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11 mars 2011

Bases militaires US en Colombie :
La menace pèse toujours

par Rafael Ballén

 

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Le gouvernement de Santos peut revivre le traité, jusque dans les pires conditions pour la Colombie. Mais la violation de la souveraineté ne peut être considérée de façon isolée. Il faut l’examiner sous au moins trois angles : la constante intervention des Etats-Unis en Colombie, l’internationalisation du conflit interne, et le gouvernement autoritaire et hostile d’Álvaro Uribe Vélez.

A peine Juan Manuel Santos avait-il pris sa fonction de président de la Colombie que la décision de la Cour Constitutionnelle concernant l’Accord EUA-Colombie était rendue publique. Accord, selon lequel le pays autorise la plus grande armée du monde à agir avec encore plus de liberté qu’il ne lui avait été accordée jusqu’alors au sein du territoire national. La part résolutive de cet arrêt a été rendue publique le 17 août 2010. Comme on s’en doutait, Santos a souhaité présenter la chose comme dérisoire par rapport à ce qu’il en est vraiment, dans le but de minimiser l’impact de la décision du haut tribunal devant l’opinion publique.

La Cour Constitutionnelle a commencé à étudier l’Accord en question, suite à la dénonciation publique d’inconstitutionnalité soulevée par les citoyens Luis Alfredo Sánchez, Liliana Rodríguez Naranjo, Mauricio Umbarila Romero et Julieth Isadora Vanegas Delgado. De même, dans le cadre d’une action identique, les citoyens Sandra Roclo Barreto, Edna Carolina Obando Bravo, Íngrid Paola Gómez Sánchez et María Fernanda Ariza Carrero, ont demandé la révision de l’Accord cité, « afin que soit exercé le contrôle automatique ou officieux pour avoir omis la procédure à appliquer dans le cadre des traités internationaux ».

Suivant la rigueur escomptée, la Cour Constitutionnelle, par le biais de l’arrêt du 10 Décembre 2009, a validé la demande, et dans la même mesure s’est déclarée disposée à décréter la mise en place de certains examens et à régler l’affaire en question.

Une fois les procédures prévues par l’article 242 de la Constitution Politique et par le Décret 2067 de 1991 accomplies, la Cour Constitutionnelle a dicté l’arrêt daté du 17 août 2010, dans la partie décisoire duquel elle expose deux choses. En premier lieu, la nécessité de remettre au Président de la République le dit « Accord complémentaire de Coopération et d’Assistance Technique pour la Défense et la Sécurité entre les Gouvernements de la République de Colombie et des Etats-Unis d’Amérique », souscrit à Bogotá le 30 octobre 2009, afin que lui soit appliquée la procédure constitutionnellement prévue pour les traités internationaux. Et en deuxième lieu, déclarer que le dénommé « Accord complémentaire de Coopération et d’Assistance Technique pour la Défense et la Sécurité entre les Gouvernements de la République de Colombie et des Etats Unis d’Amérique » ne peut avoir d’influence sur l’organisation colombienne interne tant qu’il ne respecte pas la procédure constitutionnelle prévue pour les traités de forme solennelle, en conformité avec ce qui a été établi dans les articles 150, 16, 154, 157, 158, 160, 165, 224, et 241 numéral 10 de la Charte Politique. L’Accord reste invalide mais la porte pour l’activer est toujours ouverte.

Intervention permanente

L’Amérique Latine est le continent qui compte le plus d’interventions de la part des Etats Unis. La Colombie a signé le premier traité militaire avec ce pays dans les années 1950, traité qui a légalisé son intrusion dans notre pays [1]. Et l’histoire n’en finit pas. La violation de la souveraineté nationale fait partie de l’intervention constante des Etats-Unis en Colombie, permise par des gouvernements aveuglés par la puissance du nord. Ainsi, l’ingérence des Etats Unis s’est accentuée depuis la seconde Guerre Mondiale, avec le début de la Guerre Froide et plus tard avec le triomphe de la Révolution Cubaine [2]. Les préoccupations impérialistes des années 1960, John F. Kennedy les a synthétisées de la façon suivante : « A ce jour nos frontières se trouvent sur tous les continents » [3]. « L’aide des Etats Unis [comprenez : les dollars pour la guerre] accordée à la Colombie est à peine inférieure à celle accordée à l’Etat d’Israël et à l’Egypte en vigueur des Accords de Camp David ».

