Accueil > Les Cousins > Colombie > Colombie, drogue, guerre et propagande Colombia : The Media’s Drug War (…)
Par Garry Leech
Mondialization
Colombiajournal, Le 10 fevrier 2006
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La semaine passée les correspondants des médias dominants basés en Colombie ont servi la propagande de la soi-disant guerre à la drogue menée par Washington dans ce pays sud-américain. Après la mort le mois dernier de 29 militaires tués par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), le président Alvaro Uribe était décidé à montrer aux Colombiens et au monde que son gouvernement est en train de l’emporter dans le guerre civile et dans la guerre à la drogue. Cependant, pour que son message soit diffusé de façon efficace, Uribe avait besoin de la collaboration des médias internationaux. Pas de problème. Tout ce qu’il avait à faire c’était de planifier une offensive anti-narcotiques et de demander aux militaires un tour pour la presse [junket] pour transporter les correspondants étrangers de Bogotá à la zone d’opération.
Inévitablement les journalistes dorlotés allaient citer les officiers de l’armée chargés de l’opération et allaient présenter de façon favorable un aspect du problème. Le 19 janvier l’armée colombienne a arrangé un tour pour la presse pour les journalistes de Reuters et de Associated Press pour aller couvrir l’éradication manuelle des plants de coca dans le Parc National de La Macarena, dans le sud-est de la Colombie. Les deux journalistes ont informé du lancement de l’opération de façon complaisante bien qu’ils ne fussent apparemment pas d’accord sur le nombre de troupes impliquées (c’était 3000 soldats selon AP, et 1500 soldats et policiers selon la version de Reuters). Les deux articles ne reportaient que le point de vue de l’armée colombienne sur cette opération d’éradication de la plante de coca.
Le lendemain, plus de 50 publications dans le monde, y compris de nombreux quotidiens états-uniens, ont rendu compte de ces deux dépêches des agences. Le titre impartial de Reuters était le suivant : « La Colombie commence à nettoyer la coca du Parc National ». Le titre de la version AP cependant ressemblait à un communiqué du gouvernement colombien ou de l’ambassade états-unienne : « La Colombie se réapproprie une région infestée par la coca ». A aucun moment dans ces deux articles aucun des militaires qui a organisé le tour pour la presse [junket] explique ce que le gouvernement fait, s’il fait quelque chose, pour les quelque 5000 agriculteurs dont les moyens de subsistance sont détruits. A aucun moment dans ces deux articles il n’y a la moindre citation de propos émis par les paysans qui sèment la coca. Cela pourrait aider le lecteur à comprendre dans quelle mesure l’opération affecte les paysans et leurs familles et ce que ces derniers pensent de l’opération militaire. Et à aucun moment dans les articles il n’y a la moindre citation des FARC, expliquant leur point de vue sur l’opération militaire, supposée viser les sources de financement de cette organisation insurgée.
Les tours pour la presse [junkets] officiels, régulièrement organisés par le gouvernement colombien et par l’ambassade états-unienne sont un moyen pratique pour les correspondants basés à Bogotá pour visiter les lointaines régions rurales affectées par le conflit interne. Le problème, cependant, c’est que les journalistes sont transportés pour passer quelques heures avec des officiels qui leur offrent un article pré-emballé. Inévitablement la ligne officielle s’impose dans le compte-rendu. De leur côté, le gouvernement colombien et l’ambassade des Etats-Unis sont parfaitement conscients de la situation de dépendance totale des médias dominants quant aux sources officielles. Ils tiennent donc régulièrement des conférences de presse officielles et des officiers sont utilisés pour les actes publics, comme par exemple pour l’ouverture d’une nouvelle usine, ou à l’occasion d’une nouvelle opération militaire. Les officiels du gouvernement savent parfaitement que les médias couvriront ces actes de façon disciplinée parce qu’ils permettent de produire des articles convenables ; mais il y a peu de chances pour qu’un officiel dise quelque chose qui ait la valeur d’une nouvelle. Tous les correspondants étrangers basé en Colombie se présentent souvent à ces actes pour ne pas être le seul à ne pas rendre compte de la « nouvelle », ce qui signifie que paraîtront le lendemain des versions presque identiques du même reportage. Les officiels du gouvernement savent que s’ils occupent quotidiennement avec des nouvelles pré-emballées qui montrent le gouvernement sous un jour positif, les journalistes seront trop occupés pour pouvoir mener un véritable journalisme d’investigation qui pourrait soulever de véritables questions sur des thèmes importantes.
La couverture du conflit colombien, comme pour d’autres sujets importants, ne doit pas se réaliser de cette façon. Les correspondants devraient travailler plus indépendamment et ne pas accepter passivement de se laisser orienter par les officiels du gouvernement. Deux, trois, quatre ou même cinq correspondants étrangers couvrant une conférence de presse de l’ambassadeur états-unien, par exemple, ne peut mener qu’à la publication de cinq articles presque identiques. Par contre un journaliste pourrait couvrir un événement comme une conférence de presse (et zéro si le gouvernement ne peut pas convaincre les médias qu’il va aborder un sujet important), cependant que les autres correspondants seraient libres de mener des investigations sur d’autres affaires. Le résultat pour le public serait une couverture beaucoup plus rationnelle de la Colombie. L’excessive dépendance des médias dominants vis-à-vis des sources officielles, voici l’une des raisons qui font que les journalistes indépendants et alternatifs suivent plus particulièrement les nouvelles et les points de vue généralement ignorés par leurs collègues des grandes entreprises médiatiques.
