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9 octobre 2003

Cuba dans l’oeil du cyclone médiatique. Quelques mois après les condamnations et les exécutions sur l’île, le débat se poursuit.

 

Depuis avril dernier, quand Cuba a jugé et condamné septante-cinq personnes à de lourdes peines de prison et surtout condamné à mort et exécuté trois Cubains qui avaient tenté de fuir l’île, une déferlante de protestations s’est abattue sur l’île. La gauche mondiale est partagée entre les tenants d’une justice sans peine capitale et ceux qui estiment que Cuba est victime d’une agression orchestrée par Washington, contre laquelle elle a le droit de se défendre.

Par Sergio Ferrari
Le Courrier, le 20 Septembre 2003

En juillet dernier, dans le cadre du cinquantième anniversaire de l’assaut de la caserne Moncada - première tentative militaire de l’Armée rebelle contre la dictature de Batista - Fidel Castro a parlé sans détours. « Nous n’avons pas besoin de l’aide humanitaire européenne », a-t-il affirmé avec véhémence, dans un long discours centré sur les relations internationales. Il exprimait ainsi sa colère à l’égard du premier ministre espagnol, José María Aznar, et d’autres gouvernants européens, qui venaient de mettre en place de nouvelles mesures de pression diplomatique contre Cuba.
Prise de position grave si l’on tient compte du fait qu’il n’existe aucun pays du tiers monde, aussi autogestionnaire soit-il, qui puisse survivre sans des échanges actifs et sans coopération internationale. Encore moins Cuba, qui supporte depuis plus de quarante ans un blocus économique total de la part des États-Unis.

EXECUTIONS CAPITALES

Début avril, septante-cinq personnes ont été jugées et condamnées à des peines de prison allant jusqu’à vingt-huit ans. Les procès de ces Cubains - contre-révolutionnaires au service de la Section des intérêts étasuniens à La Havane pour le gouvernement, patriotes, selon une partie des exilés de Miami, dissidents pour de nombreux médias internationaux - sont un message clair des autorités de l’île, qui ont voulu signifier qu’elles sont disposées à défendre la révolution.
Peu après, le 11 avril, trois Cubains qui avaient détourné un bateau en prenant des otages, dans l’intention d’aller à Miami, ont été condamnés à mort et exécutés à la suite d’un procès sommaire.
Ces deux événements ont provoqué une vague de protestations à travers le monde et ont motivé une nouvelle condamnation de Cuba par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, à Genève, le 17 avril dernier. Ils ont tendu à l’extrême les relations entre Cuba et l’Europe, qui étaient en train de se développer, et ont ouvert un débat de fond dans d’importants secteurs de la gauche et parmi des intellectuels progressistes de premier plan à l’échelle mondiale.
Pour les critiques du Gouvernement cubain, les procès sommaires et la peine de mort - à laquelle Cuba n’avait plus eu recours depuis plusieurs années - sont contraires aux principes fondamentaux des droits humains et rien ne peut les justifier. Pour eux, les preuves présentées par La Havane concernant la connivence de plusieurs des accusés avec James Cason, le représentant des États-Unis dans l’île, qui dans certains cas leur a versé un salaire mensuel, ne peuvent excuser les condamnations.
Ils n’acceptent pas davantage les arguments politiques avancés par Cuba, qui, dans le cadre de la campagne déclenchée par la Maison-Blanche contre l’Irak, a été mis avec la Syrie, l’Iran, la Libye et la Corée du Nord sur la liste des pays de « l’axe du mal » à liquider à moyen terme. Le Gouvernement cubain a vu en effet dans les actions des accusés le début d’un plan de déstabilisation ourdi par Washington susceptible de se terminer par une intervention militaire.