La modalité d’intervention avancée en Colombie n’est pas nouvelle. En février 1962 est arrivé en Colombie le général étasunien William Yarborough à la tête d’une « équipe de sondage » pour évaluer la supposée insurrection armée et faire les recommandations idoines. Bien que l’équipe ait été informée par les services secrets de notre pays qu’ « environ 8000 communistes n’étaient qu’une poignée d’incapables et qu’ils ne représentaient pas une réelle menace pour le gouvernement », Yarborough est reparti à Washington avec la recommandation d’assigner cinq détachements des Forces Spéciales, de 12 hommes chacun, comme des spécialistes en psychologie de la guerre, afin de diriger les brigades colombiennes anti-guérilla. C’est de cette façon qu’a surgi le Plan Laso (Latin America Security Organization).

Antécédents

Ce Plan consistait en plusieurs équipes de chasseurs-assassins de « brigands-communistes », suivant le modèle de guerre à faible intensité étrenné au Vietnam. L’étasunien Paul Wolf estime entre 20 000 et 40 000 le nombre de civiles qui furent éliminés par les chasseurs de prime qui ont reçu leur formation de la part d’experts aux Etats-Unis ; Wolf cite le secrétaire général du Parti Communiste, qui décrit les cinq phases du Plan.

La phase une est une phase de préparation et d’organisation durant laquelle, lorsque les troupes s’entraînent pour le combat anti-guérilla, on envoie des espions sur la zone et on recrute des délateurs. Pour cela on organise des actions « civico-militaires », dans le cadre desquelles l’Armée se montre comme bienfaitrice, fournissant des vêtements, les premiers soins médico-odontologiques et de la nourriture pour les paysans, en construisant aussi des ponts, des routes et des écoles. Dans la phase deux on met à exécution un programme à grande portée d’action psychologique, usant du facteur surprise, et l’on prend des mesures pour contrôler la population civile : c’est le blocage de la zone. Durant la phase trois, les opérations éloignent le groupe armé pour le détruire. Dans la phase quatre, le groupe guérillero est divisé méthodiquement grâce à l’utilisation de techniques psychologiques. On profite des controverses internes, des différences idéologiques, et des passions et de la misère humaine. La phase cinq est l’étape finale ou de reconstruction économique politique, sociale de la zone d’opérations, avec l’aide des Etats-Unis [4].

La première étape du Plan Laso fût l’Opération Marquetalia, qui a débuté le premier mai 1964. Elle avait pour but d’anéantir les 42 familles de paysans résistants qui étaient arrivées au sud du Tolima, et qui provenaient de plusieurs régions du pays [5]. L’Armée a tenté de fermer le large cercle, et ce qui jusqu’alors avait été un bastion contre la violence officielle s’est transformé en guerre de guérilla [6]. Avec d’autres antécédents dans les guérillas de Viota et de Sumapaz, c’est ainsi que sont nées les Farc [7]. Du Plan Laso on est passé au Plan Andes (1968), et plus tard au « Manuel Provisoire pour la Planification de la Sécurité Nationale » (1974).

En quoi consistait le plan ou la doctrine de la « sécurité nationale » ? C’était la stratégie de la retenue : il s’agissait de freiner l’expansion de l’Union Soviétique. Mais en Amérique Latine cela se faisait via le rôle subalterne des armées locales : « Washington n’attribuait pas aux forces armées de la région un rôle fondamental dans le combat contre l’URSS. En échange, elle a imposé la doctrine de la « sécurité nationale » afin de combattre « l’ennemi interne : le communisme local » [8]. Après ce plan, fut imposée la Stratégie Nationale contre la Violence (1991), et de là on est passé au « plan Colombie » (1998). Cette appellation a été modifiée par le président Uribe au profit de celle de « plan patriotique », sous la direction de la « sécurité démocratique ».