Dans le cas des articles de Reuters et AP la semaine passée, les journalistes n’auraient pas dû baser la totalité de leurs articles sur le tour pour la presse officiel. Ils auraient dû voyager de façon indépendante vers la région, et mener une enquête plus profonde et plus étudiée de l’opération au lieu de simplement jouer le rôle de service de propagande des gouvernements colombien et états-unien. Une telle stratégie leur aurait permis de parler à des paysans cocaleros affectés par l’opération, d’interroger des membres des FARC (si ces derniers l’avaient bien voulu) et de sentir la situation sur le terrain au-delà des confins de leur garde militaire officielle.
Si les tours pour la presse [junkets] offrent un accès rapide, aisé et sûr à une nouvelle, ils affaiblissent la responsabilité journalistique qui est d’enquêter en profondeur sur un thème et d’éviter de dépendre d’une source unique. Bien que travailler de façon indépendante puisse parfois être dangereux dans un pays frappé par un conflit comme la Colombie, la réalité c’est que les journalistes basés dans ce pays d’Amérique du sud sont des correspondants de guerre et qu’ils ont la responsabilité de couvrir le conflit de façon rationnelle. Un article basé presque exclusivement sur quelques heures de présentation officielle mâchée ne peut pas être considéré comme relevant du journalisme. En fait, ce n’est rien de plus que de la propagande officielle.
Traduction en français : MichelCollon.Info
Traduction : Numancia Martínez Poggi
The Media’s Drug War Propaganda
by Garry Leech
Colombiajournal. January 23, 2006
Last week, mainstream media correspondents based in Colombia again served as propagandists for Washington’s so-called war on drugs in the South American country. Following last month’s killing of 29 soldiers by rebels of the Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC), President Alvaro Uribe was determined to make a statement to Colombians and the world that his government was winning both the civil conflict and the war on drugs. However, in order to get his message out effectively, Uribe needed the international media’s cooperation. No problem. All he had to do was plan a counternarcotics offensive and have the military arrange a press junket to transport foreign correspondents from Bogotá to the operation zone. Inevitably, the spoon-fed reporters would quote the military officers in charge of the operation and comprehensively cover one side of the story.
On January 19, the Colombian military arranged a press junket for reporters from Reuters and the Associated Press (AP) to cover the manual eradication of coca crops in La Macarena National Park in southeastern Colombia. The two journalists obediently reported on the launching of the operation although they apparently could not agree on the number of troops involved (it was 3,000 soldiers, according to AP, and 1,500 soldiers and police in the Reuters version). Both articles only portrayed the Colombian military’s perspective of the operation to eradicate the coca crops.
The next day, more than 50 media outlets worldwide, including many U.S. dailies, carried the two wire service stories. The neutral title of the Reuters story declared, "Colombia Starts Clearing Coca from National Park." The title of the AP version, however, sounded like a Colombian government or U.S. embassy press release : "Colombia Reclaiming Coca-Infested Region."
Nowhere in the two articles do any of the military or government officials who arranged the press junket explain what, if anything, the government is doing for the estimated 5,000 impoverished farmers whose livelihoods are being destroyed. Also, nowhere in the articles are there any quotes from local coca-growing peasants that would help the reader understand how the operation was affecting the farmers and their families and what they thought about the military operation. And nowhere in the articles are there any quotes from the FARC explaining its perspective on the military operation that is allegedly targeting the rebel group’s funding.
Official press junkets, regularly organized by the Colombian government and the U.S. embassy, are a convenient way for correspondents based in Bogotá to visit remote rural regions affected by the civil conflict. The problem, however, is that the journalists are flown to the destination to spend a few hours with officials and be presented with a pre-packaged story. Inevitably, the official line dominates the published account.
For their part, the Colombian government and the U.S. embassy are fully aware of the mainstream media’s over reliance on official sources. Consequently, they regularly hold official press conferences or dispatch officials to public events such as the opening of a new factory or the launching of a new military operation. Government officials know full well that the media will obediently cover these events because they provide convenient stories and there is the slim possibility that an official just might say something newsworthy.
All the foreign correspondents based in Colombia often attend the same event so as not to be the only one not covering the "story," meaning that several almost-identical versions of the same article will be published the following day. Government officials know that if they keep the media occupied daily with pre-packaged stories that portray government policy in a positive light, then reporters will be too busy to actually conduct any real investigative journalism that might raise serious questions about important issues.
Coverage of Colombia’s conflict and other important issues does not have to be conducted in this manner. Correspondents should work more independently and not passively accept an agenda dictated by government officials. Two, three, four or even five foreign correspondents covering a press conference by the U.S. ambassador, for example, only leads to the publication of as many as five almost identical articles. Instead, one reporter could cover an event such as a press conference (or none if the government cannot convince the media that it will address a significant issue), while the other correspondents would be free to investigate other stories. As a result, the public would benefit from a far more comprehensive coverage of Colombia. The mainstream media’s over reliance on official sources is one of the reasons that alternative, independent journalists focus on those viewpoints and stories routinely ignored by their corporate counterparts.
In the case of last week’s Reuters and AP articles, the journalists should not have based their entire stories solely on the official press junket. They should have traveled independently to the region and conducted a more thorough and comprehensive investigation of the operation instead of simply serving as a propaganda service for the Colombian and U.S. governments. Such a strategy would have allowed them to speak to coca farmers affected by the operation, interview FARC members (if they would have been willing) and actually get a feel for the situation on the ground beyond the confines of their official military guard.
While press junkets provide quick, easy and safe access to a story, they undermine the journalistic responsibility to thoroughly investigate an issue and avoid over dependence on a single source. While working independently might at times be dangerous in a conflict-ridden country like Colombia, the reality is that foreign reporters based in the South American nation are war correspondents and have a responsibility to comprehensively cover the conflict. An article based almost exclusively on a couple of hours of spoon-fed official views cannot be considered journalism. In fact, it amounts to nothing more than official propaganda.