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13 septembre 2003

Brésil, Inde et Afrique du Sud : G3. Vers un monde multilatéral

 

Par Raúl Zibechi*

L’accord qui a été signé par les gouvernements de l’Inde, du Brésil et
de l’Afrique du Sud afin de promouvoir le G3, que certains ont baptisé
le "G7 des pauvres", implique le changement de cap de longue haleine
le plus ambitieux que l’on ait vu, en presque un demi siècle, depuis
la Conférence de Bandung.

La nouvelle est pratiquement passée inaperçue. Trop souvent les
évènements destinés à laisser une profonde empreinte dans le futur
font le tour des rédactions pour finir perdus sous des montagnes de
papiers. Cette fois, la nouvelle est d’extrême importance : les
Ministres des Relations Extérieures du Brésil (Celson Amorim),
d’Afrique du Sud (Nkosazana Dlamini-Zuma) et de l’Inde (Yashwant
Sinha), se sont réunis il y a quinze jours à Brasilia pour créer le
groupe des trois (G3).

Le gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva a pris l’initiative, dans
le cadre de sa stratégie de consolidation des relations entre pays en
voie de développement du Tiers Monde. L’objectif du G3 est de
renforcer la coopération trilatérale, stimuler les échanges
commerciaux et unifier leurs positions dans les rencontres
internationales. Bien que le projet ne soit qu’embryonnaire, il se
propose d’y inclure le reste des pays du Mercosur et de l’Union
Douanière d’Afrique Australe, et il a pour perspective d’inclure la
Chine et la Russie, et ils deviendraient donc le groupe des 5.

Les trois ministres ont pris grand soin de souligner qu’il ne s’agit
pas d’un regroupement hostile au G7 : Amorim a déclaré que "nous ne
sommes pas en train de former un club exclusif" et il a insisté sur le
fait que "nous souhaitons parler avec une seule et même voix dans les
organismes internationaux". Cependant, ils ont décidé de créer la
Commission Trilatérale Conjointe et de préparer une réunion des
présidents des trois pays qui devrait se tenir avant la fin de cette
année. Ces derniers jours, au cours de la réunion du Mercosur à
Asunción, l’Inde a signé un accord visant la réduction des droits de
douanes dans le commerce bilatéral, comme l’a déjà fait le Mercosur en
1998 avec l’Afrique du Sud en signant un accord de préférence
douanière. D’autre part, les nouveaux associés feront pression pour
que le Conseil de Sécurité des Nations Unies accepte parmi ses membres
permanents des représentants des pays en voie de développement.

Quoi qu’en disent ces ministres, le renforcement des relations entre
trois grands pays du Sud, représente un clair défi au Nord, et tout
particulièrement à la diplomatie de Washington qui depuis la chute du
bloc socialiste lutte pour un monde unipolaire.

Nouveau multilatéralisme

Cette nouvelle poussée des pays de la périphérie intervient presque un
demi siècle après la première irruption des pays du Tiers Monde sur la
scène internationale. En avril 1955, à Bandung, ancienne capitale de
l’Indonésie, se réunissait un groupe de pays africains et
asiatiques -nombre d’entre eux venaient d’accéder à l’indépendance-
ils cherchaient à réaffirmer une politique propre, différente de celle
des grandes puissances.

La conjoncture internationale expliquait en grande mesure le succès de
cette conférence : la guerre de Corée et d’Indochine venait de
s’achever, les français avaient été vaincus à l’historique bataille de
Dien Bien Phu. Le vieux colonialisme était blessé à mort et le nouvel
impérialisme des Etats-Unis avait été contenu par les coréens et les
chinois. Bien que l’on n’y soit parvenu à aucun accord important
(concernant la souveraineté, la non-agression, la non-ingérence dans
les questions internes, la réciprocité et la coexistence pacifique),
le plus important est que c’était la première fois qu’un groupe
nombreux de pays du Tiers Monde se réunissaient sans la présence de
l’Europe des Etats-Unis et de l’Union Soviétique.

En résumé, un nouvel acteur était né sur la scène internationale. De
plus la conférence coïncidait avec le début de la deuxième vague de
décolonisation, la guerre d’Algérie battait son plein et peu après
allait commencer l’escalade interventionniste au Vietnam, ce qui fait
que le mouvement des pays du Tiers Monde ne pouvait plus être éludé.
La poussée rénovée du nationalisme arabe a été une des principales
conséquences de Bandung, et une des plus explosives pour la domination
des Etats-Unis. La rencontre de Bandung s’est décidée en 1962 au sein
du mouvement des pays non-alignés, qui s’est formalisé au cours de la
Conférence de Belgrade et où jouèrent un rôle important l’indien
Jawaharlal Nehru, l’égyptien Gamal Abdel Nasser, l’indonésien Ahmed
Sukarno, le ghanéen Kwame Nkrumah et l’amphitryon Josip Broz Tito.

