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28 mars 2009

Argentine
Soja Power

par Claudio Scaletta

 

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Javier Rodriguez

La très agitée discussion de par la nature de la structure agricole locale, semble concentrée dans la reproduction de slogans. Les représentants des corporations agraires de la Pampa Humide accusent leurs interlocuteurs « de ne rien connaître de la terre ». Les travaux académiques financés de façon privée ou émanant d’organismes internationaux s’avèrent de manière suspecte de l’ordre de l’apologie. De nombreux médias, associés à la communauté d’affaire, participent à un discours de plus en plus polarisé. Sans boussole, les protagonistes du débat avancent comme des somnambules, répétant mécaniquement des axiomes de maxime.

Dans ce paysage aride, le chemin pour ceux qui essaient d’aborder les problèmes agricoles depuis un point de vue de sciences économiques s’avère solitaire. Avec ses limites, l’université publique demeure comme un oasis. Dans un livre présenté cette semaine, l’économiste Javier Rodríguez trace une radiographie des Conséquences économiques du soja transgénique. L’Argentine, 1996-2006.

Rodríguez est en charge de la chaire d’Économie Agricole de la faculté de Sciences Économiques de l’Université de Buenos Aires, et est également chercheur du Cenda. Bien que son livre est le résultat d’une enquête antérieur au conflit séditieux dans lequel se trouvent aujourd’hui plongées les entreprises agricoles, il contient la majeur partie des éléments qui concourent à son explication, une pièce clef de tout diagnostic en vue de la définition d’une politique dans ce domaine.

Votre recherche se concentre sur la progression du soja transgénique à partir de 1996. Cependant, l’appellation sojisation est antérieure à l’usage des transgéniques. Quelle est la spécificité qu’ajoute l’usage des transgéniques ?

Je crois qu’il est clair que le processus de sojisation est préalable à la diffusion des semences transgéniques. Déjà en 1991 le soja était la culture principale du pays. C’est pourquoi le changement technologique vers l’usage de ces semences a été un tel succès : il s’est appliqué de façon massive sur ce qui était déjà de loin la culture la plus répandue. Sa spécificité est qu’il a permis une plus grande rentabilité, ce qui a accéléré sojisation.

En plus de l’augmentation du taux de profit, les effets économiques les plus connus de ce processus sont liés au besoin d’exploitations d’une grande taille plus grande et au remplacement des autres cultures, avec leurs conséquences sociales. Y a-t-il d’autres aspects absents du problème du débat économique ?

Ils sont divers. L’un est ce qui est arrivé avec l’emploi rural. La masse salariale totale de la production primaire s’est trouvée fort réduite. Il ne s’agit pas d’une réduction relative, ce qui est attendu de presque tout changement technologique, mais d’un processus beaucoup plus drastique de diminution absolue de la masse salariale. Le deuxième aspect est la répartition du revenu à l’intérieur du secteur agricole. Si d’un côté, il y a une augmentation des profits et des rentes et de l’autre une réduction absolue de la masse salariale, cela signifie que la participation des travailleurs au total du Produit est réduite, et cela bien que dans de nombreux cas le travail est plus qualifié que celui qui existait antérieurement. Un troisième point est de savoir si cela génère ou pas une plus grande valeur ajoutée. Beaucoup d’analystes ont pris l’habitude de s’exprimer en termes de tonnes totales de grains produits. Je crois qu’il faut chercher ce qui s’est passé avec la valeur ajoutée de la production.

Que s’est-il passé ?

Dans plusieurs régions on observe le remplacement d’une production intensive par le soja, qui est essentiellement extensif, ce qui sans aucun doute signifie une réduction en termes absolus de la valeur ajoutée par hectare. Ce point est très important pour évaluer les fortes différences régionales qu’affiche l’accélération de la sojisation. Les effets sont profondément différents. Une chose est la région « pampeana » et une autre, les zones « extrapampeanas ». Bien que la sojisation a l’apparence d’homogénéiser la production, en réalité elle présente des rendements par hectare très distincts et des substitutions de productions très différentes.

La sojisation signifie-t-elle ou non une plus grande richesse en termes de Produit ?

