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26 avril 2004

Entrepreneurs… et utopistes ?

 

L’ambition d’entreprendre autrement n’est pas nouvelle. Quelques éléments historiques pour définir l’économie sociale et solidaire.

Par Alternatives Economiques
Hors-série pratique n° 14

Entreprendre autrement est une idée vieille comme le capitalisme : c’est la volonté de guider la production des biens et des services à partir des besoins de tous et non de l’intérêt de quelques-uns, et d’appliquer aux activités économiques les principes démocratiques qui régissent le système politique. Ce projet a été au cœur de la création de l’économie sociale à la fin du XIXe siècle, au moment où ont fleuri les associations, les coopératives et les mutuelles. Puis, dans les années 70, l’économie solidaire est apparue ; des réseaux se sont constitués pour trouver, à travers des entreprises d’insertion ou via le commerce équitable par exemple, une réponse à la crise que traversait notre société. Aujourd’hui, le projet d’entreprendre autrement se développe encore, sous d’autres noms…

Dans ce numéro, réalisé en partenariat avec des acteurs de ce secteur - le réseau Scop Entreprises, l’Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (Avise), le Centre des jeunes dirigeants et des acteurs de l’économie sociale (CJDES), la Macif et le Crédit coopératif, ainsi que la Délégation interministérielle à l’innovation sociale et à l’économie sociale (Dies) -, nous cherchons à donner à ceux qui veulent « entreprendre autrement » les outils pour réaliser leur projet, que ce soit dans des structures qui ont un statut juridique précis, comme les coopératives, les associations ou les entreprises d’insertion, ou par une démarche rigoureuse de responsabilité sociale et environnementale (RSE).

Ces entrepreneurs un peu à part s’inscrivent dans un long héritage. Au XIXe siècle, face aux dégâts engendrés par le capitalisme industriel, des réformateurs sociaux, des penseurs utopistes, comme Claude Henri de Saint-Simon et Charles Fourier ou l’économiste Charles Gide, cherchent d’autres solutions que l’étatisation des moyens de production. Sur le terrain, de nouvelles formes d’organisation de l’entreprise sont expérimentées, où la propriété et le pouvoir sont partagés. Parfois, penseurs et entrepreneurs ne font qu’un. Ainsi, Charles Gide, qui fonda en 1921 la Recma, la Revue des études coopératives, mutualistes et associatives [1], fut aussi l’un des principaux animateurs des coopératives de consommation, créées pour lutter contre la cherté de la vie et protéger les clients contre les tromperies sur les marchandises [2].

Des précurseurs

Contemporaine de la conquête de la liberté syndicale et de la liberté d’association [3], longtemps limitées par l’Etat, l’émergence du mouvement coopératif et mutualiste a donné lieu à de grandes innovations sociales. Les coopératives d’habitat ont été les précurseurs du logement social. Quant au mouvement mutualiste, né de la volonté des salariés de développer des systèmes de solidarité pour se prémunir collectivement contre les risques de maladie et d’invalidité, il a ouvert la voie à la Sécurité sociale.
A partir des années 70, avec la crise qui a succédé à la croissance des Trente Glorieuses, une multitude d’initiatives ont émergé pour répondre aux nouveaux besoins de la société. Toutes articulent actions de terrain et projet global de transformation sociale. Ces initiatives sont liées à l’apparition du chômage de masse, mais aussi à une prise de conscience des inégalités Nord-Sud. Les populations en difficulté, chez nous comme dans les pays en développement, se trouvent au cœur des projets des acteurs de ce qu’on a appelé l’économie solidaire : épargne solidaire, commerce équitable et entreprises d’insertion. Et ce secteur regroupe d’ailleurs souvent des structures qui sont elles-mêmes des coopératives ou des associations.

La question de l’identité

Avec ce renouveau, la question de la définition des frontières de ce qu’on appelle désormais l’économie sociale et solidaire se pose. On utilise aussi le terme de tiers secteur, pour marquer le fait qu’il se situe entre l’économie privée et l’économie publique, des champs auxquels on ne peut résumer l’ensemble des activités économiques et sociales. Ainsi, son identité se forge davantage dans des valeurs communes aux différents acteurs que dans des formes juridiques précises. Le statut, même s’il est là pour garantir les règles de fonctionnement, ne fait en effet pas tout (certaines grandes entreprises qui appartiennent historiquement à l’économie sociale, notamment des banques ou des acteurs de la grande distribution, ont adopté parfois des comportements peu éloignés de ceux de leurs concurrents capitalistes).

La charte de l’économie sociale [4], élaborée par le Comité national de liaison des activités mutualistes, coopératives et associatives (CNLAMCA), devenu le Conseil des entreprises et groupements de l’économie sociale (Ceges), ainsi que différents rapports, dont celui d’Alain Lipietz en 2000 [5], ont défini l’économie sociale et solidaire selon un certain nombre de critères qui font aujourd’hui consensus : libre adhésion, lucrativité limitée, gestion démocratique et participative, utilité collective ou utilité sociale du projet, et mixité des financements entre ressources privées et publiques. Et un secrétariat d’Etat à l’Economie solidaire a même été créé en 2000, disparu depuis l’arrivée du gouvernement Raffarin.

La définition de l’économie sociale et solidaire

 La liberté d’adhésion : nul ne peut être contraint d’adhérer ou de demeurer adhérent d’une structure de l’économie sociale. Ce principe est évidemment au cœur de la vie associative. Dans le champ coopératif, il a une conséquence importante : les entreprises coopératives sont nécessairement des sociétés à capital variable, car les salariés, qui sont également des associés, doivent pouvoir librement vendre leurs parts à la coopérative s’ils souhaitent la quitter.

