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30 juin 2004

Courriel d’Information Attac
N°475

 

Mercredi 30/06/04

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Dans ce numéro :

1.- Histoire de la fabrication de la dette de l’Argentine (par Denise Mendez, membre de la Commission internationale d’Attac France) L’historien argentin Norberto Galasso vient de publier un historique de la dette externe argentine où est décrypté le rôle de personnages clés dans les rapports économiques internationaux.
Le mérite de cet ouvrage historique est d’établir des constantes dans les mécanismes d’endettement des pays périphériques sous la dépendance économique et politiques des puissances centrales du capitalisme.

2.- Des travailleurs jetables. Les enjeux des négociations autour du mode 4 de l’AGCS (par Antoine Math, économiste à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) et Alexis Spire, sociologue au CNRS)

Le mode 4 de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) vise, au nom de la libre concurrence, à faciliter le commerce mondial des services entre entreprises en permettant un recours accru à des travailleurs migrants détachés. Ce mode 4 s’inscrit dans une tendance plus générale des politiques privilégiant des salariés migrants temporaires envoyés sous contrat de travail et davantage assujettis à l’employeur, au détriment de l’égalité des droits avec les autres travailleurs résidents et au détriment des normes d’emploi appliquées dans le pays d’exercice du travail. Cette tendance s’inscrit dans l’approche utilitariste de l’immigration.


1.- Histoire de la fabrication de la dette de l’Argentine (par Denise Mendez, membre de la Commission internationale d’Attac France)

L’historien argentin Norberto Galasso vient de publier un historique de la dette externe argentine où est décrypté le rôle de personnages clés dans les rapports économiques internationaux.
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A titre d’exemple proche dans l’histoire il évoque le rôle du Cabinet de conseil Guillermo Walter Klein qui était à la veille du coup d’Etat de 1976 fondé de pouvoir de 2 banques étrangères, puis lorsque Klein devint conseiller spécial du ministre de l’Economie de la dictature Jose Martinez de la Hoz, son cabinet devint le représentant de 20 banques étrangères. A partir de cette position, il effectuait des emprunts pour le pays auprès des banques qu’il représentait. Comme observe Norberto Galasso " ce fut l’une des nombreuses fois où gouvernant et prêteur furent assis du même côté de la table où l’on négociait les affaires du pays". C’est également dans le cabinet de Klein-Mayral que travaillaient les fils de Mariano Grondona et de Martinez de la Hoz qui en 1985 "s’enfuirent du pays en emportant des valises pleines de documents qui prouvaient le caractère illégitime de la dette".

L’ouvrage de Galasso montre à travers des études de cas que le mécanisme de la dette opère selon un modèle par lequel les personnages essentiels dans la prise de décision d’endettement au nom de l’Etat sont également les employés des créanciers. " Daniel Marx qui fut négociateur de la dette sous les gouvernements de Alfonsin, Menem et De la Rua était aussi associé de Nicholas Brady.( Brady qui était secrétaire au Trésor des Etats-Unis est l’auteur d’un plan de restructuration de la dette des pays d’Amérique Latine qui fut applaudi par Menem.)

Galasso fait un retour sur l’historique de la dette argentine pour montrer qu’elle est un instrument de domination du créancier sur l’emprunteur qui commence dès l’indépendance au début du XIX ème siècle avec l’emprunt de l’Argentine à l’Angleterre.
En 1824, la Province de Buenos Aires emprunte à la Baring Brothers avec la caution du premier ministre britannique Canning (il en est de même pour la plupart des pays latino américains devenus indépendants de l’Espagne ). En même temps l’Angleterre signe des traités commerciaux avec ces pays qui accordent des privilèges à l’installation des commerçants britanniques.

Curieusement, on trouve en compagnie d’un commerçant argentin faisant des affaires avec les anglais un dénommé Felix Castro.

Le montant de l’emprunt était de 1 million de livres, mais la somme qui parvint effectivement à Buenos Aires fut de 140.000 livres . On avait prélevé 150 000 livres au titre d’assurance pour le risque-pays, 150 000 disparurent en pots de vin partagés entre la Baring et les négociateurs de Buenos Aires. La banque Baring préleva par anticipation 2 années d’intérêts sur la dette plus 1% d’amortissement du capital soit 130 000 livres . La somme de 400 000 livres resta à Londres au titre de royalties que des commerçants britanniques installés à Buenos Aires versaient à leur maison-mère.