Internationalisation du conflit interne

Dans la mesure où la guerre s’est étalée sur la décennie 1990, elle a dépassé les frontières de la Colombie et a réussi à atteindre la communauté internationale. Depuis 1984, avec l’assassinat du ministre de la Justice Rodrigo Lara, les Etats Unis et la Colombie ont déclaré la guerre aux principaux cartels de la drogue. Cette lutte contre le crime organisé s’est accentuée à partir de 1989, avec l’assassinat du candidat aux présidentielles Lui Carlos Galán : « Une décennie plus tard, la Colombie était devenue l’affaire prioritaire de la politique extérieure des Etats-Unis en Amérique Latine ». L’appui de l’Empire dans cette lutte s’est concrétisé avec 1, 319 100 million de dollars, dont le pourcentage le plus important était destiné aux opérations militaires du « plan Colombie ».

Divers secteurs de la société ont protesté contre le « plan Colombie », spécialement les organisations non gouvernementales qui défendent les Droits de l’Homme. Mais l’opposition la plus marquante a été revendiquée par la communauté internationale. En effet, lors d’une réunion tenue à Madrid (juillet 2000), presque tous les pays de l’Union Européenne l’ont rejeté « devant les fonctionnaires colombiens présents consternés ». Les européens souhaitaient attribuer au processus de paix en Colombie un soutien sans restriction, mais ne voulaient pas appuyer la poursuite de la guerre que supposait le « plan Colombie ». La guerre au sein du pays était désormais un sujet de préoccupation pour la communauté internationale. L’ascension de la guerre et la sensibilité des américains -pas des gringos- et des européens pour la recherche de la paix en Colombie est un fait que soulève le politologue étasunien Mark Chernick dans le paragraphe suivant :

« Après un demi-siècle de violence ininterrompue en Colombie, enfin, durant les années 90 du siècle dernier, la communauté internationale a fixé son attention sur les conflits internes de cette nation. Jusqu’alors, le conflit s’était transformé en un affrontement multi polaire et atomisé qui opposait deux groupes insurgés de gauche contre les forces de sécurité de l’Etat et un réseau d’armées privées de droite qui maintenaient des liens avec les acteurs de l’Etat et les détenteurs du pouvoir. Le conflit avait débouché sur une crise humanitaire et s’était répandu jusque dans les pays voisins. Entre 1985 et 2002, plus de deux millions de personnes ont été arrachées à leur foyer à cause de la violence croissante, générant l’une des crises les plus importante d’exode interne de personnes dans le monde ».

Ainsi, pendant la présidence d’Andrés Pastrana, le conflit colombien a profondément touché la communauté internationale : le Secrétaire Général des Nations Unies, Kofi Annan, a désigné un conseiller spécial pour la Colombie, James Lemoyne, afin qu’il soit garant au sein des conversations entre le Gouvernement et la guérilla d’un engagement plus important dans la résolution politique du conflit social et armé. Pour la négociation avec l’ELN, cinq pays ont proposé leur soutien : la Suisse, l’Espagne, la Norvège, la France, et Cuba. En relation avec les négociations entre le Gouvernement et les Farc, la solidarité a augmenté : quatre pays américains et six pays européens « se sont réunis en un Groupe d’Amis afin d’agir au nom du corps diplomatique accrédité à Bogota ». Ces pays étaient : le Mexique, le Venezuela, le Canada, Cuba, la France, l’Espagne, la Suède, la Norvège, la Suisse, et l’Italie » [9].

Rencontre entre les parties

Les Etats-Unis, le pays avec la plus grande intervention au sein de la guerre en Colombie, est resté en marge de ce réveil de la communauté internationale, étant donné que ces préoccupations avaient toujours été la « sécurité nationale ». Cependant, Pastrana, avec l’appui de trois de ses collaborateurs immédiats, Víctor G. Ricardo, Guillermo Fernández de Soto et Luis Alberto Moreno, a réussi l’impossible : une rencontre EUA-farc. Après avoir surmonté plusieurs étapes préparatoires, pour « convaincre les étasuniens de l’importance d’une telle rencontre », cette réunion s’est tenue à San José au Costa Rica le dimanche 13 et le lundi 14 décembre 1998. Les Etats Unis étaient représentés par Philip Chicola, et les porte-paroles des FARC n’étaient autres que Raúl Reyes et Olga Marín. En tant que « représentant et témoin du gouvernement colombien » a été désigné Juan Hernández, et comme hôte de l’évènement historique a officié Álvaro Leyva.

