Accueil > Les Cousins > Colombie > Des multinationales poursuivies aux Etats-Unis pour piraterie en Colombie (…)
Por Santiago O’Donnell
Página 12. Buenos Aires, 8 de Abril de 2007.
J’ai une bonne histoire de pirates mais je ne sais pas bien comment la raconter. Voyons. Il s’agit d’une compagnie multinationale d’origine étasunienne qui opère en Colombie et qui a été accusée d’avoir commandité trois assassinats de ses délégués syndicaux. Les syndicalistes étaient descendus d’un bus de l’entreprise et assassinés par un groupe de paramilitaires qui opéraient dans la zone, deux en 2001, l’autre en 2002. La multinationale se consacre à l’exploitation de mines de charbon et sa maison mère se trouve en Alabama, aux États-Unis, où ses gisements ont commencé à s’épuiser durant les années 80, ce pourquoi elle a du chercher sa matière première dans d’autres lieux du monde.
De la Colombie, elle extrait plus de 16 millions de tonnes de charbon par an, suffisamment pour couvrir ses exportations vers les Etats-Unis, l’ Europe et Israël, pour générer un chiffre d’affaires plus de 500 millions de dollars par an et faire travailler plus de 3.000 mineurs à 2.50 dollars l’heure, dont la moitié appartient au syndicat. L’entreprise tient une place importante dans la société colombienne et le New York Times a mis à son crédit d’avoir construit des écoles, des routes et distribue des aliments. Mais en Alabama, ce groupe a fermé cinq mines et a laissé sans travail 2.000 mineurs qui percevaient, eux, 18 dollars à l’heure. Ce sont donc ces mineurs qui ont transmis la plainte de leurs collègues colombiens.
La multinationale s’appelle Drummond. Le procès pour avoir "aidé et protégé" les assassins des syndicalistes commencera le 14 mai à Atlanta et a une particularité. L’accusation se base sur une loi pour des crimes commis hors du territoire des Etats-Unis et c’est la première depuis plus de 200 ans qu’une plainte basée sur cette loi est retenue aux Etats-Unis. Le but originel de la loi, qui date de 1789, était, et est toujours, de poursuivre des actes de piraterie.
La trame s’est épaissie il y a quelques mois grâce à un professeur de journalisme d’un obscur institut supérieur d’Alabama. Il se trouve que Mme la juge du cas Drummond menait l’instruction dans le plus strict secret depuis que la plainte lui est parvenue il y a cinq ans. Le professeur a entamé une procédure auprès de la juge pour qu’elle rende public le dossier et en février la Chambre d’Appel lui a donné raison. Des documents obtenus sont apparues plusieurs données intéressantes.
D’abord, la déclaration d’un repenti, pour l’appeler d’une certaine façon, très connu de la Colombie. Il s’agit de Rafaël García, l’ex chef de l’informatique du DAS, le Service d’Intelligence Colombien. García, qui est emprisonné pour avoir effacer des informations sur des narcotrafiquants colombiens de la base de données du DAS, a révélé par ses confessions le scandale dit de la "parapolitique", qui a mis à la lumière du jour les liens entre des paramilitaires responsables des massacres et des députés et fonctionnaires, quelque chose de très semblable au terrorisme d’État. García a raconté beaucoup de choses sur la Drummond à la Justice colombienne, et une copie de cette déclaration fut ajoutée au dossier d’Atlanta.
Par exemple, García dit qu’en 2001, peu avant le meurtre des délégués syndicaux des mineurs, il a assisté à une réunion entre le président de la filiale colombienne de la Drummond et le chef paramilitaire qui contrôlait la zone. Il a ajouté que lors de cette réunion il a vu que le chef d’entreprise livrer une enveloppe avec 200.000 dollars au chef paramilitaire "pour assassiner certains syndicalistes". Il a aussi raconté que les paramilitaires ont utilisé le port et les bateaux de la Drummond pour transporter de la cocaïne en Europe et en Israël.