L’Argentine cessa le remboursement de la dette au bout de 3 ans et demeura en défaut jusqu’en 1857. A cette date entre en scène Norberto de la Riestra il accepte le calcul des intérêts échus de la dette qui passe ainsi à 2,5 millions de livres ( pour une somme réellement versée de 140 000 livres) En 1862,le gouvernement de Bartolomé Mitre accepte que la dette de la province de Buenos Aires devienne dette de la nation .Pour la guerre du Paraguay, il emprunte à la Baring la somme de 2,5 millions, mais du fait des prélèvements effectués à Londres au titre de commissions et d’assurance "risque-pays", l’Argentine ne reçoit que 1,9 millions de livres.

Le président Sarmiento qui succède à Mitre continue à emprunter pour armer les forces militaires contre le soulèvement d’Entre Rios et à la fin de son gouvernement le dette atteint 14,5 millions de livre. En 1890, le gouvernement Juarez Celman est en cessation de paiement de la dette envers la banque Baring. Le successeur de Juarez celman, Carlos Pellegrini renégocie la dette qui ,avec les intérêts cumulés atteint 78 millions de livres sous le gouvernement de Saenz Peña, puis 120 millions sous le gouvernement ultra libéral de Manuel Quintana Entre temps la France est devenue pays préteur.

Selon l’analyse de Norberto Galasso, les grands bonds de la dette se produisent sous les gouvernements de droite libre-échangistes, tandis que la dette se contracte sous les gouvernements d’expression populaire Ainsi, le gouvernement Yrigoyen réussit vers 1915 à diminuer la dette de 100 millions de livres ( il est aidé en cela par le fait que la première guerre mondiale a mis un frein aux importations de l’Argentine.
De même le premier gouvernement Peron dans les années 40 rembourse ( en dollars) le solde de la dette.

C’est à partir du gouvernement Aramburu avec le ministre Krieger Vasena, qui à la fin des années 50 a adhéré au FMI. C’est l’époque où les Etats Unis remplacent l’Angleterre comme principal créancier de l’Argentine et la dette commence s’enfler. ( Il faut noter que Krieger Vasena est devenu ensuite dirigeant de la multinationale nord-américaine Daitec International puis fonctionnaire du FMI) Au moment du coup d’Etat de 1976, la dette atteint 5300 millions de dollars et elle passe rapidement à 30,000 millions de dollars. " les emprunts étaient en théorie destinés aux entreprises publiques mais en pratique ils servaient à équiper les forces de répression.".

Galasso rappelle un facteur qui a eu une forte incidence dans le gonflement de la dette c’est le grand excédent de liquidité financière des Etats Unis du fait des dépots financiers des pétrodollars à partir de 1973, cherchant à se placer. L’excédant de liquidité et la faiblesse des taux d’intérêts ont constitué une incitation au placement, autant que la garantie offerte par une dictature de droite.

En 1982 au terme officiel de la dictature , la dette atteignait 45 Milliards de dollars.

C’est alors que fut conçue par le célèbre Domingo Cavallo , l’étatisation de la dette privée . Les grandes entreprises bénéficiaires des gros emprunts ; Citibank, Banco ganadero,Acindar, Cellulosa , Bridas etc obtinrent le refinancement à long terme de leur dette à travers la Banque centrale argentine qui leur procurait des dollars au change fixe ( en période d’inflation galopante).

En 1992, Carlos Menem adopta le Plan Brady qui acceptait la valeur nominale des titres alors que leur valeur réelle était 5 fois moindre. Menem avait hérité d’Alfonsin une dette externe de 60 milliards de dollars et , à la fin de son mandat elle atteignait 122 milliards.

Le mérite de cet ouvrage historique est d’établir des constantes dans les mécanismes d’endettement des pays périphériques sous la dépendance économique et politiques des puissances centrales du capitalisme.
D’abord tombée au XIX ème siècle sous la dépendance de l’Angleterre qui avait favorisé son arrachement à l’Espagne, l’Amérique Latine est passée sous la domination des Etats Unis. On observe dès l’origine une contradiction entre le principe de l’endettement justifié en terme de développement des infrastructures , et la réalité des modalités de sa mise en ouvre. D’un côté le bien public réduit à l’état d’image et de l’autre la réalité des affairistes nationaux et internationaux. L’investissement commandé à chaque fois à partir des disponibilités des Etats centraux et des niveaux de profit escomptés.

