Accueil > Les Cousins > Brésil > De quel "rural" et de quel "urbain" parlons-nous, au Bresil ?
Por Maria de Nazareth Baudel Wanderley
Unicamp, UFPE, Novembre 2003
Le dernier recensement démographique réalisé au Brasil en l’An 2000 détermine que près de 82% de la population du pays vit dans des agglomérations qualifiées d’urbaines. La population rurale, minoritaire, tend à diminuer de telle manière que l’on pourrait prévoir pour 2030 sa complète extinction. Mais de quel "rural" et de quel "urbain" parlons-nous ? L’ouvrage de José Eli da Veiga publié récemment : Cidades Imaginárias : O Brasil é menos urbano do que se calcula, fournit une contribution important pour le débat brésilien sur cette question.
Comme Veiga le montre biens dans son étude, les statistiques officielles brésiliennes ne tiennent aucun compte des concepts qui permettent aujourd’hui de distinguer les espaces urbains et ruraux avec leurs habitants. En effet, la distinction adoptée par l’Institut Brésilien de Geographie et Statistiques (IBGE) considère comme urbaine toute zone municipale, indépendamment du nombre de sés habitants et des foncotions que cette agglomérations remplit effectivement. Le rural est l’espace qui existe autour de ce noyau, là où la population est dispersée ou bien se concentre em petits groupes de voisinage.
L’adoption de cette définition tend à sur-dimensionner ce qui est qualifié d’urbain dans le pays et, donc, le processus d’urbanisation dans la société brésilienne, em même temps qu’elle tend à disqualifier et annuler l’importance du "rural". Selon le "ville", le "rural" sera caractérisé par l’absence du pouvoir public dans cet espace ainsi que par l’absence d’une grande partie dês biens et services qui sont normalement concentrés dans les zones urbaines plus densément peuplées. L’idée d’un "rural meilleur" est donc mal assimilée dans la mesure où quand le rural s’améliore, il devient "urbain".
Dans son analyse du dernier recensement Veiga cacule que "sur um total de 5.507 municipios existant en l’année 2000, il en existait 1.176 qui réunissaient moins de 2.000 habitants, 3.887 avec moins de 10.000 hab. Et 4.642 en ayant moins de 20.000 : Ainsi, la grande majorité de ce qui est appelé indistinctement ’villes’ n’est rien de plus que de petites agglomérations dans lesquelles manquent les conditions les plus minimes d’une réelle vie urbaine. Est-il possible de penser un espace urbain dans lequel il n’y aurait pás une agence bancaire, un hotel, une librairie ?". L’auteur cite l’exemple extreme du município de União da Serra, dans l’état du Rio Grande do Sul où vivent seulement 18 personnes.
Se je m’appuie sur le tissu social et spatial particulier ainsi que sur les trajectoires de développement de ces petits centres, je ne peux moi-même qu’affirmer que les petits municípios font partie du monde rural. Ce faisant, je renforce les deux idées centrales du livre. Em premier lieu, l’affirmation que le "monde urbain" est, au Brésil, moindre que ce qui ressort des analyses de l’IBGE. Une nouvelle classification qui tiene compte du critére de densité démographique telle qu’elle est utilisée par l’OCDE (pour le Brésil Veiga propose le rapport 80 hab/km²) permetrait de distinguer dans les espaces urbains proprement dits 12 agglomérations métropolitaines, 37 agglomérations non-métropolitaines et 77 centres urbains. Sur cet ensemble qui correspond à 455 municípios, vit 56,8% de la population brésilienne. Outre ces agglomérations, on enregistre 567 municípios intermédiaires c’est-à-dire, d’une part, ceux qui ont de 50.000 à 100.000 hab. Et, d’autre part, ceux qui tout em ayant moins de 50.000 hab. présentent des densités supérieures à 80 hab./km². Dans ces zones vivent 21,7 millions de Brésiliens, ce qui correspond à 12,8% de la population totale du pays. Finalement, le Brésil rural est formé par 4.485 municípios dans lesquelles habitent 51,6 millions de Brésilliens. Par ailleurs, le "monde rural" ne peut pas être associé indistinctement à des espaces incultes, arriérés et vides car il est hétérogène et porteur, à la suprise générale et dans plusieurs régions, d’un dynamisme démographique significatif qui se traduit par une augmentation de la population entre 1991 et 2000, dates des derniers recensements.
Tout au long de l’ouvrage, José Eli da Veiga aborde une grande variété de questions qui se posent à la société brésilienne quant à l’existence de ce Brésil rural. Ces questions vont de l’interprétation historique de la vision officielle, que l’auteur associe à l’héritage autoritaire de la période Vargas, jusqu’aux problématiques modernes qui touchent à la place de l’agriculture, de la préocupation écologique et du développement rural.
Ce dernier thème mérite une attention toute particulière. Si le Brésil rural n’est pas une réalité em voie d’extinction, que signifie donc pour la société brésilienne le développement rural ? A ce propôs, je me permets de constater que l’idée du développement rural ne semble pás faire l’objet d’um consensus, ni même d’une large légitimation dans la société brésilienne. La réference au développement rural est fréquemment associée à um projet qui vise au dépassement du rural et non pas à son développement.