Bien qu’il y ait eu quelques moments de tension durant la réunion, cette rencontre a été productive pour les deux parties. Chicola a « souligné » -c’est le verbe qu’utilise Pastrana dans « La palabra bajo el fuego »- en trois points :

 1. Les raisons des Etats Unis de se réunir avec les FARC.

 2. Le lien existant entre la guérilla et le trafic de stupéfiants.

 3. Le sort des étasuniens Dave Mankins, Mark Rich et Rick Tenenoff, membres de la mission Nuevas Tribus, capturés par les FARC depuis janvier 1993.

Bien que le gouvernement des Etats-Unis supposait que les enquêteurs étaient morts, ils voulaient savoir où ils avaient été enterrés pour la tranquillité de leur famille et des autorités étasuniennes mêmes. Les FARC, pour leur part, « ont exposé les raisons de leur lutte, ont exprimé les changements politiques, économiques et sociaux qu’ils réclamaient pour le pays, et ont exprimé leur volonté de contribuer à des programmes de substitution des cultures illicites ».

Qu’est ce qui a donc fait que la rencontre USA-FARC de décembre 1998 n’est pas allée plus loin ? Un acte de folie fut commis le 25 février 1999. Sous l’accusation « d’agents secrets », persistante de la part de la guérilla, ce jour-là ont été assassinés par un commando Farc les indigénistes étasuniens Ingrid Washinawatok, Terence Freitas et Laheenae Gay, alors qu’ils voyageaient par la route jusqu’à Savarena (Arauca), où ils étaient supposés prendre l’avion pour Bogota puis pour les Etats-Unis. La nouvelle qui a eu l’effet d’une bombe contre le processus de paix de Pastrana, a éclaté une semaine après, le 4 mars, quand les cadavres ont été retrouvés en territoire vénézuélien.

Le processus de paix entre Pastrana et les FARC a pris fin à 9h30 la nuit du 9 janvier 2002. L’ex président a déclaré : « L’heure de vérité avait sonné ». Comme la rupture entre deux amants qui au plus profond de leur âme savent qu’ils ont besoin l’un de l’autre, Pastrana lui-même dit qu’il a laissé les portes ouvertes : « Mais que cela reste clair : ceci n’est pas la fin. Je continuerai de chercher la paix avec l’aide de vous tous. Je maintiendrai ouvertes les portes du dialogue et de la négociation, car je reste convaincu que c’est la meilleure façon de sortir du conflit. »

Durant les derniers 40 jours (du 10 janvier au 20 février 2002), le processus a été placé en soins intensifs grâce à l’oxygène que lui a injecté le Groupe d’Amis, présidé par le délégué de l’ONU, James Lemoyne. Mais la fin est arrivée. « Ce fût sans doute -dit Pastrana- l’une des décisions les plus difficiles de tout mon mandat ». Le président n’a pas tenu sa parole : laisser à Marulanda et ses hommes les 48h promises depuis qu’ont été entamées les discussions, afin de se retirer en cas de rupture, qui ont été réduites trois heures. Et comme grand geste de « noblesse » il a signalé qu’il ne voulait pas les massacrer sur le champ : « S’il était évident que je n’allais pas leur laisser les 48h, pour se retirer, je ne souhaitais pas pour autant être à l’origine d’un grand affront, ce pourquoi j’ai jugé honorable le délai minimum de trois heures ». A partir de ce moment, ce fût la guerre totale.

Les Farc sont passé d’un mouvement subversif politico-militaire à un « cercle terroriste ». L’appréciation est tout à fait subjective : le même dirigeant qui avait présenté les Farc aux grands cercles politiques européens demandait leur inscription sur la liste noire du terrorisme. Selon Pastrana, les Farc, « avec leur attitude s’étaient incorporés au cercle ténébreux du terrorisme et avaient perdu toute possibilité de soutien populaire ». Et il ne dissimule pas un certain changement dans son attitude : « J’ai répété mille et une fois lors des rencontres européennes où j’ai été invité ». Qu’était-ce donc ce qu’il répétait ? Que les Farc étaient des terroristes : « Mettre en cause la qualité de terroristes des Farc qui, jour après jours violentent et terrorisent avec leurs actes la population colombienne ; qui retiennent séquestrées des centaines de personnes […], parmi tant d’autres viles actions, constitue un message très douloureux, non seulement pour mon gouvernement mais aussi pour tout le peuple colombien » [10].