Au XIX ème siècle la Banque Baring au XXème la Citibank (avec le FMI) définissent les orientations et les taux d’investissement ; de même les modes de renégociation des titres . En somme, la perpétuation de la dette.
La perpétuation de la dette est nécessaire à la pression politique des pays centraux. La dette permet d’exiger le développement des exportations destinées au remboursement de la dette. La dette permet aussi d’exiger l’ouverture économique et les traités de libre échange qui ouvrent aux transnationales du Nord l’espace économique du Sud.

Cette perspective historique met en évidence le rôle des personnes et des classes sociales dont les intérêts sont liés aux affairistes des pays centraux détenteurs de capitaux ; ce rôle donne généralement priorité aux intérêts des compagnies étrangères sur les intérêts des populations locales.

On ne peut s’empêcher de faire un paralléllisme entre les alliés latino américains de la Banque Baring au XIXème siècle et les agents locaux de la Banque mondiale . L’ouvrage de Galasso devrait servir de pièce à l’accusation du tribunal qui jugera un jour ceux qui ont plongé des peuples du Sud de la planète dans un nouveau servage puisque sur eux et sur leurs descendants pèse l’obligation d’avoir à rembourser une dette contractée illégitimement par leurs dirigeants politiques.

Denise Mendez


2.- Des travailleurs jetables. Les enjeux des négociations autour du mode 4 de l’AGCS (par Antoine Math, économiste à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES) et Alexis Spire, sociologue au CNRS)

Le mode 4 de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) vise, au nom de la libre concurrence, à faciliter le commerce mondial des services entre entreprises en permettant un recours accru à des travailleurs migrants détachés. Ce mode 4 s’inscrit dans une tendance plus générale des politiques privilégiant des salariés migrants temporaires envoyés sous contrat de travail et davantage assujettis à l’employeur, au détriment de l’égalité des droits avec les autres travailleurs résidents et au détriment des normes d’emploi appliquées dans le pays d’exercice du travail. Cette tendance s’inscrit dans l’approche utilitariste de l’immigration.

Ce texte paraît aussi dans Plein Droit, la revue du GISTI (groupe d’information et de soutien des immigrés) dans un numéro spécial " Immigrés
 : mode d’emploi " consacré à l’utilitarisme migratoire et à l’exploitation des travailleurs migrants (http://www.gisti.org/publications/plein-droit/index.html ). Ce texte résume un document de travail plus complet disponible auprès des auteurs.

Depuis son entrée en vigueur en 1995, l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) vise à étendre aux services la logique des accords sur la libéralisation du commerce des biens. A terme, l’objectif est d’éliminer, au nom de la libre concurrence, tous les obstacles qui restreignent le commerce et la liberté des entreprises exportatrices. En septembre 2003 à Cancun, les pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) devaient renégocier l’AGCS dans le but d’étendre la libéralisation du commerce des services à de nouveaux secteurs et à de nouvelles modalités - ou mode - de fourniture des services. Les représentants des différents pays de l’OMC ne sont finalement pas parvenus à un accord mais on a beaucoup parlé à cette occasion du mode 4 de l’AGCS qui permettrait l’envoi de migrants temporaires dans des conditions de travail et de salaire bien plus précaires que celles en vigueur dans le pays d’accueil. En Europe, l’enjeu est d’importance car les services représentent plus des deux tiers des emplois et de la richesse produite.

Immigration et libéralisation des services

L’application du mode 4 de l’AGCS ne constituerait d’ailleurs pas une nouveauté radicale : il se situe dans la prolongement de ce qui existe déjà en matière de détachement de migrants temporaires dans le cadre d’une prestation transfrontalière de service. Cette forme de mobilisation de la main-d’¦uvre étrangère laisse émerger une nouvelle catégorie de travailleur, celle du migrant détaché : il s’agit d’un étranger qui n’a le droit de rester sur le territoire que dans le cadre de sa relation contractuelle avec son employeur et qui est contraint de repartir à tout moment au bon vouloir de l’employeur et, dans tous les cas, au terme du contrat de service. Un tel régime permet de rendre compatible la fermeture des frontières des États les plus développées avec le besoin des entreprises de recourir à des migrants plus malléables et corvéables que ceux déjà présents sur le marché du travail. Dès lors, les termes du débat sur l’avenir de l’immigration doivent être reformulés : l’important n’est pas de savoir quelle sera la quantité de migrants nécessaires au marché du travail comme le laissent penser les discours dominants, mais plutôt quelles seront les conditions juridiques et sociales dans lesquelles les migrants seront maintenus.