Sans doute, elle représente une plus grande richesse. Le problème c’est qu’il y a eu une approche très simpliste et amateur des conséquences de ce phénomène, selon laquelle, les principaux profits qui pouvaient être obtenus déborderaient inexorablement en un plus grand bien-être général sur toute la population. On réitère la vieille idée de l’écoulement automatique et, en définitive, une défense à outrance du libre marché. J’essaie de combattre cette position, qui semble totalement décalée de la réalité et qui n’analyse pas toutes les conséquences du processus dont nous parlons.

Les entreprises agricoles soutiennent que cette répartition ne se produit pas par l’effet du paiement des salaires, mais par la relation avec les autres secteurs, comme le transport, l’industrie qui en découle et les services, notamment.

Cela dépend. Il y a beaucoup de travaux, y compris un de 2002, qui soutiennent que tout ce changement technologique "devait avoir entraîné" une augmentation des postes de travail dans l’agriculture. Et la vérité est qu’il n’y a aucun fondement empirique pour soutenir cette affirmation, qui est totalement contraire à ce qui est réellement arrivé. Concernant des enchaînements vers la provision de fournitures-matériels ou vers une deuxième industrialisation, il faut souligner qu’il ne s’agit pas de processus automatiques.

Par exemple ?

Celui des tracteurs. C’est certain qu’il y a une augmentation de la demande de tracteurs, environ 85% de cette demande est couverte par l’importation. L’augmentation de la demande locale ne garantit pas une plus grande production mécanique. Autre exemple, celui du reste du matériel agricole. Vers 1960 l’Argentine était un exportateur important de machines, au moins à une échelle régionale. Nous exportions vers le Brésil, le Chili, l’Uruguay, et la Colombie émergeait. Depuis cette époque la production agricole a connu une réelle croissance. Mais l’industrie du matériel agricole a connu un comportement différent. D’abord elle s’est développée, après elle a chuté au milieu de la désindustrialisation généralisée du pays ; elle a survécu en partie aux années 9O et, à partir de 2002, a nouveau manifesté son potentiel d’exportation. Mais ne recommençons pas à penser qu’avec la croissance de l’agriculture cette industrie se développe seule, parce que cela signifierait que nous n’avons rien retenu de l’industrie en Argentine.

Et l’emploi ?

Un autre point est la création de postes de travail dans la chaîne commerciale, ou les étapes suivantes. Il faut souligner les différences qui existent entre des complexes agroindustriels et car tous ne sont pas aussi clairement liés au marché externe que le soja. Certains soulignent qu’il existe un nombre important de postes de travail dans la commercialisation, mais ils ne disent pas que sont comptées les boulangeries et les boucheries, par exemple, et que l’emploi dans ces activités dépend très fortement du marché interne.

En plus de la distribution entre les différents secteurs de l’économie, il y a celle qui est intrasectorielle. Comment se répartissent les principaux bénéfices entre les producteurs ?

Un point important de la recherche est l’analyse de ceux qui adoptent le changement technologique. Ici on a observé, avec les données reprises du Recensement National Agricole, que les petites exploitations dans leur majorité ne faisaient pas de soja. Cela ne leur convenait pas parce qu’elles n’ont pas la taille suffisante. Une strate suivante, qui dans la région pampeana se situe entre 200 et 500 hectares, n’a pas non plus la bonne taille pour faire du soja, mais a la possibilité de louer la terre à une troisième strate. Et ce troisième groupe, c’est ceux qui sortent de la production parce qu’il préfère louer que produire. De même, ceux qui continuent à produire ont le problème de leur taille -relativement petits pour faire du soja, et en conséquence ils ont des coûts plus élevés, alors que s’ils cultivent d’autres produits, ils ont une rentabilité moindre.

Ainsi la concentration de la production a-t-elle augmenté ?

Ce qu’on voit alors, c’est que le processus de concentration de la production qui a lieu dans la région pampeana est la conséquence directe de la plus grande taille minimale des exploitations que requiert la production de soja, ainsi que du manque d’alternatives de rentabilité similaire pour ces exploitations de plus petite taille.

Il existe une rationalité économique guidée par la rentabilité de la culture. Vous soutenez que cela conduit à un déséquilibre productif et social. Les tentatives du secteur public pour réguler ces déséquilibres se sont heurtées à la forte résistance des acteurs. Est-ce que les Droits d’Exportation sont le chemin unique de régulation ?

