Accueil > Notre Amérique > Frère Indigène > Comment la mondialisation a aidé les peuples indigènes
Les Indiens occupent une place de plus en plus importante en politique. Et, contre toute attente, c’est en partie grâce à la mondialisation. Les mouvements indigènes ont su profiter des réseaux de solidarité et de la circulation des idées pour mieux s’organiser.
Au cours d’un récent sommet des chefs d’Etat latino-américains, l’ancien syndicaliste devenu président du Brésil, Luiz Inácio "Lula" da Silva, a déclaré que "son peuple", les travailleurs brésiliens, avait attendu des dizaines d’années avant d’accéder au pouvoir. Le président du Pérou, Alejandro Toledo, premier président péruvien d’origine indienne, lui a alors rétorqué : "Mon peuple, lui, a attendu cinq cents ans."
Leur attente semble donc arriver à sa fin, et pas seulement au Pérou mais aussi dans le monde entier. La montée en puissance des peuples autochtones en politique est devenue aujourd’hui un phénomène mondial.
La Confédération des nationalités indiennes d’Equateur (CONAIE) est devenue une force politique essentielle dans ce pays. Le Mouvement vers le socialisme bolivien (MAS) a acquis un énorme poids politique grâce au soutien des Indiens producteurs de coca. Et les mouvements indiens ont également vu croître leur influence au Brésil, au Chili, en Colombie et en Amérique centrale. De nombreux pays ont modifié leur Constitution pour accorder plus de droits et de protection aux descendants des peuples autochtones.
Au Mexique, la révolte du Chiapas a donné une nouvelle dimension politique aux mouvements indiens, et la Guatémaltèque Rigoberta Menchú, lauréate du prix Nobel de la paix, est devenue un symbole international de la lutte pour les droits des autochtones. Ce poids politique récemment acquis ne signifie pas que la misère, l’exclusion et l’exploitation qui accablent les populations autochtones du monde entier soient des problèmes réglés. Leur influence politique est encore très récente et elle est souvent détournée par les hommes politiques, dont certains sont d’origine autochtone. Cependant, il est incontestable que les populations indigènes du monde entier occupent une place de plus en plus importante en politique. Comment expliquer ce phénomène ?
Contre toute attente, la mondialisation a beaucoup aidé les peuples indigènes. Grâce à la convergence des mutations technologiques et politiques, notre monde est aujourd’hui plus petit et de moins en moins tolérant envers les injustices et les dictatures. Aujourd’hui, non seulement voyager et communiquer est à la portée de presque toutes les bourses, mais les pratiques démocratiques s’enracinent chaque jour davantage dans de nombreux pays et l’obtention de certains droits fondamentaux est désormais sinon une réalité du moins un objectif à atteindre.
De plus, les ONG qui militent pour les droits de l’homme et l’environnement ou qui luttent contre la pauvreté peuvent désormais recruter des membres, collecter des fonds et intervenir dans le monde entier plus rapidement qu’auparavant.
Tous ces phénomènes offrent aux peuples indigènes de nouvelles opportunités politiques. Par exemple, la décentralisation du pouvoir politique, de la capitale aux gouvernements locaux - qui est également un phénomène mondial -, a facilité l’élection de représentants autochtones dans des zones où cette population est majoritaire.
Par ailleurs, dans les années 80, les Nations unies ont soutenu l’internationalisation du mouvement autochtone en manifestant l’intention de rédiger une déclaration universelle des droits des peuples indigènes. La déclaration est encore à l’état d’ébauche, mais ce projet a permis de créer un réseau mondial bien organisé et relativement bien financé.
L’influence croissante des mouvements de protection de l’environnement et paradoxalement l’essor des multinationales ont également contribué à augmenter le potentiel politique des groupes indigènes. Les revendications des autochtones concernant les terres sur lesquelles leurs ancêtres ont toujours vécu sont tout à fait légitimes. Ainsi, quand des terres auparavant dépourvues de toute activité économique majeure suscitent subitement la convoitise des grandes entreprises, les populations indigènes ne sont pas disposées à se laisser faire et s’organisent politiquement. S’il est évident que la mondialisation n’a pas que des avantages pour les 350 millions d’autochtones qui vivent dans plus de 70 pays, il est indéniable que, grâce à ce phénomène, les populations indigènes disposent désormais de puissants alliés, d’une plus grande résonance sur la scène internationale et de davantage de poids politique dans leur propre pays.
Par Moisés Naím
Rédacteur en chef de la revue Foreign Policy.
"El País", Madrid
Courrier International, 16 novembre 2003