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6 janvier 2004

Carlyle, la pieuvre "Made in USA"

 

Par François Missen

C’est un drôle de mélange d’intérêts publics et privés, de profits géants et d’arrière-pensées stratégiques. Depuis sa création en 1987, la compagnie américaine Carlyle n’a cessé d’étendre ses prises de participations dans tous les secteurs de l’industrie et de la finance. Avec une nette prédilection pour l’armement et la haute technologie. Présent dans toutes les régions sensibles du globe, Carlyle dispose de VRP de luxe, anciens chefs d’États ou banquiers reconvertis. Mais Carlyle, c’est surtout les Bush, père et fils, et de bonnes affaires avec la famille Ben Laden. Après une enquête de plusieurs mois, François Missen nous propose ce voyage dans un univers qui cultive le secret.

Washington, 11 septembre 2001, 9 h 10, Pentagone City.
Radieux, l’été indien ! Kamishi est déjà aux fourneaux. Le sushi-man n’en finit pas de découper thon et saumon en fines lamelles sous la verrière de l’immense centre commercial. Dans trois heures, il n’y aura plus une table libre. Malgré la télé. Malgré ce qui se passe à Manhattan. Ici, le ciel est vierge. Comme la bretelle routière qui contourne cette usine à bouffe, gadgets et dollars. Les milliers de Virginiens sont déjà devant leurs consoles d’ordinateurs. Ça change avec cette artère busy dès sept heures du matin au coeur de la puissance américaine, entre la tour de la DEA (Drug Enforcement Administration) et les cinq ailes du Pentagone. À l’est du Potomac, la capitale fédérale est sous perfusion télévisuelle. À l’Enfant Plazza, la station de métro dégorge une foule moins dense que d’ordinaire. Les images live de CNN ont frappé comme partout dans le monde.

Elles frappent ici, au sommet du Ritz Carlton, un palace de la Vingt-deuxième, à trois cents mètres de Washington-Circle, qui coupe Pennsylvania Avenue. Il y a du beau monde là-haut. Le groupe Carlyle tenait une réunion, lorsqu’un homme est venu glisser quelques mots à l’oreille du président, Frank Carlucci.

­What ? La télé a immédiatement déversé les documents en provenance de New York. Et depuis, comme des millions d’êtres humains, ces messieurs sont pétrifiés, rivés au drame barbare qui se déroule à quatre cents kilomètres de là. Et puis, entre les premières images des deux avions projectiles injectées en boucle et celles qui racontent l’insupportable agonie des hommes et des pierres, les téléphones entrent en plein délire : Maison Blanche, State Department, CIA, FBI, messages codés, Pentagone. Téléphones, famille, amis. États-Unis, Europe, France...

Allô, Michèle...
Oui, Jean-Pierre, c’est vous. Ah...
Vous savez ?
Oui, oui, bien sûr, c’est épouvantable...
Oh, mais qu’est-ce que c’est ?
Oui, dites-moi...
Je ne sais pas. Je vois de la fumée. Il se passe quelque chose là-bas...
Comment ?
Oui, je suis inquiet. Le ciel s’obscurcit... Là-bas, à l’ouest. Je vous rappellerai...

Washington, 9 h 53.
Le Boeing 757 d’American Airlines, vol AA77, vient de s’écraser sur les zones L2 et L6 du Pentagone.

Paris, 13 septembre 2001, 16 h, 70,
boulevard de Courcelles, troisième étage. C’est le siège de la société Otor, une holding présidée par son fondateur Jean-Yves Bacques. Michèle Bouvier, directrice générale, est à ses côtés. En France, le savoir-faire et le dynamisme d’Otor dans l’industrie du papier carton recyclé sont reconnus, l’agroalimentaire figure parmi ses meilleurs clients : on emballe aussi bien le champagne que le yaourt et les tomates. Des livres, des CD sont en vente sur des présentoirs en carton ; des éviers et des modèles réduits sont expédiés dans des coffrages en carton. Tout cela en fait le numéro un français du papier recyclé pour emballage et le numéro deux pour la fabrication d’emballages en carton ondulé. Otor emploie 3 000 salariés.

Problème : malgré de brillants résultats commerciaux, malgré un sens très développé de l’innovation, Otor éprouve des difficultés de trésorerie depuis 1999. L’entreprise s’est saignée pour acquérir en juillet 1997 les usines de La Chapelle-d’Arblay, un autre grand du papier en France. Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier appellent leurs banquiers à l’aide. Ces derniers n’y vont pas par quatre chemins : si d’autres investisseurs n’entrent pas dans le capital d’Otor, ils ne feront pas la prochaine échéance. Le Crédit Lyonnais propose alors que sa filiale, la banque d’affaires Clinvest, explore quelques pistes.

Et Carlyle est arrivé. Séduction, contrat, dollars...

Et guerre ! Car après l’oxygène américain investi chez les petits Français, est rapidement venu le temps de la discorde, puis celui de l’affrontement. Et, quarante-huit heures après le séisme de Manhattan, voici donc réunies, par temps d’orage, les deux parties, au siège de l’entreprise encore française.

Jean-Pierre Millet, le managing director de Carlyle en France, n’est pas rentré. L’espace aérien américain est interdit. Millet tente de trouver un vol par le Canada. Frank Falezan, son collaborateur, est là aujourd’hui pour ce conseil prévu avant la réunion de Washington. L’échange est rude. La pause-café est bienvenue. On feint d’oublier la querelle du jour, celles à venir. Dollars, actions, tribunaux, avocats ­ New York-Washington-Paris.

Avez-vous eu des nouvelles ?
Non, pas davantage.
Ah ! j’ai eu une sacrée surprise. L’un des Ben Laden était là.
Ben Laden ?
Shafig Ben Laden, oui Ben Laden, l’un des demi-frères d’Oussama était autour de la table. Normal, il est actionnaire de Carlyle ! Tout de même...
C’est terrible ça, Frank...
Oui, si on veut... Ce sont les affaires...
Mais Ben Laden, tout de même...
Dès les premières images de la télé, il s’est levé, s’est rendu aux toilettes, je ne sais où. Lorsqu’il est revenu, il ne portait plus le badge à son nom. Il s’est excusé : « That is better, isn’t it ? » (C’est mieux comme ça, n’est-ce pas ?)

Lire la suite de l’enquête dans Politis n° 722

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