Évidemment non. C’est un outil extrêmement efficace dès lors qu’il modifie les prix relatifs, et avec cela il peut contribuer à égaliser les rentabilités des productions distinctes. Cependant, cela doit être complété par d’autres instruments.

Etes-vous d’accord avec l’actuel niveau de rétentions ?

Il me semble que maintenant il est clair que, au-delà de leur niveau, les rétentions ne doivent pas être fixes. De plus, tout niveau de rétentions doit à être associé à une politique plus générale pour le secteur.

La sojisation était-elle inévitable ?

Le sojisation fut une réponse à une transformation de la demande mondiale d’aliments. Dans ce sens, le processus aurait pu être différent, s’il on n’avait pas laissé toute la régulation aux mains du marché, notamment à partir de l’adoption des transgéniques. Avec une autre régulation on aurait pu obtenir, en plus d’augmenter des exportations, de remplir d’autres objectifs souhaitables pour le développement agricole, comme l’amélioration des stocks d’aliments accessibles pour la population, la promotion d’un développement plus intégré au niveau régional qui défendrait l’apport de valeur locale, et la protection de l’environnement.

La surface implantée de soja va-t-elle continuer à augmenter ?

Elle a continué d’augmenter après le conflit ; elle s’est accrue d’environ 400.000 hectares sur la saison 2008/09, comparé à la précédente, et tout laisse prévoir que cette tendance se poursuit.

L’INTERVENTION DE L’ÉTAT

Quelle est votre opinion sur le débat écologique quant aux effets supposés négatifs sur la santé humaine des transgéniques ?

Quand on parle des effets possibles sur la santé, il s’agit d’effets à long terme. Et leurs résultats pourraient affecter les profits immédiats des certaines entreprises. Il est clair que l’étude de ces effets ne peut pas rester entre des mains privées, mais doit faire partie de l’action de l’État, veillant à l’intérêt général.

Le problème est-il la semence, son caractère transgénique, ou le mode de production dans lequel il se déroule ?

De l’étude des "conséquences" d’un processus de diffusion d’un changement technologique, comme c’est le cas, il ressort que les résultats ont pris la tournure qu’ils ont pris, parce qu’ils traduisent la façon dans laquelle le processus a été régulé. Je crois que la clé est de discuter sur le contexte général dans lequel se fait la dite diffusion, parce que là réside la possibilité d’obtenir des résultats différents.

Considérez-vous comme justes les patentes et les redevances que réclament ceux qui ont crée les nouvelles technologies ?

Le thème des patentes et des redevances est très particulier en Argentine, de par la façon dont la diffusion des semences GM a été promue. Le fait qu’au départ on ne payait pas de redevances pour ces graines fut une stratégie de diffusion très profitable. Donc, dès lors que toute concurrence que toute concurrence non transgénique fut éliminée, en particulier pour le soja, les divers entreprises de semences ont commencé à toucher ces redevances. Dans le cas du soja, un vrai monopole s’est établi. Il n’est pas possible de se procurer d’aucune façon des semences non GM. À partir de ce monopole l’entreprise a commencé à signer une série "d’ accords privés" de redevances étendues, surtout avec les grands producteurs, quelque chose qui sans aucun doute est en incompatible avec la loi en vigueur sur les semences.

Comment s’expliquent ces résultats ?

Il semble compréhensible que les études diffusées par les parties prenantes, comme des organismes ou des entreprises de biotechnologie, sont clairement dans l’apologie. Plus étrange c’est ce que rien n’est dit des effets négatifs dans des travaux académiques, comme par exemple ceux réalisés par la FAO.

La FAO a réalisé toute une série d’études sur la base de la méthodologie orthodoxe, et cela donne comme résultat, en préalable, que tous les effets d’un changement technologique sont considérés comme positifs. Dans le livre je critique fortement le cadre théorique dans lequel ces travaux ont été menés. Il est nécessaire de le discuter, parce que c’est que là se trouve la base des résultats obtenus par de telles études. Ce qui est lamentable c’est que de ces travaux est déduit la politique que les gouvernements doivent mettre en oeuvre , c’est accepter comme unique régulation celle des prix de marché. Cela finit par être contraire aux objectifs énoncés par la FAO elle même, dont on suppose qu’ils devraient soutenir le développement économique des pays.

Suplemento CASH, Página 12. Buenos Aires, le 26 mars 2009.

Traduction pour El Correo : Carlos et Estelle Debiasi

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