PROCES AUX ETATS-UNIS

En outre, les condamnations seraient une réponse au procès pour « trahison » qui a été fait aux États-Unis à cinq révolutionnaires cubains infiltrés dans les rangs de la contre-révolution afin de faire échouer des actions contre Cuba. Condamnés à perpétuité, les cinq militants connaissent, selon leurs familles, des conditions de détention inhumaines dans des prisons de haute sécurité aux Etats-Unis.
Pour les défenseurs de Cuba, dans l’île ou à l’extérieur, c’est justement la tension internationale et la folie militariste des États-Unis - fondée sur la nouvelle paranoïa antiterroriste - qui mettent plus que jamais la « Révolution » sur la défensive, qui l’irritent, la provoquent et la contraignent à prendre de dures décisions, porteuses du message fataliste de « tout ou rien », la révolution ou la mort...
Les événements d’avril ont entraîné des milliers de réactions, pour ou contre Cuba. D’un côté, la contre-révolution cubaine et le Gouvernement étasunien ont condamné sans appel l’attitude de Fidel Castro, bien que les États-Unis aient exécuté huit cent quarante personnes depuis 1977.

AMIS CRITIQUES

Par ailleurs, d’anciens amis de la révolution cubaine ont pris leurs distances, par exemple le Prix Nobel de littérature José Saramago, qui a multiplié les critiques contre le « régime » cubain, après des années d’un discours solidaire.
Un large secteur des « amis de Cuba », représentés par des organisations comme MediCuba Suisse et Europe ou des intellectuels reconnus sur la scène internationale, tel Eduardo Galeano, ont désapprouvé la décision de La Havane, mettant en relief cependant, et sans mâcher leurs mots, la responsabilité étasunienne, tant à cause du blocus historique et criminel imposé à l’île que de l’importante et irresponsable ingérence des « faucons » de Bush, dont James Cason constitue un exemple.
Mais d’autres secteurs internationaux qui défendent la révolution, organisés plus particulièrement dans les Comités de solidarité, ont réitéré leur appui inconditionnel à Cuba et à son gouvernement.
De façon symptomatique, les positions varient en fonction de la géographie. Les réactions les plus dures proviennent plutôt d’Europe, où les droits humains ont une valeur universelle qui prévaut parfois sur les considérations de type politique.
Des positions plus nuancées ou des soutiens inconditionnels viennent surtout d’Amérique latine, continent historiquement accablé par des dictatures imposées par Washington, victime de dizaines d’interventions militaires directes, où le droit à la souveraineté et à l’autodétermination des peuples constitue une revendication prioritaire qui passe souvent avant les droits humains individuels.
La différence dans les réactions peut s’expliquer par l’appréciation que l’on fait de la situation de Cuba. Beaucoup de progressistes latino-américains la voient comme une guerre : Cuba est un pays assiégé, en sursis, auquel aucun répit n’est accordé dans aucun domaine et sur aucune scène, et dont le peuple attend depuis quarante ans le déluge de feu qui s’est abattu sur d’autres nations.
La perception de ces personnes est renforcée par l’inscription de Cuba sur la liste des pays à abattre et par l’arrivée à des postes importants dans le gouvernement Bush d’hommes politiques issus du milieu contre-révolutionnaire de Miami, dont les noms sont associés à des épisodes noirs de l’histoire latino-américaine.
Ces progressistes espèrent que la révolution va résister et qu’elle défendra ses acquis, eux qui voient leurs peuples s’enfoncer dans la misère, surtout après le passage du rouleau compresseur néolibéral, qui fait beaucoup de morts - morts anonymes, silencieuses, et froidement décidées. Les Européens, quant à eux, analysent sans doute davantage les exécutions dans un contexte qu’ils estiment de paix et de presque normalité : pour eux, elles ne sont pas admissibles.