Si telle était l’attitude d’Andrés Parana, le dirigeant qui avait éludé la sécurité officielle de l’Etat colombien pour se placer sous la sécurité de la garde personnelle de Marulanda, quelle serait la conduite de son successeur, pour qui les farc sont des serpents qui constituent la plus grande menace du sous-continent sud-américain ?

Gouvernement sans norme

Durant les huit années qu’ont duré ses deux mandats, Uribe a vécu pour la guerre. Tout l’appareil de l’Etat et tout le budget ont été mis au service de la guerre ; il a parcouru le monde à la recherche de soutien pour la guerre, il a demandé à Bush de rapatrier ses troupes du Moyen Orient et de les placer en Amazonie, et il a dit devant les pupitres vides de l’ONU que le monde devrait se focaliser sur la Colombie car il y avait là-bas un groupe de scélérats qui représentaient une menace pour le monde entier.

Comme avocat, Álvaro Uribe Vélez ne porte pas en lui l’âme d’un juriste mais plutôt celle d’un sergent ou d’un officier de campagne. Il a fait de la guerre son projet de vie, et lorsqu’il a pris la fonction de Président cela n’a fait qu’accentuer la raison d’être de son existence. Pour Uribe, tout comme pour Bush (les deux appartiennent à la même école, néolibérale et très à droite) , qui refuse ce monde de misère, d’inéquité et d’exclusion est terroriste, et il faut envoyer à leur trousse les troupes militaires, les tuer ou les enchainer et les séquestrer.

La « sécurité démocratique » n’a été ni plus ni moins qu’une stratégie de guerre intégrale et totale contre l’insurrection armée, et contre les secteurs sociaux, intellectuels, enseignants, et de la communication qui s’éloigneraient des politiques du gouvernement. Qui a des doutes sur le fait que la « sécurité démocratique » du président Uribe ne fût autre que la continuation de ladite « sécurité nationale » élaborée dans l’ensemble par le Pentagone et la CIA, et avec la collaboration de ses exécuteurs au sein de l’Ecole des Amériques ? Qui doute que la « sécurité démocratique » et le « plan patriotique » ont été la continuation du Plan Laso ? Les méthodes ont été les mêmes, les tactiques ont été les mêmes, les stratégies ont été les mêmes. Seulement au 21ème siècle, les troupes étasuniennes présentes en Colombie sont plus importantes, l’armement plus technique, et les dollars coulent à flot.

Pour lever le voile sur un doute quelconque, il suffit de répondre à cette question : Qui a tracé les grandes lignes de la dite « sécurité démocratique » ? La réponse nous est donnée par la ministre de la Défense de l’époque, Marta Lucía Ramírez, qui signale que, dès que le président Uribe lui a confié la tâche de développer les bases de la « sécurité démocratique » dans un document qui recueillerait le cadre conceptuel et les politiques du gouvernement, elle a réuni « une équipe du Ministère de la Défense, le commando Général des Forces Militaires, l’Ecole Supérieure de la Guerre et la Police Nationale afin d’étudier et de structurer les solutions les plus adéquates face aux problèmes nationaux dans ce domaine. Le résultat de ce travail est le document que nous présentons ici » [11]. En d’autres termes, ceux qui ont élaboré le plan de la « sécurité démocratique » ne sont autres que les vétérans diplômés de l’Ecole des Amériques, renommé depuis 2001 en Institut de l’Hémisphère Occidental pour la Coopération dans la Sécurité.

Uribe, dans une lettre de présentation de la « sécurité démocratique » s’est empressé de dire : « Ce gouvernement ne fait pas siennes les conceptions d’une autre époque comme la « sécurité nationale » en Amérique Latine, qui consistait à considérer un groupe idéologique ou parti politique comme ennemi interne » [12]. Cette mise au point, que personne ne lui avait demandée, est clairement la confession manifeste du fil conducteur qui se détache des premières leçons de l’Ecole des Amériques pour l’Amérique Latine et qui arrive jusqu’à nos jours. Comme on le sait bien, Uribe a un problème de communication en ce qui concerne la connaissance, et cela consiste en ce que lorsqu’il nie quelque chose on ne sait pas s’il affirme ce qu’il nie ou vice-versa : s’il affirme une chose, c’est qu’il faut comprendre le contraire. On peut donc se demander si Uribe s’est refusé à participer à la Coopération pour la Sécurité qu’a élaborée durant ses deux mandats l’Institut de l’Hémisphère Occidental qui a remplacé l’Ecole des Amériques.