 La non-lucrativité individuelle : ce principe n’interdit pas la constitution d’excédents financiers - les coopératives, les mutuelles et certaines associations disposent d’excédents importants -, mais il en interdit l’appropriation individuelle. Cette règle est absolue dans les associations, où aucun dividende (voir lexique) ne peut être versé aux adhérents. Elle est relative dans les coopératives, où les salariés peuvent recevoir individuellement une part du bénéfice réalisé, sous la forme de participation ou de dividendes. Une coopérative ne peut en revanche être vendue et le fruit de la vente partagé entre les coopérateurs.

 La gestion démocratique : les décisions stratégiques se prennent en assemblée générale selon le principe « une personne = une voix ». Chaque membre compte pour une voix, quel que soit son apport (en capital dans une coopérative, ou en temps dans une association).

 L’utilité collective ou l’utilité sociale du projet : une structure de l’économie sociale est nécessairement au service d’un projet collectif et non d’un projet conduit par une seule personne dans son intérêt propre. Ce « collectif » peut être un territoire : les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic), par exemple, sont généralement des outils de développement local. Il peut être aussi un groupe social : les mutuelles et les banques coopératives se sont créées pour répondre aux besoins spécifiques des artisans, des commerçants, des instituteurs, etc. Ou bien un collectif de travail : les salariés des sociétés coopératives de production (Scop) s’unissent pour valoriser ensemble le fruit de leur travail. Ou encore une idée : des associations se constituent pour promouvoir un projet, etc. La notion d’utilité sociale se réfère, quant à elle, à une démarche participative associant de multiples partenaires (usagers, salariés, pouvoirs publics, réseaux associatifs, etc.) à la définition des biens et des services qui doivent être produits.

 La mixité des ressources : les ressources de ce secteur sont soit privées (coopératives et mutuelles), soit mixtes (associations). Les organismes de l’économie sociale sont indépendants des pouvoirs publics, mais ils peuvent être reconnus comme interlocuteurs privilégiés dans la mise en œuvre de politiques d’intérêt général (emploi, santé, développement local, citoyenneté, solidarité Nord-Sud, etc.) et avoir droit en conséquence à des subventions, des aides spécifiques à l’emploi ou des avantages fiscaux.

Comment faire ?

Combien d’entreprises sociales peut-on recenser aujourd’hui ? Il n’existe aucune statistique officielle sur le sujet. L’économie sociale, prise au sens le plus large, c’est-à-dire l’ensemble des associations, coopératives et mutuelles, représente 1,8 million d’emplois en France et pèse près de 10 % du produit intérieur brut (PIB). Mais il se crée, chaque année, de plus en plus d’associations et de coopératives. Et de plus en plus d’organisations affichent la volonté de prendre en compte le social et l’humain, au même titre que l’économique.

Concrètement, comment faire, quand on est porteur d’un projet, pour entreprendre autrement ? Quelle forme choisir parmi toutes celles qui existent (coopérative, association, etc.) et pourquoi ? Et de quelles aides peut-on bénéficier ? De quelle formation ? C’est ce que nous allons expliquer dans ce numéro.

********

L’OCDE et la notion d’entreprise sociale

Même une institution aussi libérale que l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques, le club des pays riches) accepte désormais l’idée qu’on peut entreprendre autrement. Elle définit la notion d’entreprise sociale comme « toute activité privée, d’intérêt général, organisée à partir d’une démarche entrepreneuriale et n’ayant pas comme raison principale la maximisation des profits, mais la satisfaction de certains objectifs économiques et sociaux, ainsi que la capacité de mettre en place, par la production de biens ou de services, des solutions innovantes aux problèmes d’exclusion et de chômage » (rapport sur « Les entreprises sociales dans les pays membres de l’OCDE », OCDE, service du développement territorial, novembre 1998). Ainsi, l’entreprise sociale ne se définit pas par rapport à des formes juridiques particulières ; elle englobe aussi bien les associations que les sociétés à responsabilité limitée (SARL) ou les sociétés anonymes (SA).

Des études parues récemment utilisent cette définition : « L’entreprise sociale », d’Hélène Clément et Laurent Gardin, note de l’Institut Karl Polanyi (disponible sur www.karlpolanyi.org) et la synthèse de Jean-François Draperi « L’entreprise sociale en France, entre économie sociale et action sociale », Recma n° 288, avril 2003.

Notes :

Notes

[1Aujourd’hui une revue de référence sur le sujet. Voir bibliographie.

[2Les coopératives de consommation retournaient une partie de leurs excédents aux sociétaires, qui gagnaient ainsi en pouvoir d’achat.

[3L’une des premières sociétés coopératives, la Société des équitables pionniers de Rochdale, a été fondée en 1844 par 28 ouvriers tisserands, dans une bourgade située aux portes de Manchester. Les sociétés de crédit mutuel sont reconnues par un décret en 1852, la première charte de la mutualité date de 1898. La liberté d’association est reconnue en 1901.

[4La dernière version de cette charte date de 1995.

[5« L’entreprise à but social et le tiers secteur », rapport remis au ministre de l’Emploi et de la Solidarité en 2000. Et, du même auteur, Pour le tiers secteur. L’économie sociale et solidaire : pourquoi et comment ?, éd. La Découverte/La Documentation française, 2001.

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