Portada del sitio > Los Primos > Chile > Colonia Dignidad, une enclave allemande au Chili aux allures de secte
L’ex-Colonia Dignidad, sur la sellette pour pédophilie et comme centre de torture sous Pinochet, est une enclave allemande fondée au Chili par un caporal-infirmier nazi, qui l’avait transformée en une sorte de secte bénéficiant de protections, selon plusieurs experts.
Par Françoise KADRI
AFP. Parral. Chili, 3 décembre 2004
Paul Schaefer a créé en 1961 à l’âge de 40 ans la "Société de bienfaisance et d’éducation Dignidad", à San Manuel, à l’est de Parral (à 350 km au sud de Santiago), après avoir fui l’Allemagne où il était accusé de viol par des adolescents ayant passé des vacances dans sa "mission privée" à Siegburg, près de Cologne.
L’année d’après, il était rejoint par 250 immigrants allemands dont l’ex-capitaine de l’aviation Hermann Schmidt.
La colonie (rebaptisée Villa Baviera après avoir perdu son statut de société de bienfaisance en 1991) fonctionne en autarcie car les 280 habitants cultivent jusqu’à l’avoine de leurs chevaux, élèvent une grande variété d’animaux et ont un barrage pour produire leur électricité.
L’ex-Colonia possède des entreprises (Abratec, Cerro Florido et Prodal), son propre hôpital et son école (autrefois internat ouvert aux enfants pauvres des environs), un restaurant bavarois à Bulnes, et contribue au fonctionnement d’une école chilienne près de son entrée.
Selon le sénateur socialiste Jaime Naranjo qui travaille sur le dossier depuis les années 60, "c’est un immense empire économique présent dans plus d’une centaine d’entreprises actives dans la construction (tuiles, briques, pierres et sable), les supermarchés, des mines d’uranium et titane, des flottes de transport et des biens immobiliers".
Outre des ennuis avec le fisc, la Colonia a défrayé la chronique dès sa création avec la fuite de jeunes colons dénonçant la pédophilie de Schaefer.
Pour la première fois, 22 dirigeants dont le fondateur, "l’oncle permanent", ont été condamnés début novembre pour des abus sur mineurs.
"Le viol était un instrument pour garantir la loyauté des hiérarques et des colons. C’est une secte avec la religion comme moyen de soumission. Schaefer avait été pasteur luthérien en Allemagne. Il disait aux enfants: +Ou tu vas avec moi, Dieu, ou à l’enfer+", a indiqué à l’AFP un magistrat informé du dossier.
Aujourd’hui, la Colonia fait aussi l’objet d’au moins deux plaintes pour avoir été un centre de torture du régime Pinochet. En 1997 et 1998, lors des derniers grands ratissages infructueux pour rechercher Schaefer, les policiers ont découvert des bunkers, des détecteurs de mouvement, des caméras cachés dans les arbres, un arsenal digne d’un roman d’espionnage.
La Colonia a aussi été soupçonnée dans la disparition de détenus politiques sous Pinochet et de touristes dont un Américain et un Néerlandais.
Selon le sénateur Naranjo, la Colonia est désormais affaiblie: "C’est le début de la fin". "Son apogée c’était pendant la dictature, qui lui a permis de faire de bonnes affaires et d’acquérir beaucoup de pouvoir", a-t-il dit à l’AFP, précisant que Pinochet y venait souvent et que le chef des services secrets Manuel Contreras y chassait.
Selon lui, jusqu’aux années 90, la Colonia invitait régulièrement juges, militaires, policiers, entrepreneurs, hommes politiques et journalistes pour les faire tomber dans une tentation à caractère sexuel et les faire chanter. Elle a ainsi constitué un fichier de 30.000 personnes, lui assurant des protections bien placées.