La caractéristique principale de l’AGCS est de pousser à une marchandisation accrue des activités humaines en allant beaucoup plus loin qu’une simple extension du commerce des services. L’AGCS couvre tellement de secteurs, que toutes les activités humaines sont potentiellement visées, y compris la santé, les services sociaux, l’éducation, les services récréatifs, culturels et sportifs, la recherche, le tourisme, les transports, les télécommunications, les services d’environnement (eau, énergie..) ou encore les biotechnologies. De plus, l’AGCS suit les règles de l’OMC qui vont beaucoup plus loin que les accords de libre échange du GATT et dépassent le seul commerce proprement dit : tout pays peut contester comme " barrière illégale au commerce " n’importe quelle mesure (loi, décision) nationale ou locale dans un autre pays si cette mesure, par exemple sociale ou environnementale, compromet les avantages ou profits que des entreprises étrangères pouvaient raisonnablement s’attendre à tirer des engagements de l’État au regard de l’accord AGCS.

Des migrants détachés

La logique de libéralisation des échanges défendue par l’OMC vise avant tout à défendre les intérêts des entreprises, et plus particulièrement ceux des pays du Nord. Le mode 4 de l’AGCS est l’une des quatre façons d’exporter un service selon l’AGCS, lorsque ce service est fourni à travers l’envoi temporaire de personnes physiques par une entreprise pour effectuer une prestation de service dans un autre pays. Dans ce cadre, il s’agit de préciser les avantages et les droits des entreprises qui commercent, mais la libre circulation préconisée ne s’applique pas aux personnes, de telle sorte que l’accord reste compatible avec des législations nationales restrictives relatives à l’entrée et au séjour. Le migrant envoyé n’acquiert aucun droit au séjour. Ce processus de libéralisation institutionnalise la catégorie du migrant détaché dont le contrat de travail a été établi dans le pays de départ, avec le risque, si aucune restriction au libre commerce du service n’est prévue, que ce soient les règles sociales du pays de départ qui s’appliquent. A la différence de l’utilisation de travailleurs étrangers sans titre, cette forme de " délocalisation sur place "(1) s’effectuerait non pas dans l’irrégularité mais dans le cadre d’une nouvelle légalité internationale. Une telle logique de dumping social à travers le mode 4 s’inscrit dans la continuité du principe de libre échange tel qu’il est défendu au sein de l’OMC. L’envoi pour des durées de travailleurs détachés permettrait de mettre en concurrence directe des systèmes productifs différents et de faire pression sur les salaires. Le secrétariat de l’OMC écrivait ainsi à propos des services de santé : " Les bénéfices significatifs ne viendront pas tant de la construction et de la gestion des hôpitaux, etc., que de la possibilité d’y employer un personnel plus qualifié, plus efficace et/ou moins cher que celui qui pourrait se trouver sur le marché du travail local "(2) . Face à cette logique potentiellement destructrice pour les systèmes sociaux les plus développés, des organisations syndicales ont d’ailleurs demandé des garanties telles que la protection des travailleurs migrants contre toute forme de discrimination, le respect des normes de travail internationales et des lois nationales sur le travail et la sécurité sociale et le respect des accords collectifs (3).

Contrairement à certaines déclarations alarmistes, les dirigeants de l’UE se sont engagés lors de la préparation du sommet de Cancun à ce que " les conditions de travail, les exigences salariales minimales et d’éventuelles conventions salariales collectives en vigueur dans l’UE [restent] applicables " (4).

