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Par Eric Toussaint
CADTM
La dette odieuse est une dette contractée par un régime despotique
pour des objectifs étrangers aux intérêts de la Nation, aux intérêts
des citoyens. A la chute d’un tel régime, les créanciers ne peuvent
exiger des remboursements que du despote déchu. Cette doctrine s’est
appliquée à plusieurs reprises de l’histoire des deux derniers
siècles. Une présentation non exhaustive des cas où cette doctrine a
été utilisée figure dans un livre que le CADTM vient d’éditer
récemment (50 Questions / 50 Réponses sur la dette, le FMI et la
Banque mondiale, p 163 à 169 et p. 184 à 187).
Au cours des années 1980 et 1990, la doctrine de dette odieuse aurait
pu être invoquée par de nombreux gouvernements ayant succédé à des
régimes illégitimes et despotiques: en Amérique latine après la chute
des dictatures militaires (Uruguay, Brésil, Chili, Argentine,
Equateur, Paraguay, Bolivie, etc.), aux Philippines après le départ de
Marcos en 1986, au Rwanda après le génocide de 1994, en Afrique du Sud
à la fin de l’apartheid, au Zaïre après le renversement de Mobutu en
1997, en Indonésie à la chute de Suharto en 1998... On ne peut que
déplorer que les gouvernements qui ont remplacé des dictatures aient
capitulé devant les créanciers en assumant les dettes précédentes,
pourtant odieuses, et se soient véritablement « constitués »
prisonniers de remboursements qu’ils pouvaient éviter. En procédant de
la sorte, ils ont fait porter indûment à leurs peuples la charge de
dettes odieuses. Leur choix pèse négativement sur la vie quotidienne
de plusieurs générations successives.
Il ne faut pas abandonner la perspective d’ouvrir à nouveau ce dossier
de la dette odieuse même s’il est considéré comme clos par les
créanciers, toutes catégories confondues. Les Etats endettés n’ont pas
fini de rembourser des dettes odieuses. Ils peuvent encore fonder en
droit une décision de répudiation de ces dettes. Par ailleurs, les
nouvelles dettes contractées dans les années 1990 et au début des
années 2000 par des régimes légitimes, pour rembourser des dettes
odieuses contractées par les régimes despotiques qui les ont précédés,
devraient tomber elles-mêmes dans la catégorie des dettes odieuses. C’
est ce que différents experts tels Joseph Hanlon (Grande-Bretagne) et
Patricio Pazmino (Equateur) avancent (voir la contribution de ce
dernier au 2e séminaire sur le Droit et la Dette organisé par le CADTM
en décembre 2002 à Amsterdam http://users.skynet.be/cadtm/pages/espanol/especuadorfreire.htm ).
Il faut pousser plus loin la démarche de manière à mettre en
concordance le droit avec l’évolution des vingt dernières années. Il s
’agit d’élargir le champ d’application de la doctrine de la dette
odieuse aux dettes contractées à l’égard des Institutions de Bretton
Woods (le FMI, la Banque mondiale et les autres membres du groupe :
Banque Africaine de Développement et ses homologues d’Amérique latine
et d’Asie).
De quoi s’agit-il ? Le FMI et la Banque mondiale (= créanciers
multilatéraux) détiennent environ 450 milliards de dollars de créances
sur les pays endettés et une grande partie de ces dettes entre dans
la catégorie des dettes odieuses.
Quels sont les arguments :
1) Les dettes multilatérales contractées par des régimes despotiques
(toutes les dictatures mentionnées plus haut ont été soutenues par le
FMI et la Banque mondiale) doivent être considérées comme odieuses. Le
FMI et la Banque mondiale ne sont pas en droit d’en réclamer le
paiement aux régimes démocratiques qui ont succédé aux régimes
dictatoriaux ;
2) Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et
légitimes pour rembourser des contractées par des régimes despotiques
sont elles-mêmes odieuses. Elles ne doivent pas être remboursées.
3) Les dettes multilatérales contractées par des régimes légaux et
légitimes à condition d’appliquer des politiques d’ajustement
structurels préjudiciables aux populations (la démonstration du
caractère préjudiciable de celle-ci a été faite par de nombreux
auteurs et organismes internationaux -notamment des organes de l’ONU-)
sont également odieuses. Le fait que pendant vingt ans, la Banque
mondiale et le FMI ont, contre vents et marées, défini et imposé des
conditionnalités qui se sont avérées catastrophiques au niveau de la
garantie des droits fondamentaux des êtres humains, constitue un dol
à l’égard des emprunteurs et de leurs populations. Le contrat d’
emprunt en question est frappé de nullité. Les lettres d’intention que
les autorités des pays endettés sont obligées d’envoyer, bien souvent
sous leur dictée, au FMI et à la Banque mondiale constituent un
artifice construit par ces institutions afin d’être disculpées face à
d’éventuelles poursuites judiciaires. Cet artifice est nul. Un
individu NE peut PAS accepter d’être réduit en esclavage : le contrat
par lequel il aurait renoncé à sa liberté n’a strictement aucune
valeur légale. Il en va de même pour la lettre d’intention signée par
un gouvernement. Dans la mesure où elle annihile l’exercice de la
souveraineté d’un Etat, cette lettre est nulle. Les institutions de
Bretton Woods ne peuvent pas utiliser la lettre d’intention pour se
disculper. Elles restent pleinement responsables des torts causés aux
populations via l’application des conditionnalités qu’elles imposent
(l’ajustement structurel, aujourd’hui rebaptisé Cadre Stratégique de
lutte contre la pauvreté).
4) Il faudrait également prendre en considération le caractère
antidémocratique, despotique des Institutions de Bretton Woods
elles-mêmes (majorité requise de 85% ; droit de veto accordé de fait
aux Etats-Unis qui détiennent environ 17% des voix ; déséquilibre
évident dans la répartition des voix.).
5) Simultanément aux actions menées en faveur de l’annulation des
créances multilatérales, il s’agit de mener un combat pour obtenir des
réparations de la part des institutions de Bretton Woods à l’égard des
populations victimes des dégâts humains et environnementaux causés par
leurs politiques.
6) Enfin, il s’agit de poursuivre au civil et au pénal les
responsables de ces institutions pour les violations des droits
humains fondamentaux auxquelles elles se sont livrées directement en
imposant l’ajustement structurel et/ou indirectement en prêtant leur
concours à des régimes despotiques.
Voilà quelques arguments pour lancer un débat urgent.
(*) Eric Toussaint, historien et politologue, président du CADTM, membre du Conseil Scientifique d’ATTAC France, coauteur avec Damien Millet de « 50 Questions/50 Réponses sur la dette, le Fmi et la Banque
mondiale » coédition CADTM / Syllepse, Bruxelles - Paris, 2002, 262 pp
Contact pour cet article : cadtm@skynet.be