Portada del sitio > Los Primos > Bolivia > Bolivia: La guerre du gaz
La décision du gouvernement d’exporter le gaz bolivien via le Chili cristallise tous les mécontentements d’un pays en crise. Les manifestations d’opposition se multiplient, et la situation est de plus en plus explosive.
Por Anne Proenza
© Courrierinternational.com
En Bolivie, la guerre du gaz a commencé. Elle succède à la guerre de l’eau (2000), à celle de la coca (2002), et elle fait vaciller le pouvoir de Gonzalo Sanchez de Lozada, dit "Goni", élu de justesse il y a à peine un an. On déplore déjà des morts - au moins six, tués vendredi 19 septembre lors d’affrontements entre des manifestants et la police. Un mot d’ordre de grève générale a été lancé pour la semaine prochaine, et les principales routes du pays sont bloquées, au point que le quotidien La Razon a lancé un cri d’alarme : "La capitale n’est plus approvisionnée !"
Ce n’est donc pas la première crise que subit le pays, un des plus pauvres de la région. Mais cette fois-ci le conflit semble cristalliser tous les mécontentements, sociaux et politiques, de gauche et de droite, provenant des paysans, des syndicats, de la classe moyenne et même des militaires.
En 2001, le président Jorge Quiroga ne s’était-il pas écrié : "Nous sommes sauvés !" en rendant publique la "découverte" des réserves de gaz naturel de Tarija, au sud-est du pays. Ces réserves, les plus importantes d’Amérique du Sud, devraient permettre à la Bolivie de se sortir de sa pauvreté chronique en apportant de l’argent frais. Depuis trois ans, la vente du gaz naturel bolivien - dont une partie est actuellement acheminée vers le Brésil - est au centre de multiples tractations. Officiellement et selon les vœux du FMI, la majeure partie devrait être dans l’avenir destinée aux marchés californien et mexicain. Mais pour acheminer cette ressource il faut encore "construire un gazoduc qui la transporte jusqu’à une usine de transformation située sur un port du Pacifique, soit au Pérou, soit au Chili", explique le quotidien espagnol El País, qui poursuit : "Et le port de sortie n’a pu être déterminé, car c’est un thème hautement conflictuel."
La Bolivie a en effet perdu sa façade maritime lors de la guerre du Pacifique (1879-1883) au profit... du Chili. Aussi la décision du président Gonzalo Sanchez de Lozada de faire passer le gaz bolivien par le Chili a réveillé de vieux démons. Dans l’imaginaire bolivien, le Chili reste l’ennemi et la mer un joyau inaccessible. Aujourd’hui encore, les militaires boliviens - comme longtemps les enfants des collèges publics - hissent les couleurs aux cris de : "La mer nous appartient de droit, la récupérer est notre devoir."
"Depuis que le Chili a étendu sa souveraineté sur les 120 000 kilomètres carrés de littoral qui furent boliviens jusqu’à la guerre, il existe une blessure ouverte dans le sentiment national bolivien", souligne El País. Ce sentiment nationaliste semble rassembler tous les Boliviens mécontents du gouvernement de coalition de Gonzalo Sanchez de Lozada. Et même les militaires ! Le quotidien de droite El Diario relate ainsi la position de l’Union des militaires à la retraite : "Le choix du Chili comme port est une erreur géopolitique ; si le gouvernement exporte le gaz par cette voie il met en danger la sécurité nationale." Mais le nationalisme n’explique pas à lui tout seul l’ampleur des manifestations. La gestion désastreuse du président "Goni" - qui vient de s’excuser publiquement pour ses "erreurs" commises depuis son élection - et les éternelles difficultés rencontrées par les paysans, les Indiens et les classes populaires pour survivre suscitent forcément des protestations.
Le gaz, tel un détonateur, n’a fait que déclencher toutes les passions. "Le volume des réserves est si important que son exploitation aura sans doute des impacts très grands sur le développement économique des prochaines décennies", explique l’hebdomadaire indépendant Pulso, qui fustige "les pressions du FMI pour accélérer le contrat avec les Etats-Unis". Car un large courant relayé par les syndicats et les partis d’opposition de gauche exige que le gaz bolivien soit, avant d’être exporté, exploité et transformé sur place. Le député Evo Morales, leader du MAS (Mouvement vers le socialisme, principal parti d’opposition), comme le dirigeant de la puissante Confédération syndicale unique des travailleurs agricoles, Felipe Quispe, reprochent au gouvernement de "brader" les ressources naturelles du pays. D’autant, et cela semble un comble, que la plupart des Boliviens n’ont actuellement pas accès au gaz naturel. Le "camion du gaz" qui réapprovisionne en bonbonnes les foyers dans les grandes villes est une Arlésienne que les citoyens attendent désespérément...
"Le gaz doit servir de matière première au développement d’une industrie moderne pétrochimique et de fertilisants. Il doit aussi fournir l’énergie pour l’industrie et l’agriculture à des prix raisonnables, capables de compenser les obstacles liés à notre topographie", affirme Pulso, qui souligne aussi que ces réserves "changent substantiellement la position géopolitique de la Bolivie en Amérique du Sud". Une Coordination de défense du gaz a donc vu le jour, sur le modèle de la Coordination de défense de l’eau, qui en 2000 avait fait plier le gouvernement lorsque celui-ci avait voulu privatiser l’exploitation et la distribution de l’eau.
La guerre du gaz promet cependant d’être plus longue et plus confuse que celle de l’eau. "Si nous continuons, nous allons arriver à l’absurde conclusion que la découverte de tant de gaz naturel dans nos sous-sols est un malheur pour le pays", s’inquiète le quotidien La Razon, qui fustige "la mauvaise communication du gouvernement".
Au Chili, les manifestations boliviennes sont suivies avec intérêt. Plusieurs voix soulignent le fait que le "gaz bolivien" est vital pour le Chili, qui n’en a pas. Pour l’instant, le président Ricardo Lagos a assuré que son pays "fera[it] tout pour faciliter l’exportation de gaz bolivien vers l’Amérique du Nord", tandis que le quotidien de Santiago La Tercera affirmait que "Gonzalo Sanchez de Lozada est le président le plus impopulaire d’Amérique latine".
L’opposition bolivienne - qui continue pour l’instant d’encourager les manifestations et le blocus des principales routes - saura-t-elle pour autant canaliser un mouvement aussi éclectique ? Rien n’est moins sûr. Lors des manifestations du 20 septembre à La Paz, on pouvait lire sur une banderole : "Je ne suis pas du MAS, mais je défends le gaz", rapporte l’hebdomadaire satirique et indépendant El Juguete Rabioso. En attendant, à La Paz, les mauvaises langues affirment que le président Goni a déjà battu un record, celui des morts politiques sous un gouvernement démocratique : plus de 50 personnes ont été tuées lors de manifestations depuis son accession au pouvoir, il y a à peine onze mois.