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8 de abril de 2004

Alvaro Uribe Velez et sa « Sécurité démocratique » en Colombia: Interview de Javier Giraldo

 

Par Justin Podur
Z Net, 16 mars 2004

Militant pour la paix de longue date, le Père Javier Giraldo a contribué à la fondation de Justicia y Paz en 1988 ; il est depuis longtemps un travailleur infatigable en faveur des droits humains en Colombie. Il est l’auteur de « Colombia: the Genocidal Democracy » (Colombie : la démocratie génocidaire), l’un des livres d’introduction à la situation des droits humains en Colombie les plus utiles, paru dans les années 1990. Il a été interviewé à Bogota le 22 février 2004.

Uribe appelle sa politique guerrière « Sécurité démocratique ». Qu’en pensez-vous ?

J’ai lu à ce jour quatre ou cinq discours d’Uribe pour y chercher une définition. Il a récemment prononcé un discours au Costa Rica sur ce thème. Sa réthorique est toujours la même. Précédemment, soutient-il, la sécurité n’existait que pour quelques-uns. Mais la « Sécurité démocratique » concerne tout le pays : elle fonctionne de la même façon, que vous soyez ouvrier ou propriétaire, membre du gouvernement ou de l’opposition. Sa thèse, sa réthorique, est qu’elle protège tous les Colombiens.

Si on l’analyse dans sa pratique, elle possède de nombreuses modalités.

C’est d’abord une radicalisation de la stratégie paramilitaire. Le paramilitarisme, c’est l’implication de segments toujours plus larges de la population civile dans le conflit. C’est l’essence du projet. Uribe soutient ce type de politique depuis l’époque où il était gouverneur d’Antioquia. La neutralité est absente d’un tel contexte. Tout le monde doit participer du côté du « bien », contre le « mal ». La clé de voûte de sa stratégie est l’armée, et tous les chemins de la « Sécurité démocratique » conduisent à l’armée. Il s’agit de soutenir l’armée, d’obéir à l’armée.

Il existe un arrière-plan à cette situation, depuis Antioquia. Quand le mouvement des Communautés de paix vit le jour, certaines communautés de paysans et d’indigènes se déclarèrent « neutres ». Elles ne voulaient en rien avoir affaire au conflit. Ce mouvement vit le jour à l’époque où Uribe était gouverneur, et la communauté de paix de San José de Apartado en fut le fruit. L’évêque Isiaias Duarte Cancino, qui fut tué plus tard à Cali, y travaillait. La région d’Apartado était très « chaude », un corridor stratégique pour les armes, les armes à feu - une région que se disputaient les groupes armés. La population civile voulait rester neutre. Il y eut lieu une série de meetings pour discuter de cette idée. Uribe, alors gouverneur d’Antioquia, s’invita carrément au meeting. Il s’invita lui-même à parler, et dans son discours, il lança sa proposition pour une « neutralité active » des civils, ce qui voulait dire soutenir et aider l’armée. L’évêque refusa publiquement : il lui dit « désolé gouverneur, mais votre projet n’est pas le même que le nôtre ». Uribe partit furieux. Plus tard dans la nuit, le nom et slogan du mouvement fut changé : de « neutralité active », il devint « communautés de paix ».

Quant à Uribe, il maintint sa proposition comme gouverneur du département d’Antioquia, avec la majorité de CONVIVIR, des unités paramilitaires légales. CONVIVIR, c’étaient des civils, armés par l’armée, contrôlés par le Superintendant de la sécurité privée - une tentative discrète de légaliser les paramilitaires, en essayant de contourner la décision de la Cour suprême de 1989 qui déclarait inconstitutionnelle la loi légalisant les paramilitaires (entre 1965 et 1968). Aucun département du pays ne comptait plus de membres de CONVIVIR qu’Antioquia. Cette manœuvre accrédita les paramilitaires. Trois des dirigeants du CONVIVIR d’Apartado étaient des paramilitaires. Ils étaient entraînés par la 17e Brigade de l’armée. Voilà quel est l’arrière-plan.

Si l’intention d’Uribe est d’impliquer de plus en plus la population civile dans le conflit, comment la population civile a-t-elle répondu ?

Eh bien, le terme de « population civile » est un peu vaste. Il inclut les industriels, les riches et les puissants. Mais il y a un processus. En 1995, Serpa a proposé un dialogue avec les paramilitaires. La proposition, à cette époque, a créé un scandale dans les médias. Leurs arguments étaient alors très clairs : les paramilitaires n’appartenaient pas à l’opposition au gouvernement. Les guérilleros étaient dans l’opposition, et la Constitution offre elle-même des possibilités légales de négocier avec des groupes d’opposition armée. Les paramilitaires, en revanche, font partie de l’Etat. Comment l’Etat pourrait-il dialoguer avec eux ? A cause de ce scandale, Serpa renonça à sa proposition.

