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Et si le commerce mondial était une chose trop importante pour être laissée aux mains des experts de l’Omc ?
Par Louis Sallay
Le Grain de Sable
Au vu du fiasco de Cancun -qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore- la question s’impose. Car
l’intermède mexicain n’a rien d’un coup de tonnerre dans un ciel serein. La réunion de Seattle avait l’impopularité d’ampleur mondiale
qui entoure l’Omc parmi les pays du sud, la mouvance associative et le
mouvement syndical. Confronté à une opinion publique moniale
exigeante, l’organisation avait su reprendre la main après les
attentats du 11 septembre, en présentant le cycle de Doha, dit "de
développement" comme une arme anti terrorisme. Les Etats-Unis
exigeaient un "succès" à tout prix; forceps aidant, il fut au
rendez-vous. Mais ne régla aucun problème de fond; Doha fit la
démonstration de l’ampleur des égoïsmes des multinationales vis à vis
des pays du Sud, notamment sur le dossier des pandémies et des
médicaments génériques. La seule avancée timide sur cette question
devait être immédiatement remise en cause au lendemain de Doha et au
bout de laborieuses tractations, se métamorphoser en un compromis
bureaucratique aussi tortueux que pathétique. Cancun ne fait donc que
confirmer la crise devenue patente à Seattle: crise d’efficacité,
crise de légitimité, crise de fonctionnement.
La conférence de Cancun n’avait, de fait, que peu de chances d’aboutir à ses fins.
D’abord du fait des contentieux accumulés vis-à-vis des pays du sud et
du déficit de confiance. Ce que résume parfaitement Arnaud Zacharie,
Directeur de recherche au Cncd: " Les pays du Sud sont de moins en
moins enclins à accepter les promesses non tenues des pays
industrialisés et les règles défavorables qui en découlent : l’
évaluation sur l’impact des libéralisations, promise depuis 1995, n’a
toujours pas été réalisée; la moyenne des droits de douanes fixés par
les pays industrialisés pour les articles manufacturiers en provenance
du Sud est quatre fois plus élevée que pour les mêmes articles émanant
du Nord ; alors que les pays industrialisés protègent et
subventionnent leur agriculture, les pays du Sud se voient refuser de
telles mesures ; le système des brevets freine l’accès des pays
pauvres aux médicaments et empêche la recherche liée aux maladies qui
n’existent que dans ces pays." Or le Sud compte aujourd’hui des poids
moyens qui pèsent dans le concert des marchés; Les demandes de l’
Inde, de l’Afrique du Sud et du Brésil par exemple, ne sont pas
forcément anti-libérales; mais elle expriment une prise en compte de
besoins particuliers propres a un stade de développement ainsi que la
fin des avantage exorbitants concédés par les Etats-Unis et l’Union à
leurs lobbys agricoles. Ces pays ont su rallier une vingtaine de
gouvernements déterminés à parler d’une même voix. L’Omc n’a pas été
en capacité de faire entendre leurs points de vue.
Ensuite, du fait de divergences persistantes et fortes entre les
Etats-Unis et l’Union européenne. Ces divergences sont sectorielles -
le bouf hormoné, les Ogm, les subventions agricoles - mais elles ont
également une dimensions stratégique, qui s’articulent à des rivalités
de grande puissance et s’alimentent des tensions internationales. De
fait, l’administration Bush agit dans le domaine commercial comme elle
le fait contre le terrorisme; uniquement à travers la prise en compte
de ses intérêts, mal compris au demeurant. Autoritaire, unilatérale,
la politique américaine fait montre à l’Omc du même cynisme unilatéral
qu’elle met en oeuvre à l’égard de l’Onu.
C’est dire que l’issue de Cancun ne chagrine pas outre mesure
Washington, déjà prête à se replier sur des accords bilatéraux et
régionaux, processus avantageux puisqu’ils enferment le débat dans une
confrontation sans règles entre le fort et le faible.
Ultime handicap qui procède des précédents, la mise en musique même
des négociations n’a, une fois de plus, abouti qu’a donner aux pays du
sud le sentiment de compter pour du beurre. La fin de non recevoir
méprisante opposée aux pays producteurs de coton, au bénéfice des
producteurs américains, a largement contribué à souder les délégations
africaines dans une attitude de dignité et de fermeté. Enfin, et ce
n’est pas le moins important la négociation de "l’agenda de
Singapour", véritable pomme de discorde, a été géré à rebours. Cet
agenda, à savoir la concurrence, la facilitation des échanges,
l’investissement et les marchés publics, intéressaient
particulièrement les pays du Nord. Ceux du Sud avaient clairement fait
savoir qu’ils ne bougeraient dans ces négociations qu’en échange de
concessions du Nord sur l’agriculture. La logique aurait donc voulu
qu’on négocie d’abord l’agriculture et ensuite l’agenda de Singapour.
