’angoisse de ne plus pouvoir revenir ; elle avait dix ans. Qu’elle le veuille ou non, c’est aussi un peu son histoire.
Alexis Dedieu-Ourmanov. Paris, le 13 janvier 2012
Le livre Eramos liceanas en septiembre del ’73 sera présenté à La Maison de L’Amérique Latine à Paris, le 6 février 2012.
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ÉRAMOS LICEANAS EN SEPTIEMBRE DEL ´73
d’Aminie Calderón Tapia et Rosa Gutiérrez Silva
Planeta de Papel, Valparaiso, 2011, 290 p.
Le blog du livre.