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12 février 2003

Coopération à la mode brésilienne

Et si aider les autres commençait chez soi ?

 

Par France-Isabelle Langlois

Le 30 janvier dernier, le nouveau gouvernement brésilien lançait son ambitieux programme Faim Zéro sur les deux grandes chaînes de télévision du pays. « La faim est aujourd’hui un fléau mondial qui touche des milliards d’êtres humains à travers la planète. Nous, Brésiliens et Brésiliennes, nous avons l’obligation de faire notre part », a alors affirmé le président Luis Inácio Lula da Silva. Entretien avec l’un des conseillers spéciaux de Faim Zéro, Frei Betto, sur ce modèle brésilien de coopération internationale.

Le Brésil est l’un des pays les plus vastes au monde et compte 170 millions d’habitants. C’est l’une des dix puissances économiques les plus importantes et tant son système bancaire que son industrie sont très développés. Pourtant, « le Brésil est l’un des trois pays au monde où les inégalités sociales sont les plus grandes », nous rappelait la semaine dernière Frei Betto, lors de notre rencontre à Porto Alegre dans le cadre du Forum social mondial (FSM) 2003. En effet, 33 % des Brésiliens vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit, selon l’Institut de recherche appliquée en économie (IPEA), 56,9 millions de personnes, dont 24,7 millions sont dans l’indigence la plus complète. Ces gens survivent avec moins de deux dollars par jour, et le salaire minimum n’est que de 200 réals par mois, l’équivalent de moins de 100 dollars canadiens.

Frei Betto (frère Betto), un homme petit et mince aux cheveux gris, âgé de 57 ans, cumule plusieurs responsabilités. Il agit, entre autres, comme conseiller auprès du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre et de l’Union brésilienne des mouvements populaires. Mais aujourd’hui, il est l’une des personnes clés du gouvernement du Parti des travailleurs (PT) en tant que conseiller spécial de la mise en oeuvre du programme Faim Zéro. Un défi incommensurable que se sont lancés Lula et ses ministres.

Une vie contre la pauvreté

Frei Betto est un frère dominicain qui a consacré sa vie à lutter contre la pauvreté. Dans les années 1960, il a été au coeur du mouvement de renouvellement de l’Église catholique et a fait partie du groupe de théologiens qui, en Amérique latine, ont développé la théorie de la libération. Celle-ci est fondée sur l’idée que la libération commence ici, sur terre, pas seulement au ciel. Et qu’être libre, c’est d’abord se libérer de la pauvreté.

Dans les années 1970, sous la dictature des militaires, Frei Betto sera emprisonné et torturé. Il prendra ensuite le chemin de l’exil et ne rentrera qu’en 1978, au moment où l’amnistie sera prononcée. Le religieux a aussi participé à la révolution nicaraguayenne et est — peut-être curieusement — un ami personnel de Fidel Castro, avec qui il entretient une correspondance régulière sur la religion et l’existence de Dieu. Des entretiens qui ont d’ailleurs été publiés et traduits en français.

De l’expérience nicaraguayenne, l’homme semble garder un souvenir amer : « Après la défaite qu’a connue le Nicaragua, le gouvernement brésilien ne peut pas se permettre d’échouer », affirme-t-il d’un ton qui n’autorise aucune discussion. Là-dessus, il rejoint tout à fait le sentiment de Lula, qui a aussi affirmé, lors de son discours devant les participants du FSM le 24 janvier, que les Brésiliens n’avaient pas le droit de ne pas réussir.

Une armée de 300 000 personnes

Et de cet air sérieux, calme et posé que l’on connaît bien aux hommes de religion, Frei Betto explique méthodiquement le programme Faim Zéro, étape par étape, comme s’il s’agissait d’une chose naturelle et évidente. Une tâche qui demande certes beaucoup de travail, mais qui n’a aucune raison d’échouer. « Nous ne réinventerons pas la roue, affirme le religieux. Il y a 300 000 personnes qui font déjà ce travail au Brésil : des religieux, des travailleurs communautaires et des agents de la santé au service de l’État. Tous ces gens seront mobilisés pour Faim Zéro. » Mais ce ne sera pas suffisant. C’est pourquoi on mettra sur pied, parallèlement, un programme de formation de travailleurs communautaires qui viendront grossir les rangs des « soldats » de la faim.

Il ne s’agit pas seulement de distribuer de la nourriture et de créer une dépendance encore plus grande vis-à-vis de l’État, explique Frei Betto. Faim Zéro, c’est un programme complexe où formation, soutien aux producteurs locaux, collations scolaires et cartes alimentaires magnétiques se combinent. L’idée est de donner les moyens à tous de se nourrir convenablement trois fois par jour, sans avoir recours à la charité. Et c’est là la principale critique que le religieux fait à la coopération, quelle qu’elle soit : le plus souvent, elle n’est conçue que de façon caritative. « Avec Faim Zéro, celui qui reçoit est aussi un agent actif du programme. » L’aspect éducation et formation prend ici tout son sens.

Frei Betto est d’abord un éducateur populaire, et pour lui, « l’alimentation la plus importante, c’est la formation ». Il regrette que les écoles soient fermées après les heures de cours alors qu’on peut utiliser ces établissements les soirs et les fins de semaine pour faire de l’éducation auprès des parents autant que des enfants : « L’école doit être un laboratoire pour l’inclusion sociale, où l’on apprend qu’un autre monde est possible. »

Limitations internationales

Bien sûr, la tâche apparaît incommensurable au Brésil. Le budget de l’État doit composer avec d’importantes limites, imposées notamment par les institutions internationales. Dans un premier temps, le programme Faim Zéro sera mis en application presque exclusivement dans neuf États du nord-est, la région la plus pauvre, qui est touchée par la sécheresse et la famine. Mais Frei Betto, à l’instar de Lula et des autres membres du PT, est déterminé à aller de l’avant, peu importe le temps et les efforts que cela prendra.

En s’attaquant à la pauvreté, aux inégalités, aux injustices endémiques au Brésil, le gouvernement du PT est convaincu de contribuer à l’« effort de guerre » de la coopération internationale. Critiquant l’intention des États-Unis d’attaquer l’Irak, le président brésilien Lula a affirmé, lors du lancement du programme Faim Zéro : « Notre guerre à nous ne provoquera pas la mort de quiconque, mais sauvera plutôt des vies. »

(*) France-Isabelle Langlois, est responsable de l’information pour l’ONG Alternatives et a participé au FSM au nom des journaux Alternatives et Le Devoir.

Cet article a été publié dans Le Devoir du 8 février 2003.

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