Au fil des ans, la majorité des gouvernements des pays représentés à
Bandung et à Belgrade ont été occupés par des forces qui se sont
auto-définies comme forces de libération nationale ou socialistes. Mis
à part d’honorables exceptions les nouveaux régimes ont trahi les
expectatives de leurs peuples : ils connurent le naufrage en
conséquence de la pression impériale -sous forme d’une combinaison de
commerce inégal, néocolonialisme et pression politique- et ils n’ont
pas su lancer de vastes transformations économiques pour améliorer la
situation des populations les plus pauvres, et ils sont souvent tombés
dans l’affrontement, voire même dans des luttes intestines ou ont
dérivé vers la corruption ou le népotisme.

Nouveau cap

De ce mouvement vital il ne reste pratiquement rien. Même pas le
"non-alignement", que le Secrétaire de Défense des Etats-Unis de
l’époque John Foster Dulles considérait "immoral". Cependant les
problèmes du monde, cinquante ans plus tard, se sont aggravés : une
seule superpuissance a l’intention déclarée de dominer la planète.
C’est pourquoi toute tendance qui cherche à échapper à
l’unilatéralisme actuel est en soi positive. C’est pourquoi
l’initiative du G3 est si importante, surtout si l’on considère sa
vocation d’union des pays du Sud.

Il faut reconnaître, malgré tout, que l’initiative de Lula arrive de
bien plus loin. Elle a été lancée sous le gouvernement de Fernando
Henrique Cardoso et avait la bourgeoisie brésilienne pour acteur
principal.

En mai la Chine devint le second pays de destination des exportations
brésiliennes après les Etats-Unis. Entre l’an 2000 et 2002, 21
missions commerciales brésiliennes se rendirent en Chine et Brasilia
reçut au cours de cette même période 24 missions commerciales
chinoises.

En mai de cette année les exportations brésiliennes en Chine ont
augmenté de 375% par rapport à mai 2000, il s’agissait pour la plupart
de fer et de dérivés du soja. Mais les exportations brésiliennes en
direction des pays du Tiers Monde restent très faibles en comparaison
avec celles à destination de l’Europe et des Etats-Unis. Cependant,
elles ne cessent d’augmenter : pour la même période les exportations
vers l’Inde ont augmenté de 143%, les exportations vers l’Afrique du
Sud ont doublé, et celles à destination du Sénégal ont augmenté de
485%.

Les voies ouvertes par le Brésil pourraient bien attirer l’attention
et constituer un espoir pour les pays d’Amérique du Sud. Le
renforcement du Mercosur, son élargissement à d’autres pays tels que
le Pérou et le Venezuela, l’inclusion du Mexique et de Cuba dans des
relations Sud-Sud constituent une alternative à la domination des
multinationales basées aux Etats-Unis. La bataille victorieuse qui
s’est livrée contre les multinationales pharmaceutiques, a vu les pays
du G3 jouer un rôle décisif se soldant par l’adoption des médicaments
génériques, et a ouvert des brèches dans la domination des puissants.

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas, dans ce cas, d’une bataille
pour l’émancipation, tâche qui n’incombe pas aux Etats sinon aux
sociétés civiles. Il s’agit bien plus modestement d’un bras de fer
avec la domination impériale de Washington. Il s’agit, cependant, d’un
travail de prime importance : est en jeu la survie de l’humanité. Bien
que cette survie, comme le montre la politique du PT au Brésil, passe
pour une alliance ponctuelle et momentanée avec la bourgeoisie, par
exemple la brésilienne, la nouvelle bourgeoisie noire d’Afrique du Sud
ou la plus si récente bourgeoisie indienne. Sur ce point, et c’est
ainsi que l’ont compris de nombreux mouvements des trois continents,
il s’agit de gagner du temps pour dénouer la corde qui nous étrangle.
Ce qui ne veut pas dire, comme vient de le montrer le mouvement des
Sans-Terre, qu’il faille rester sans rien faire.

* Journaliste uruguayen, heureux lauréat du Prix
Latinoaméricain de Journalisme José Marti 2003.

Service d’Information "Alai-amlatina"
Agence Latinoaméricaine d’Information - ALAI
Correo : info@alainet.org
URL : http://alainet.org

Traduction : Catherine Arnaud, coorditrad traducteurs bénévoles

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