À partir de ses propos, il y a deux semaines le trésorier général de la Colombie a ré-ouvert le dossier dans ce pays. Drummond, qui a toujours nié tout lien avec les paramilitaires, a annoncé à travers un communiqué que l’entreprise poursuivra García pour calomnies et injures. L’entreprise a assuré que pas même son directeur d’opérations, Alfredo Araujo, est lié aux paramilitaires. Araujo cousin du sénateur Alvaro Araujo, qui a été emprisonné en février, est accusé d’orchestrer avec les paramilitaires l’enlèvement d’un rival politique. Et Alvaro est le frère de Maria Consuelo Araujo, le premier ministre d’Uribe qui a dû démissionner il y a un mois quand on a su qu’une bonne partie de sa famille était liée aux paramilitaires. L’oncle du chef d’entreprise, Alvaro Araujo Noguera, a été aussi accusé d’enlèvement et il est en fuite, avec un mandat d’arrêt international. Bien sûr personne n’est coupable de "porter" un certain nom de famille, sauf un directeur qui en sait trop.
Une autre donnée intéressante qui est apparue dans le dossier, c’est que la Drummond, dans le dos de la juge, avait contracté la société de l’ex Secrétaire d’État James Backer pour qu’il fasse du lobby au Département d’État avec l’espoir que l’administration Bush fasse rejeter la plainte pour des raisons de sécurité nationale. Un avocat de la société Backer Potts Lld. a décrit dans le détail pour la juge les réunions qu’il a eues avec quatre fonctionnaires du Département d’État pendant deux mois, jusqu’à que « Sa Seigneurie » ait eu vent de la chose et qu’elle lui ait ordonné suspendre les contacts. Drummond a alors a insisté sur le fait que le magistrat consulte le gouvernement. La juge l’a fait et a obtenu une lettre du procureur général en assurant que cette fois le Département d’État resterait en dehors de l’affaire.
Voilà pour cette fois, parce que pendant le gouvernement Bush le Département d’État avait freiné au moins trois procès contre des multinationales étasuniennes du secteur énergétique dans lesquels les plaignants avaient essayé d’appliquer la loi de piraterie, connue comme ATCA.
Le mois dernier [mars], sans aller plus loin, un juge de San Francisco a rejeté une procédure d’ATCA entamée par des résidents de Papouasie-Nouvelle Guinée contre la société minière anglaise Río Tinto, qu’ils ont accusé de connivence avec un régime militaire sanguinaire. Le juge s’est basé sur l’avis du Département d’État qui disait que la demande mettait en danger le processus de paix dans ce pays.
Mais le cas colombien est différent. Là, on a négocié un Traité de Libre Commerce (TLC) avec les Etats-Unis que la majorité démocrate au Congrès ne veut pas. Le principal argument qu’utilisent les législateurs démocrates pour freiner, c’est la violence contre syndicalistes dans ce pays, qui brandit le record mondial de syndicalistes assassinés. Le cas Drummond s’est transformé en un porte drapeau. L’UST (l’UOM étasunienne) et l’AFL-CIO (l’équivalent à la CGT) se sont présentées comme co-plaignants avec les familles des syndicalistes colombiens assassinés. On comprend la détresse du Département d’État. Malgré les efforts des Backer’s Boys, les hauts fonctionnaires de carrière n’auront pas voulu prendre parti pour un président qui bat en retrait.
Pendant ce temps, en Colombie, chaque fois on en sait un peu plus sur les paiements « piqures » ou « péages » des entreprises étrangères, et mêmes nationales, des groupes paramilitaires responsables du meurtre de milliers des personnes et de la disparition de tant d’autres. Bien que pas toutes les entreprises aient agi de la même manière et pas mal ont profité de la relation avec les paramilitaires pour leurs basses œuvres.