Mais il y a plus ; la ressemblance entre la « sécurité nationale » de l’Ecole des Amérique et la « sécurité démocratique » par Uribe : la conception générale et les résultats – préservation du statu quo politique, morts, déplacés, exilés. En ce qui concerne la conception, il met en place les principes, intérêts nationaux, menaces, instruments, budget et réseau de coopérants d’un million de personnes stimulées par des récompenses mirobolantes. Et pour son exécution, il créé des « zones de réhabilitation » -refusées par la Cour Constitutionnelle-, de nouvelles brigades mobiles, des bataillons de haute montagne, des soldats paysans, des groupes antiterroristes urbains, de petites unités autonomes avec un entrainement spécial et un grand pouvoir incendiaire, des avions fantômes, un « plan patriotique » de 17 000 hommes et 12 commandos d’élite du DAS avec 300 hommes et femmes sélectionnés [13]. Tout ceci, selon le document, afin de renforcer l’Etat et les Institutions. Fortifier, c’est le maître mot, qui est répété près de 50 fois dans ces pages, dont le titre exact est Politique de Défense et Sécurité Démocratique [14].

Comme on pouvait le supposer, il n’y a pas eu d’opération du « plan patriotique » et de la « sécurité démocratique », qui n’ait eu un réel succès, là où les Etats Unis n’avaient pas déjà mis la patte. C’est comme ça que cela s’est passé durant l’opération où Raùl Reyes a été éliminé. En effet, la mentalité belliqueuse d’Uribe l’a conduit, sans en mesurer les conséquences, à envahir et bombarder le territoire équatorien, favorisant le massacre de plusieurs guérilléros civils alors qu’ils dormaient. Ce fait a valu à la Colombie la plus grande crise internationale de toute son histoire [15].

Le soutien des Etats-Unis a aussi été déterminant dans la libération des 15 otages. Sergio Gomez Maseri raconte les détails : « Bien que Washington et Bogota aient essayé de minimiser le rôle des étasuniens dans le sauvetage spectaculaire […], plus les jours ont passé et plus il est apparu clairement que ce ne fût pas un rôle marginal ». La chronique ajoute que, une semaine avant le jour de l’opération, le gouvernement colombien a tenu informé minute après minute l’ambassadeur des Etats Unis de tous les détails, que lui-même communiquait à Washington « afin de lui demander son approbation. Après avoir consulté la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice et le vice-président Dick Cheney, Brownfield a donné son accord » [16].

L’intervention n’en finit pas

L’une des dernières actions arbitraires commises par Alvaro Uribe Vélez fut de signer un accord avec les Etats-Unis, via lequel les troupes et les avions de cet empire hégémonique pouvaient faire usage de sept bases militaires et de tous les aéroports internationaux de Colombie. Avec cet acte arbitraire s’est approfondie l’historique ingérence et l’intervention des Etats-Unis en Colombie, qui a débuté en 1939, comme il a déjà été dit.

Le comportement de l’ex mandataire colombien a mis fin à une période de huit ans de gouvernement hostile, autoritaire et a affecté les secteurs les plus agressifs de l’empire des Etats-Unis, étendant en même temps, nationalement et internationalement le conflit interne. Son mandat ne pouvait prendre fin autrement qu’avec la violation totale de la souveraineté colombienne, c’est-à-dire, avec la donation des sept bases militaires qui étaient les mieux placées stratégiquement pour les intérêts interventionnistes de la puissance du Nord, et les aéroports internationaux du pays. Mais ceci ne lui a pas suffi.