HEROS A BUENOS AIRES

Il n’est pas surprenant qu’un mois et demi après les événements d’avril, alors que déferlait la vague de critiques de l’Europe officielle, Fidel Castro ait été reçu comme un héros dans les rues de Buenos Aires. Venu assister aux cérémonies de la prise de pouvoir du nouveau président argentin, Néstor Kirchner, le 25 mai dernier, il a été une fois de plus le centre d’intérêt des médias, alors que parmi les chefs d’Etat présents se trouvaient aussi Lula (Brésil) et Hugo Chávez (Venezuela).
« Le harcèlement dont Cuba fait l’objet peut être le prétexte à une invasion. Nous y opposons les principes universels de souveraineté, de respect de l’intégrité territoriale et du droit à l’autodétermination, indispensables pour une juste coexistence entre les nations », affirme une déclaration signée en avril par les Prix Nobel Rigoberta Menchú, Nadine Gordimer, Adolfo Pérez Esquivel et Gabriel García Marquez. Ainsi que par des dizaines de journalistes, d’artistes et d’intellectuels, parmi lesquels James Petras, Harry Bellafonte, Ernesto Cardenal, Mario Benedetti, Gianni Miná et Antonio Gades.
Quelques jours après la publication de cette déclaration, d’autres intellectuels, connus surtout des Étasuniens, ont protesté « contre la vague de répression actuelle à Cuba » et ont exigé la libération de tous les prisonniers politiques de l’île, considérant « scandaleux et inacceptable [...] l’emprisonnement de personnes qui tentent d’exercer leur droit à la liberté d’expression ».
Ils évoquent dans le même document « la longue histoire criminelle des interventions étasuniennes en Amérique latine » et soulignent que « seul un gouvernement qui condamnerait cette histoire, qui renoncerait à toute intention de restaurer sa domination économique et politique sur Cuba aurait une légitimité morale suffisante pour inviter à un changement démocratique à Cuba ».
Ce point de vue est partagé par Maurice Lemoine, journaliste au Monde Diplomatique, qui estime dans une analyse détaillée que « les États-Unis ne sont pas étrangers au récent durcissement observé à Cuba, le seul pays d’Amérique latine qu’ils ne sont pas parvenus à mettre sous leur coupe ».
M. Lemoine rappelle que Cuba est toujours soumis aux rigueurs de la loi Helms-Burton autorisant la justice étasunienne à juger toutes les entreprises, de quelque pays qu’elles soient, qui entretiendraient des liens commerciaux avec l’île. Cette loi représente une aggravation du blocus économique dont Cuba est victime et qui a été condamné plus de dix fois par les Nations Unies sans que le Gouvernement étasunien n’y mette fin.

DISSIDENT CRITIQUE

Un éditorial du quotidien espagnol El País daté du 30 juillet et signé par Elizardo Sánchez Santa Cruz, opposant qui dirige à La Havane la Commission des droits de l’homme et de la réconciliation nationale, est également étonnant. Le journaliste, bien que répétant ses positions habituelles et insistant sur le « sombre panorama » qu’offre Cuba, reconnaît cependant que « la politique de Washington à l’égard du Gouvernement cubain a été durant plus de quarante ans - et continue d’être - erratique et contre-productive... ».
Dans ce contexte marqué par le blocus et par les pressions, les événements d’avril ont eu un écho qui ne manque pas d’attirer l’attention. « Généralement, le sujet (des exécutions, ndlr) passe inaperçu », remarque Augusto Zamora, professeur de droit international à l’Université autonome de Madrid. Il signale que mille six cents personnes ont été exécutées en Chine en 2002 et que trois personnes sont exécutées chaque mois aux Etats-Unis. Néanmoins, seules les exécutions de Cuba ont déclenché « une tempête médiatique et politique dont l’épicentre est aux États-Unis ». Un humanitarisme incontestablement sélectif, conclut-il.
Le débat concernant Cuba, où s’affrontent défenseurs et détracteurs et qui déclenche les passions au sein de la gauche partout dans le monde, n’est pas clos. Ce que personne n’occulte plus, même les plus conservateurs et les plus anticastristes, c’est que le blocus économique et l’agression menés par les États-Unis ne sont pas une invention de La Havane. Cuba a choisi de faire passer le droit à la souveraineté et le droit de se défendre avant tout autre droit universel tant que cette agression se poursuivra.

Traduction : Michèle Faure

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