De fait, Drummond n’est pas la seule multinationale du pays qui fait face à des plaintes aux Etats-Unis basées sur la loi de piraterie. Coca Cola a un procès pour avoir utilisé les paramilitaires pour réprimer des activités syndicales dans deux de ses usines de mise en bouteille. Entre 1992 et 2001, sept syndicalistes de ces usines ont été assassinés par les paramilitaires.
La compagnie pétrolière Oxy a été traduite en justice en 2003 pour sa responsabilité présumée dans un massacre dans la ville de Santo Domingo, en Colombie, en 1998. Dyncorp, en revanche, a été accusée d’arroser avec des substances toxiques les paysans à la frontière entre la Colombie et l’Équateur dans le cadre du programme d’éradication de plantations de coca.
Sans oublier le cas de la compagnie bananière Chiquita Brands, héritière directe de l’United Fruits qui avait orchestré avec la CIA le coup d’État contre [le président] Jacobo Arbenz au Guatemala en 1954. Chiquita a admis des versements faits aux paramilitaires de l’AUC après que l’AUC ait été déclarée organisation terroriste par les Etats-Unis en 2002. En outre, quatre trafiquants colombiens ont été emprisonnés pour avoir probablement utilisé une filiale de Chiquita pour faire passer en contrebande 3.400 fusils mitrailleurs AK 47 [Kalachnikov] et un chargement de munitions qui ont terminé dans les mains des paramilitaires.
La multinationale est parvenue à un accord avec le Département de Justice des Etats-Unis, a vendu ses plantations en Colombie et a payé une amende de 25 millions de dollars. En Colombie l’accord a été appelé "tue et paye". La Justice colombienne attend que le dossier soit clos au 1º juin [2007] pour demander l’extradition de six chefs d’entreprise de Chiquita qui se sont refugiés aux Etats-Unis.
La loi de piraterie inquiète déjà les chefs d’entreprise étasuniens. "Les pères de la patrie auraient des frissons s’ils savaient qu’on utilise l’ATCA pour frapper des entreprises étasuniennes pour des actes commis dans des pays étrangers qu’ils ne peuvent pas contrôler", a déclaré au Miami Herald John Murphy, vice-président des affaires internationales de la Chambre de Commerce des Etats-Unis. Murphy a des raisons de se préoccuper. L’activité de Coca Cola en Colombie lui a valu un boycot dans plusieurs universités des Etats-Unis et d’Europe, groupées sous le slogan "boire du Coca Cola tue".
Drummond a aussi payé son prix. Entre août et novembre passé, les entreprises d’énergie Essent des Pays Bas et la DONG du Danemark, deux petits clients, ont annoncé qu’elles suspendaient leurs achats de charbon à la Drummond à cause de la situation en Colombie à la suite d’une enquête journalistique publiée dans un journal danois. Dans le cas de la DONG, qui est une entreprise d’Etat, la décision a été annoncée au Parlement par le ministre de Finances, Thor Pederson
Mais la Colombie n’est pas le Danemark. Quelques semaines auparavant, s’est tenue dans la belle Carthagène des Indes la réunion annuelle de la Société Interaméricaine de Presse (SIP). Ce fut un grand événement. Bill Gates, Gabriel García Márquez et Tomas Eloy Martínez, entre autres, ont tenu conférence face aux principaux propriétaires journaux des Amériques dans le salon des conventions d’un cinq étoiles. Le dimanche 18 mars s’est tenu un déjeuner en la présence du président Alvaro Uribe, qui a consacré aux patrons de presse un discours senti en faveur de la liberté d’expression.
Ce fut le parfait bouquet final pour un week-end de rêves aux bords de la mer, où il y a 200 ans les redoutables pirates des Caraïbes ont laissé leurs marques sinistres. Selon la page web de la SIP, le déjeuner avec Uribe fut aux frais de la Drummond.
Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Estelle et Carlos Debiasi.