En ne se rattachant pas à la Constitution Nationale, Alvaro Uribe a violé l’interdiction normative de politique internationale établie dans notre Magna Carta, tout comme l’ont dénoncé plusieurs citoyens et comme l’a signalé la Cour Constitutionnelle dans l’arrêt du 17 août 2010. Cependant, le haut tribunal a préféré prendre le chemin le plus aisé : ne pas déclarer inconstitutionnel l’Accord et plutôt prêter main forte au Gouvernement : lui indiquer quel est le chemin à suivre pour que cette créature diabolique ait du succès et ne tombe pas au cas où il serait poursuivi.

Le Monde Diplomatique de Colombie. Edition Nro.97. Colombie, Février 2011.

Traduction de l’espagnol pour El Correo de : Laurie Pertusa

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El Correo. Paris le 11 mars 2011.

Notes

[1Otero Prada, Diego, professeur chercheur relié à l’Université Centrale. Entrevue accordée dans le cadre de ce travail, le 12 novembre 2008.

[2Otero Prada, Diego. « Las cifras del conflicto ». 2ème. ed. Bogota, Institut des Etudes pour le Développement et la Paix-Indepaix, 2007, p. 91.

[3Williams, William Appleman. « El Imperio como forma de vida. México, Fondo de Cultura Económica », 1989, pp 9-10.

[4N’importe qui ayant observé le déroulement du Plan Patriotique, dans le contexte de ladite « sécurité démocratique », pourra se rendre compte du fait qu’entre ce Plan de l’ex président Uribe et le « Plan Laso  » il n’y a aucune différence. Sauf que maintenant tout est plus intense et avec la plus haute technologie, on ne construit ni des écoles ni des routes ; au contraire, on bombarde le peu d’infrastructures que la guérilla qui est apparue en conséquence du « Plan Laso  » avait construit en 40 ans. Et mis à part toute la psychologie de guerre utilisée clandestinement, Álvaro Uribe Vélez déclare ouvertement ses phrases de guerre qui se répercutent sur l’intelligence des hommes de la guérilla, et dans ce but précis il annonce, en simulant la rage : « Que les Farc se divisent ».

[5Lozano, Carlos, Directeur du seminaire Voz. Entrevue réalisée le 20 octobre 2008, dans le cadre de cette enquête. Selon le dirigeant politique et journaliste, « l’ « Opération Marquetalia » a été inutile. Cela aurait pu nous économiser tant d’années de guerre et de confrontation. Cela nous a fait perdre l’alternative de la solution politique à un moment où il aurait été si facile de la mettre en place. »

[6Wolf, Paul. Historia secreta de Colombia. Una alianza militar. Conférence donnée à l’Université de la Sabana, Chía, 20 mars 2002.

[7Villamil Chaux, Carlos. Ex gérant de l’Institut Colombien de la Réforme Agraire (Incora). Entrevue accordée le 5 novembre 2008, il a déclaré que ces « premiers plans pour mettre fin à la guérilla via l’utilisation des armes ont échoué et que de plus cette dernière en été sortie plus forte ».

[8Tokatlian, Juan Gabriel. « La configuración de un problema : el militarismo estadounidense en América del Sur », dans : Le Monde Diplomatique, numero 68. Bogota, juin 2008, p. 4.

[9Chernick, Marc, pp. 113, 118, 124, 135.

[10Pastrana Arango, Andrés. ob. cit., pp. 130-135, 449, 453, 474, 476-482.

[11Ramírez, Marta Lucía. « Seguridad democrática », presentation du document. Bogota, 16 juin 2003.

[12Uribe, Álvaro. « Carta del Presidente de la República », sur la Sécurité Démocratique. Bogota, 16 juin 2003.

[13« El DAS también tendrá grupos élite », dans : El Tiempo. Bogota, 6 novembre 2004, p. 1-4.

[14« La política de defensa y seguridad democrática ». Présidence de la République, Bogota, 16 juin 2003.

[15« Golpe al corazón de las Farc. Aviones Supertucano, que despegaron en la madrugada de ayer, bombardearon el sitio de Ecuador en el que estaba el portavoz internacional de Tirofijo », dans El Tiempo. Bogota, dimanche 2 mars 2008, p. 1.

[16Gómez Maseri, Sergio. « Detalles secretos de apoyo de EU a Jaque », dans : El Tiempo. Bogota, jeudi 7 août 2008, p. 1-4.

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