Mépris pour les "petits", sous estimations des enjeux, manque de
savoir faire? Toujours est-il que le Ministre Mexicain des affaires
étrangères, fustigeant les "positions théoriques" a fait le contraire;
puis, devant les blocages qui s’ensuivaient, a tout bonnement levé les
"négociations".
Au-delà de ces raisons, dont chacune suffirait à précipiter une
faillite, l’échec de l’Omc réside dans son incapacité à échapper à son
logiciel de fonctionnement. Construit sur le paradigme de la seule
libéralisation du commerce et non de son organisation, il interdit des
modulations de politique; ignore qu’il faut parfois ouvrir des marchés
tandis qu’on en protège d’autres; exclure des secteurs de l’empoigne
commerciale et organiser des coopérations en place de concurrence.
Génétiquement persuadé que le développement du commerce équivaut au
développement tout court, ce que rien ne confirme, il travaille en
aveugle, ignorant superbement l’essence des constructions sociétales.
Bref, face aux complexités du monde, il s’avère aussi utile qu’une horloge dont les mécaniques sophistiquées n’aboutiraient qu’à toujours donner la même heure.
Avec Cancun, la panne de la gouvernance mondiale libérale devient
patente. Faut-il s’en réjouir? Certainement, dans la mesure où la
crise a une fonction de dévoilement et appelle un dénouement,
autrement dît, des issues. D’un autre coté, on ne peut ignorer que la
crise n’abolit pas le réel: les affaires continuent et en des termes
d’échange défavorables aux peuples. Dans ce contexte, le mouvement
altermondialiste, dans toutes ses composantes et ses contradictions
a-t-il les moyens d’imposer un "new deal" commercial faisant la part
des intérêts des uns et des autres ? C’est toute la question des
années à venir.
Un tel objectif suppose d’intégrer l’Omc dans le dispositif Onusien et
d’articuler sur des objectifs de développement la Banque mondiale, le
Fmi, l’Omc, l’Oms, la Cnuced le Pnud, et le Bit; d’évaluer les
accords existants; par le respect des engagements pris à Doha, comme
celui de mettre en pratique « le traitement spécial et différencié »,
celui de « contribuer à une solution durable du problème de l’
endettement extérieur des pays en développement » et « des effets de l
’instabilité financière et monétaire », celui de « protéger la santé
et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments »,
celui d’éliminer le protectionnisme sur « les produits [non agricoles]
dont l’exportation présente un intérêt pour les pays en
développement » ou celui de viser « des améliorations substantielles
de l’accès aux marchés » et « des réductions de toutes les formes de
subventions à l’exportation, en vue de leur retrait progressif ».
Cela suppose également de rompre avec la logique de «
marchandisation » des services et des biens publics fondamentaux comme
l’eau, l’éducation, les semences ou le génome humain, ce qui passe par
une réforme en conséquence des accords sur les services (AGCS) et les
droits de propriété intellectuelle (ADPIC), notamment par la
définition de biens publics mondiaux non régis par les lois du marché.
Si l’objectif est ambitieux, il n’est pas hors de portée; d’abord
parce que ces questions sont aujourd’hui en permanence sous le regard
de l’opinion publique mondiale; ensuite, parce que les convergences
entre pays du Sud, militants et experts associatifs, organisations
syndicales constituent une somme d’expertise, de légitimité et de
formidable puissance; enfin, parce que cela correspond à la réalité
d’un développement contemporain, assurant une meilleure production de
richesse, une plus juste allocations des ressources, une meilleure
production de richesse, une plus juste répartition. L’humanité et son
avenir sont à ce prix.
Gouvernance mondiale, quelques repères
Le "Consensus de Washington" prôné par le Fmi et la banque mondiale
fait du marché la clé du développement des pays du sud et de l’Est.
Après 1994, le Gatt, chargé de négocier des abaissements tarifaires et
douaniers, cède la place à une Organisation mondiale du commerce
(Omc), dotée de pouvoirs de contraintes, fondée sur le principe un
membre=une voix et détachée de la sphère de l’Onu.
En 1999, à Seattle, l’Omc connaît un échec retentissant sous la
pression conjuguées des pays du sud, des militants associatifs
altermondialistes et d’une impressionnante mobilisation syndicale. En
2001, l’organisation reprend la main en utilisant la situation
politique nouvelle crée après les attentats du 11 septembre et lance
un nouveau cycle de libéralisation dit "Agenda du développement". Cet
agenda, qui devait être a moitié réalisé à Cancun, ne l’a été que pour
un petit tiers. L’intervention américaine, le passage de
l’administration Clinton a celle de Bush n’ont fait qu’exacerber les
divergences et contradictions entre pays du sud et pays du nord d’un
côté, Etats-Unis et Union européenne de l’autre.
Après Cancun, et alors que les sujets de négociation sont remis en
débat à son siège, à Genève, l’Omc entre dans une phase de crise qui
pourrait être terminale. Sauf adoption et mise en ouvre de réformes
profondes.