Le développement rural est fréquemment perçu comme l’urbanisation du milieu rural, soit un processus qui vise à prolonger jusqu’à la zone rurale les avantages "urbains" tels que l’eletricité, le transport, le service d’eau etc., ou favoriser un meilleur accès de la population rurale aux biens et services sociaux comme l’éducation, la santé, le service bancaire qui sont, généralement concentres au siège du município. De même, la multifonctionnalité de l’agriculture et l’exercise de la pluriactivité par les agriculteurs sont également souvent associes à un processus d’approfondissement d’urbanisation du milieu rural.
On ne peut nier qu’il y a eu au Brésil un intense processus d’évidemment du milieu rural et de réduction de sa population. Il a surtout resulte de l’expulsion em masse des habitants traditionnels de la campagne : travailleurs salariés qui résidaient dans les fermes et petits agriculteurs non propriétaires ou ayant um accès précaire à la terre. Comme ce processus prend place le plus souvent dans des zones considerées comme les plus modernes - celles où prédominent les grandes de canne à sucre et de soja, par example - ce modèle de modernisation finit par banaliser l’évidemment ou la dévalorisation de l’espace rural en tant qu’espace de vie, comme si cela découlait automatiquement du progrès. L’idée de "rural profond" peut, dans la réalité brésilienne différer profondément de ce qu’on entend par là en France, par exemple. Au Brésil, le "rural profond" peut connoter avec le "rural vide" qui est, fréquemment, le rural où se devéloppe l’agriculture la plus moderne du pays.
Il est nécessaire d’accepter que le "rural" est une qualité qui découle de sa doublé interface, à la fois naturel et social, dans la mesure où le "rural" se définit, précisément, par la prédominance des espaces naturels et par les relations sociales spécifiques, fondées sur les petits groupes (relations d’inter-conaissance). C’est donc, en tant que telle, une qualité qui interesse non seulement sés habitants mais aussi l’ensemble de la société et qui doit être préservée et valorisée de manière positive.
Le développement rural doit faire face à trois grands défis. Le premier d’entre eux consiste à vaincre la précarité sociale des habitants de la campagne. Le Brésil est loin d’avoir atteint une quelconque parité sociale dont le fondement serait la garantie à la population rurale d’un niveau de revenu socialement acceptable et comparable à celui obtenu par la population des villes. A l’origine du problème on trouve la question foncière qui n’a toujours pás été résolue dans notre pays. Il faut em effet rappeler que la première Loi de la Terre brésilienne date de 1850 et fut promulguée, justement, pour empêcher travailleur libre, qu’il soit ex-esclave ou immigrant étranger, d’avoir accès à la propriété de la terre.
De même, plus récemment, le Statut de la Terre de 1964 - notre Loi d’Orientation Agrìcole - est allé dans le sens de subordonner encore plus l’activité agricole aux intérêts des grands propriétaires fonciers. Si, dans une société moderne, l’existence de terres sans agriculteurs semble incongrue, encore plus absurde est l’existence d’agriculteurs sans terre qui resulte de la concentration foncière excessive que la modernisation de l’agriculture n’a pás réussi à réduire. Le second défi est de vaincre l’isolement des populations rurales. Pour cela, il faut mettre l’accent sur la fonction d’intermédiaire exercée par les petites villes. De fait, ces petites agglomérations qui, comme il a été dit, font en fait partie du monde rural, constituent des maillons essentiels de la relation entre le milieu rural et la dynamique urbaine de la région et du pays. Il ne s’agit pas, bien au contraire, d’urbaniser le "rural" mais de l’articuler et le intégrer dans l’ensemble de la société de façon à assurer l’intensité des contacts sociaux qui sont l’élément fondamental de l’amélioration de la qualité de la vie. Finalement, le troisième défi est lié à l’effort pour assurer la citoynneté de l’homme de la campagne, à la campagne. Il faut arriver à faire que le Brésilien qui vit dans le milieu rural ne soit pás stigmatisé par cette condition rurale et qu’il ne soit pás obligé á quitter la campagne pour être reconnu comme citoyen à part entière.
Le milieu rural peut, ainsi, être envisagé comme la "valeur indispensable" au futur de la société qui, em conséquence, sera disposée à lui consacrer les ressources nécessaires em même temps que les acteurs ruraux seront prêts à assumer de novelles fonctions sociales, précisément em tant que "médiateurs entre la société globale et les espaces ruraux".
Le livre de José Eli da Veiga actualise et approfondit cette réflexion sur le Brésil em contestant la perception dominante qui, en envisageant la société brésilienne à partir de l’urbain, considère le Brésil rural comme um résidu qui devra être rapidement éliminé au nom du progrés. Comme l’affirme l’auteur : "Il est inadmissible que l’on considère plus de 90% du territoire brésilien, 80% de ses municípios et 30% de sa population comme um simple résidu laissé par l’épopée urbano-industrielle de la seconde moitié du XX siècle. Pire, il n’est pas possible de le traiter comme s’il existait 4.500 à 5.000 villes imaginaires.
Publicado nos Cahiers du Brésil Contemporain, 2003, nº 51/52, pp. 293-297.