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Philip Agee, l’ex-agent de la CIA qui a eu la valeur, en 1967, d’abandonner une agence qui se caractérisait par son appui criminel à des dictatures sanguinaires, il racontait qu’il a pris cette décision de manière définitive quand, se trouvant dans un restaurant du Mexique, il a vu une amie éclater en larmes après avoir appris la mort du Che.
Ainsi s’exprime, dans une seule image, toute la noblesse du personnage qui est décédé à 73 ans, le 7 janvier passé, à La Havane, dans cette terre cubaine d’où il continuait de dénoncer les activités terroristes et subversives développées par les services d’intelligence des Etats-Unis contre des gouvernements et des dirigeants progressistes du continent.
Phillip B. Agee, citoyen américain, a été employé de l’Agence Centrale d’Intelligence (CIA) en Amérique Latine pendant douze ans jusqu’à ce qu’il abandonnât ses rangs en 1969 pour des raisons de conscience. Il occupait alors un poste de façade à l’ambassade étasunienne, d’attaché olympique, sous prétexte de la préparation des Jeux de 1968. Auparavant, il avait été en poste en Équateur et en Uruguay.
En 1967 il a été assigné au bureau de la CIA au Mexique comme renfort compte tenu de la proximité des Jeux Olympiques de 1968.
"Des millions de personnes dans le monde entier ont été tués ou, du moins ont vu leurs vies détruites par la CIA et les institutions qu’elle supporte", a déclaré Agee dans une rencontre accordée en 1975.
"Je ne pouvais pas rester assis, à ne rien faire", a-t-il ajouté.
Après être sorti de la Compagnie, tandis qu’il subissait des menaces et une persécution constante qui a mis sa vie en danger à plus d’une occasion, il s’est consacré à la rédaction de son livre "Inside the Company : CIA Diary" (Traduction française (1976) : Le journal d’un agent secret. Seuil. ISBN 2020043203).
L’œuvre, une vraie synthèse des activités criminelles de la CIA en Amérique, a été publiée en 1974, accompagnée d’une annexe 22 pages de noms d’agents infiltrés dans tout le continent. Ce fut une vraie bombe qui a ébranlée tous les secteurs des services nord-américains d’intelligence.
Déterminée, à l’éliminer, la CIA a chargé l’ex-chef du bureau de la CIA de Miami, Ted Shackley, connu comme le Fantôme Blond, de le capturer. Agee a du quitter la France où il se trouvait pour se réfugier à Cambridge, en Grande-Bretagne, Agee a été alors expulsé par les britanniques à la demande de Washington.
Empêché de s’installer, successivement, en Italie et aux Bas Pays, où les autorités ont constamment subi des pressions pour lui refuser un statut d’émigrant, privé de passeport nord-américain pour être une "menace à la sûreté nationale" ; il s’exile en 1980 sur l’île de la Grenade, sous le gouvernement révolutionnaire de Maurice Bishop.
Avec l’invasion américaine contre ce petit pays, en 1983, il se refugie au Nicaragua, pour après l’arrivée au pouvoir de la contre-révolution soutenue par Washington, s’installer en Cuba qui lui a offert son hospitalité.
Malgré tous les dangers et difficultés, Agee a publié le « Dirty Work : The CIA in Western Europe » (Lyle Stuart. ISBN 0-88029-132-X), avec Louis Wolf et quelques articles de presse en plus d’accorder des entretiens et d’aider des reporters dans leur recherche d’information.
Par cinq fois, le gouvernement américain a essayé de le trainer devant les tribunaux pour révélation de secrets, mais sans succès, ses ex-chefs en craignant, en dernière instance, l’usage qui pouvait être fait de l’énorme quantité d’informations qu’il conservait.
Enragé, George Bush père, ex-chef de la CIA recyclé en président qui a parrainé la fondation de la CORU terroriste et de l’opération Condor, l’a qualifié de traître et l’a calomnié à de nombreuses occasions. Son épouse, Barbara, a été condamnée à se rétracter quand elle a lancé la même insulte par écrit, dans une autobiographie rédigée à quatre mains.
Fidèle ami de Cuba, d’Agee a démontré comment l’Île se trouvait victime d’un nouveau programme mondial développé par la CIA pour financer et développer des organisations dites dissidentes sous la façade de l’Agence pour le Développement International (AID) et un fond expressément établi en 1983 avec cet objectif, The National Endowment for Democracy (NED).
Tandis que le New York Times s’est interrogé, après avoir annoncé sa mort, sur la dimension des "dommages" causés par Agee aux services d’intelligence d’étasuniens, les médias progressistes du monde reconnaissaient, au contraire, les services qu’il a rendu à l’humanité, comme vrai patriote nord-américain, après avoir démasqué une organisation qui a porté jusqu’à des extrémités jamais vues l’usage de la violence par une grande puissance contemporaine.
Une puissance qui protège un terroriste comme Luis Posada Carriles tandis qu’elle maintient emprisonnés dans des conditions infrahumaines les cinq agents antiterroristes cubains qui essayaient de contrecarrer ses plans.
Quand le monde entier est scandalisé par les tortures infligées à Abu Ghraib, à Guantanamo et dans tout un réseau de centres d’interrogatoire façonné par la CIA dans le monde entier, quand on découvre que des officiels haut placés de l’agence dans une collusion avec membres du gouvernement Bush ont détruit des centaines d’heures d’enregistrement d’interrogatoires avec des techniques "sévères" … : que pensera l’agent de la CIA qui a rejoint l’organisation avec l’illusion de défendre son pays ?
Combien de membres honnêtes parmi les plus de 20 000 personnes qui forment cette immense machinerie se demanderont comme Philip Agee, si n’est pas arrivé le moment pour eux de renoncer aux avantages qu’un emploi de fonctionnaire procure, de changer enfin le cours de leur vie, de se joindre à la lutte des milliers de millions d’êtres humains qui, armés de la seule force de convictions, croient qu’un meilleur monde est possible ?
Par Jean Guy Allard
Cubadebate. Cuba, le 14 janvier 2008.
Philip Agee, est mort à l’âge de 72 ans, dans la nuit du 7 janvier 2008 à Cuba.
Nous saluons le départ d’un Juste.
El Correo