Portada del sitio > Los Primos > Colombia > Colombie- Etats-Unis : « Huit mille assassinats politiques par an »
En finançant l’armée colombienne, qui soutient les paramilitaires, Washington se rend complice des pires exactions. L’analyse de Doug Stokes*, à la veille de la présidentielle.
Par Dante Sanjurjo
Politis. Paris, 25 mai 2006
Le Président colombien, Alvaro Uribe, devrait être réélu le 28 mai. Il est très proche des États-Unis, dont vous décrivez, dans votre dernier livre (1), les responsabilités dans la situation dramatique que connaît le peuple colombien...
Doug Stokes : Les États-Unis sont en effet en grande partie responsables de cette situation dramatique. Depuis longtemps, ils soutiennent une campagne contre-insurrectionnelle de grande envergure qui a eu de graves conséquences sur les relations sociales en Colombie. Je ne veux pas édulcorer les responsabilités des élites colombiennes, mais la guerre contre-insurrectionelle de Washington a servi à renforcer le pouvoir de certaines des forces sociales les plus réactionnaires du pays, comme les grands propriétaires terriens, tout en empêchant de trouver des solutions à la pauvreté et à l’insécurité, qui se sont généralisées. La Colombie est un pays riche, et là comme ailleurs en Amérique latine, les États-Unis, pour défendre les investissements de leurs multinationales, cherchent à éradiquer les menaces pesant sur les régimes qui garantissent la stabilité de leurs intérêts. En Colombie, ces menaces sont la gauche révolutionnaire armée (les Farc), les syndicats ou encore les partis de gauche.
Comment se traduit cette implication américaine ?
L’administration fédérale américaine de lutte contre la drogue a reconnu que les Autodéfenses unies de Colombie (AUC) [paramilitaires d’extrême droite, NDLR], de loin les plus importants trafiquants de drogue du pays, étaient responsables de plus de 80 % des violations des droits de l’homme, et étaient intimement liés à l’armée colombienne. Pourtant, l’ONG Human Rights Watch a publié un rapport montrant avec force détails comment la CIA a supervisé, au début des années 1990, une réorganisation du renseignement militaire colombien, qui favorisait l’entrée dans l’armée des réseaux paramilitaires. En somme, les États-Unis ont soutenu l’intégration des pires criminels au sein d’une armée à qui ils versent, à travers le Plan Colombie, des milliards de dollars pour qu’elle lutte contre la drogue et le terrorisme. Uribe, le leader préféré de Washington en Amérique du Sud, vient de réaliser l’intégration massive de paramilitaires à l’armée colombienne, après le cessez-le-feu signé avec les AUC en décembre 2002. Celui-ci n’a pourtant pas été respecté, puisque, rien qu’entre cette date et août 2004, les paramilitaires auraient tué ou fait disparaître 1 899 civils.
Dans un tel contexte de violence, pour assurer sa réélection, Uribe a évidemment fait de la sécurité le principal thème de sa campagne. Mais il faut préciser que, pour lui, la sécurité signifie davantage de répression de ceux qui critiquent son gouvernement, l’extension de la militarisation de grandes parties des zones rurales, l’intégration des paramilitaires dans les institutions stratégiques de l’État colombien, etc. Enfin, comment est-il possible d’avoir un processus électoral digne de ce nom avec ce niveau de répression, une gauche qui continue à être décimée par les paramilitaires, et un taux de populations déplacées parmi les plus élevés du monde ?
Lire la suite dans Politis n° 903
(1) Terrorising Colombia : America’s Other War, Zed Books, 2005.
* Professeur en politiques internationales à la City University de Londres.