Ces offres portent sur quatre catégories de travailleurs
 : les cadres dirigeants, les visiteurs d’affaires, les salariés dans le cadre d’une fourniture contractuelle de services et les travailleurs indépendants. Aucune de ces propositions n’a pour l’instant abouti puisque les négociateurs de Cancun ne sont pas parvenus à un accord mais il faut prendre la mesure des transformations déjà en vigueur au niveau européen. Le mode 4 de l’AGCS existe déjà dans certaines situations et pour certains secteurs. De plus il n’est qu’une des formes possibles existantes dans le cadre des législations communautaires et nationales en ce qui concerne l’envoi de travailleurs temporaires pour une prestation transfrontalière de service Au niveau communautaire, il existe déjà différents textes qui précisent les règles relatives aux travailleurs migrants détachés au sein de l’Espace économique européen (EEE). La liberté de circulation des services est une règle supérieure au sein de la Communauté européenne mais une directive adoptée en 1996 (96/71/CE) est venue la limiter quelque peu en imposant que le salarié envoyé dans le cadre d’une prestation de service au sein de l’EEE bénéficie des règles sociales du pays d’exercice de l’activité. Le faux détachement est en outre interdit : une relation de travail doit exister au préalable entre l’entreprise d’envoi et le travailleur détaché. Dans ce cas, l’employeur est tenu d’appliquer aux travailleurs détachés les règles du pays d’activité, en particulier les périodes maximales de travail et minimales de repos, les congés annuels, le salaire minimal, et enfin les règles de sécurité et d’hygiène au travail.

Pour des détachements de moins d’un mois, les entreprises peuvent toutefois se soustraire à certaines de ces obligations. Elles peuvent également échapper aux restrictions qui frappent les ressortissants d’État tiers en matière de libre circulation au sein de l’UE. En effet, au nom de la libre circulation des services, une entreprise implantée dans l’Union peut parfaitement envoyer au sein de l’EEE un de ses salariés, communautaire ou non, dont le droit à rester est alors strictement assujetti au bon vouloir de l’entreprise dans le cadre de la prestation de service : " A la différence des travailleurs migrants, les travailleurs détachés dans le cadre de la prestation de services retournent dans leur pays d’origine après l’accomplissement de leur mission, sans accéder à aucun moment au marché de l’emploi de l’État membre d’accueil "(5) . Ces règles ont été transposées dans le droit du travail français qui l’étend à toute prestation transfrontalière de service, y compris en provenance d’une entreprise implantée hors d’Europe (6).

En matière de protection sociale, l’employeur doit en principe verser les cotisations aux organismes du pays où l’activité est exercée et le salarié bénéficie du régime de sécurité sociale de ce même pays. Mais dans le cas d’un travailleur détaché dans le cadre d’une prestation de service au sein de l’EEE (ou de la Suisse), il est possible de maintenir le rattachement au régime de sécurité sociale du pays d’origine. Le règlement 1408/71 en précise les conditions notamment une durée limitée à 12 mois, exceptionnellement prolongeable de 12 mois. Des conventions bilatérales entre la France et une trentaine de pays (dont les pays du Maghreb, la Turquie, les Philippines, les États-Unis) permettent également aux entreprises implantées dans ces pays d’effectuer de tels détachements et de bénéficier ainsi de l’exonération des cotisations.

Contournement des normes minimales

Des normes minimales applicables en matière de droit du travail ou de protection sociale sont donc prévues par les législations communautaire et française afin d’éviter que ne puissent se développer des activités exercées par des travailleurs ayant des droits sociaux bien inférieurs à ceux en vigueur sur le marché national du travail. Mais en pratique, l’envoi de migrants détachés ouvre la voie à un abaissement des normes sociales pour trois raisons qui se cumulent.
La première tient à la difficulté à faire respecter les normes sociales obligatoires en raison du nombre insuffisant d’inspecteurs du travail et de la faible présence syndicale dans de nombreuses entreprises. Les illégalités sont alors d’autant plus difficiles à déceler lorsqu’il s’agit de travailleurs détachés qui arrivent pour une durée limitée dans un pays dont ils ne connaissent pas toujours la langue et la législation. La nature temporaire des emplois limite également fortement les possibilités de contrôle de l’administration et favorise le contournement des règles du travail. De plus en plus d’entreprises envoient ainsi des salariés faussement détachés et les inspecteurs du travail ont alors beaucoup de mal à prouver l’infraction, surtout lorsque les documents sont dans la langue d’origine des travailleurs. Pour les entreprises implantées hors de l’EEE, les difficultés de contrôler l’effectivité des règles sont encore plus grandes. Dans le cadre du mode 4, le risque serait de faire face à une myriade d’entreprises installées très loin, sans implantation sur place, et alimentant le marché du travail temporaire par des travailleurs renouvelés sans cesse.

Le deuxième risque d’abaissement des normes sociales vient de la position de subordination très forte que le travailleur détaché entretient vis-à-vis de son employeur. Son droit au séjour étant strictement conditionné à la réalisation de la prestation de service, il dispose d’un pouvoir de négociation très défavorable. En cas de litige, il risque à tout moment de perdre non seulement son emploi comme les autres salariés, mais aussi son droit de se maintenir sur le territoire. La nature très temporaire du séjour et le pouvoir absolu conféré à l’employeur empêchent également toute possibilité d’une représentation syndicale.

