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Le journal américain "The Washington Post" a publié hier une longue note sur la cause de la crise en Argentine. La conclusion est que les financiers des Etats-Unis ont causé "un des effondrements économiques les plus spectaculaires de l’ère moderne". Pour le "Post", la Bourse a inventé "une bulle" en Argentine.
Les secteurs les moins réactionnaires des Etats-Unis continuent leur autocritique sur la responsabilité de l’establishment financier international dans la crise argentine. Dans un long article, publié hier par le prestigieux quotidien Washington Post, est présentée une dure remise en question du rôle joué par Wall Street dans "un des effondrements économiques les plus spectaculaires de l’ère moderne", particulièrement avec la création, au niveau d’un pays, d’une énorme bulle financière.
Dans une note signée à Buenos Aires par Paul Blustein, le quotidien à tendance démocrate soutient que à la fin des années 90, quand les boursiers et les spécialistes des investissements de Wall Street recommandaient l’Argentine comme une économie fleurissante, cette démarche leur a permis de toucher ’"des honoraires gigantesques" pour leur médiation dans la commercialisation d’actions et titres de la dette, gonflant ainsi une bulle semblable, par exemple, à celle d’Enron ou celle de la WorldCom. Mais contrairement à ce qui était arrivé avec ces entreprises, où les victimes ont été quelques centaines d’actionnaires, la "Terre de la Fantaisie" argentine a vécu "une fin catastrophique", avec une récession "déchirante" qui a laissé "un cinquième de la population au chômage" et "qui a jeté des millions de personnes vers la pauvreté".
Pour le journal américain, "une profonde révision" de la conduite des acteurs financiers en Argentine révèle "la complicité de Wall Street" dans les événements. Le reflet de cela a été qu’entre 1991 et 2001 les principales signatures de la finance mondiale ont gagné "plus de 1000 millions de dollars d’honoraires" pour opérer avec des bons de l’État argentin. Ces recettes étaient directement en rapport avec les "rapports optimistes" sur le devenir de l’économie locale que ces mêmes signatures préparaient sans que personne aux Etats-Unis se préoccupe par le "conflit d’intérêts" implicite évident de cette situation. Outre l’optimisme transmis par les analystes financiers, d’autres facteurs ont influencé l’afflux de fonds au pays. Un de d’eux a été le système existant à Wall Street pour évaluer l’exercice des fonds d’investissement. Les fonds les plus rentables étaient mieux qualifiés, avec abstention du risque inhérent. La majorité de ceux qui achetaient des titres locaux étaient les directeurs de ces fonds. Par le niveau de sa dette et du risque pays inhérant, l’Argentine se trouvait presque toujours à la limite des pays qui payaient les plus forts intérêts. Un véritable cercle vertueux d’afflux d’argent frais.
Le Washington Post n’a pas non plus été avares de critiques pour le suspect « Megacanje (Mégaéchange) » opéré par Daniel Marx et Domingo Cavallo vers le milieu du 2001. "Quand l’Argentine était lancée vers le default - soutient-il -, Wall Street a promu un échange cher et à la fin futile" des titres de dette. Et bien que le pays ait pu gagner du temps, ce fut au prix d’être défavorisé par des intérêts démesurés. Les honoraires sur cette opération, rappelle le journal, "ont ajouté presque 100 millions de dollars", chiffre élevé, bien que très en sous du coût réel de l’opération. L’article laisse entendre aussi des profonds soupçons sur la relation qu’ ont maintenu alors Cavallo et le président international du Credit Suisse First Boston, David Mulford, et souligne l’échec absolu de l’opération.
Sous le titre suggestif d’"Arguments de ventes", le Post rapporte aussi, avec prénom et nom de famille, comment des signatures comme Golman Sachs, Morgan Stanley, Credit Suisse First Boston ou Merryl Lynch faisaient l’éloge des politiques d’ouverture, dérèglement et privatisations promues par Carlos Menem, pour décrire ensuite le calme incroyable des "fondamentaux" de l’économie locale. Pour ce faire , ils envoyaient "des juniors de vingt ans " qui gagnaient des chiffres entre 350 et 900 mille dollars annuels sans compter les primes, tandis que leurs chefs dépassaient largement le million de dollars. La récompense pour les sociétés de Wall Street était les juteuses commissions pour la mise en place, entre ses clients, des millionnaire titres de la dette argentine. Une partie de l’article qui s’avère particulièrement intéressante avec la description de l’autocensure dans les documents de beaucoup d’analystes. Sous le sous-titre "Pessimisme diminué" on raconte le cas de Desmond Lachman, chef de Stratégie de Marchés Émergents de Salomon Smiths Barney, qui a précocément avancé que l’économie argentine allait vers un effondrement inévitable. Toutefois, vu les intérêts de leur employeur dans des placements en dette locale, les avis de Lachman n’ont pas été reflétés dans les papiers de Salomon Smiths Barney. Une explication alternative a été donnée par Arda Nazerian, un porte-parole du Citigroup, qui a dit que la fusion de Salomon avec le Citibank en 1998 a produit une nouvelle signature avec "beaucoup d’analystes", ce qui "a réduit les responsabilités de Desmond d’écrire sur des pays seuls ».
En réalité, comme a souligné le Washington Post, "l’histoire de Lachman est celle de l’emblématique renoncement de Wall Street pour ne pas offenser les principaux émetteurs de valeurs". Federico Thomsen, jusqu’il y a peu économiste en chef de ING Barings à Buenos Aires, a été moins concluant au moment des définitions : "Il y a beaucoup d’autocensure : si vous avez quelque chose de bon à dire, vous le dites, mais si c’est quelque chose de mauvais vous devez maintenir votre bouche fermée ". L’autre point central pour comprendre l’optimisme transmis sans fondement aux investisseurs a été ce qui est connu comme "stimulation". Le volume des recettes des opérateurs provient des gratifications, c’est-à-dire, par exemple, des "commissions" gagnées sur les traitements pour placer la dette. Être mauvais avec l’Argentine avait un coût très haut.
A la fin l’article de Blustein est optimiste et permet de comprendre que l’actuelle conduite de l’Argentine - spécialement le ministre Roberto Lavagna - a tiré la leçon des années 90. "Un an et demi après le « crash », le pays a commencé à sortir de la récession même si l’économie produit moins qu’avant la crise." Encouragé par ce contexte, "un nouvel afflux de fonds de l’étranger" s’est produit qui a réévalué le peso et fait monter la Bourse. "Cette fois le gouvernement a répondu, toutefois, avec des restrictions qui tendent à limiter l’entrée d’argent frais au pays." "La leçon est : nous devons faire attention aux bulles ", conclut Lavagna selon le Washington Post.