La troisième raison favorisant le contournement des normes sociales réside dans l’absence d’égalité de traitement avec les salariés locaux. En effet, le salarié envoyé en France dans le cadre d’une prestation transfrontalière de service ne bénéficie pas de toutes les règles du droit du travail : il ne peut se prévaloir des règles relatives au contrat de travail, au licenciement, à la représentation et surtout au taux de salaire en dehors du salaire minimum. Il peut par exemple occuper un emploi payé au salaire minimum, alors que le " tarif " sur le marché du travail du pays d’accueil pour son emploi est plus élevé ; dans ce cas, il ne peut faire jouer la concurrence pour obtenir une rémunération conforme à l’emploi qu’il occupe.

A la différence de tout autre salarié résidant et sauf s’il est ressortissant d’un des pays de l’EEE (ou de la Suisse), il ne bénéficie pas de la libre circulation, et ne peut donc menacer de changer d’employeur. Le risque d’abaissement des normes sociales est alors bien réel. Ainsi, à la suite de la concrétisation du marché unique des services au sein de l’EEE au début des années 1990, des sous-traitants portugais puis polonais sont entrés sur le marché allemand en fournissant une main-d’¦uvre très bon marché avec un système de roulement. Le recours à cette main-d’¦uvre envoyée dans le cadre d’un détachement a constitué en Allemagne une forte pression à la baisse sur les salaires et a occasionné une érosion des dispositions conventionnelles du secteur. Ce qui est vrai au sein de l’EEE, le serait encore plus dans le cadre de l’AGCS qui autorise les États à limiter l’immigration " à condition de ne pas annuler ou compromettre les avantages [pour les entreprises] découlant " de la libre fourniture de services via le mode 4. Les entreprises peuvent ainsi recourir à des travailleurs étrangers en dépit de la législation restrictive sur le séjour et en toute légalité.

L’entreprise Alstom a pu par exemple, sur les chantiers de Saint-Nazaire, obtenir des autorités que ses sous-traitants puissent avoir légalement recours à des travailleurs détachés (7) ; cette possibilité a ensuite donné lieu à d’innombrables illégalités que la presse a le plus souvent attribuées à la rigueur insuffisante des lois sur l’immigration. Cette erreur de raisonnement, largement répandue, procède d’une méconnaissance des règles de libre prestation de services au sein de l’EEE. En réalité, le risque d’abaissement des normes est toujours plus grand quand le migrant est maintenu, comme dans le cadre d’un détachement, dans un statut plus précaire et entièrement subordonné à l’employeur. Pour s’opposer à ce risque de dumping social, il est absurde de vouloir durcir encore la législation sur l’immigration puisque ce n’est pas elle qui régit l’envoi de travailleurs détachés. C’est au contraire en octroyant à ces travailleurs les mêmes droits qu’aux résidents, en leur donnant la possibilité de résister face aux exigences des employeurs, que l’on garantira le respect effectif des normes sociales en vigueur.

(1) Cf. Emmanuel Terray " Le travail des étrangers en situation irrégulière ou la délocalisation sur place " in Sans-papiers : l’archaïsme fatal, La Découverte, 1999, p. 9-34.

(2) Secrétariat de l’OMC, " Background note on health and social services ".
Cité in Attac (2001), Remettre l’OMC à sa place, édition Mille et une nuits, page 61.

(3) " Déclaration des syndicats sur les négociations AGCS ", Global Unions, Etuc et Wcl, 7 juin 2002. Traduction française sur www.attac.org (original sur www.tuc.org.uk/international)

(4) Commission européenne, " OMC - Services. L’UE propose d’améliorer les échanges commerciaux au bénéfice des pays en développement " IP/03/582, Bruxelles, 29 avril 2003.

(5) Communication de la Commission européenne du 25 juillet 2003 sur la mise en ¦uvre de la directive 96/71/CE dans les Etats membres (COM(2003) 458 final).
(6) Les dispositions figurent aux articles D. 341-5 et suivants du code du travail.

(7) Voir l’entretien réalisé par Nathalie Ferré dans Plein Droit n°61
(http://www.gisti.org/doc/plein-droit/61/index.html) .

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