Mais entre 1995 et 2002, il y eut un processus d’acclimatation de la société au paramilitarisme, en particulier dans les médias. L’un de ses aspects est la visibilité publique donnée à Castaño. Sa première interview majeure fut celle du Caracol d’Arismendi, mais El Tiempo, Semana, Cambio, tous les plus grands médias suivirent bientôt. L’idée était de blanchir son image, de la soigner, de faire de Castaño un personnage public susceptible de donner son opinion sur diverses questions.

Il démarra vraiment avec le « processus de paix » de Pastrana et les « dialogues » à San Vicente del Caguan. Ce processus fut analysé et traité par les médias dominants d’une manière vraiment superficielle. Au départ, les dialogues avaient en commun 47 points sur lesquels le gouvernement et les FARC étaient d’accord. C’était au début. A partir de là, il n’y eut pratiquement que la guerre. Les paramilitaires commencèrent d’envahir la région. L’armée commença de la survoler. Les FARC firent leurs propres manœuvres. Le gouvernement ne prit jamais ces conversations au sérieux. Il n’a même pas nommé une seule personne pour mettre en œuvre l’agenda en 47 points. Il n’a même pas envoyé un seul fonctionnaire en délégation à Caguan. Les médias mirent l’échec des conversations au compte de « l’irresponsabilité des guérilleros ». Mais il y avait plein d’irresponsabilité de la part du gouvernement. Cependant, la campagne médiatique convainquit la majorité de l’opinion publique de la responsabilité des guérilleros. Cet état de fait aida les paramilitaires, et c’est ainsi que le terrain fut préparé pour Uribe. Les actions des FARC à cette époque furent aussi très discutables - ils tuèrent des parlementaires, ils organisèrent des raids et des enlèvements.

Salvatore Mancuso, un commandant paramilitaire, appuya la candidature d’Uribe, et il déclara qu’il le soutenait une fois les élections gagnées. Outre CONVIVIR, existe-t-il d’autres liens entre Uribe en personne et le paramilitarisme ?

Il existe une famille très proche d’Uribe, les Ochoa, qui sont des narcotrafiquants. Je ne dis pas proche dans le sens qu’ils se connaissent - je veux dire qu’ils ont grandi ensemble.

Les Etats-Unis essayaient d’extrader l’un d’eux, le plus jeune, Fabio Ochoa. Mais la loi colombienne dit que si vous êtes recherché en Colombie et dans une autre juridiction, vous ne pouvez pas être extradé tant que vous n’avez pas purgé votre peine en Colombie. C’est cet argument que les avocats de Castaño essaient d’avancer pour empêcher son extradition. Les avocats d’Ochoa firent la même plaidoirie, mais il fut tout de même extradé. Il eut un bon avocat; la CIA et le DEA posèrent leurs conditions à la négociation: ils demandèrent 30 millions de dollars en échange de la non-extradition. Ochoa obtiendrait une faible condamnation aux Etats-Unis, après quoi il recevrait un nouveau passeport et pourrait à nouveau voyager (Source: El Tiempo, 28 novembre 2002, pp.1-20). Baruch Vega, un photographe, fut l’intermédiaire dans cette affaire. Il y a un dossier sur cette affaire dans la procédure d’extradition. Il en résulta un fond secret, illégal, pour financer les paramilitaires. Baruch Vega fut témoin d’une réunion à Panama où la CIA et le DEA remirent à Castaño de l’argent provenant de celui payé par les narcotrafiquants.

Un autre mécanisme de financement des paramilitaires est bien connu. Dans le code des mines, il est stipulé que là où vous trouvez de l’or, vous payez des taxes. Une taxe, pour le gouvernement, sur ce que vous extrayez. Les mines d’or les plus riches se trouvent dans l’Etat de Bolivar, tandis que Cordoba (où sont basés les paramilitaires) a toujours eu une faible production. Mais si vous examinez les statistiques de la Banco de la Republica, vous verrez que les mines relativement improductives de Cordoba paient des taxes très élevées, au contraire des mines de Bolivar. L’argent qui manque finit dans les mains des paramilitaires.

Pendant la campagne d’Uribe au poste de gouverneur, le père d’Uribe fut tué par les FARC dans leur ranch d’Antioquia, Guacharacas. Il était dans un hélicoptère à ce moment-là. L’hélicoptère avait appartenu à des narcotrafiquants, il fut confisqué par la DAS (Agence de sécurité colombienne), puis rendu à ses propriétaires.

Il y a un document dans le bureau du Procureur général, le témoignage d’un petit homme d’affaires de l’industrie minière, au sujet de la propriété de Guacharacas. Il tenait une exploitation assez petite, avec une poignée d’ouvriers, a Antioquia. Il fut mis en présence du chef des paramilitaires locaux. Les paramilitaires le menacèrent, lui disant : « Vous avez payé à la guérilla le prix de votre protection, c’est passible de la peine de mort. » Il leur répondit : « J’ai dû payer la caution, sinon ils m’auraient tué. Qu’aurais-je pu faire ? » Ils lui pardonnèrent, et lui dirent qu’à compter de ce jour il devrait leur payer une caution de 250.000 pesos par mois.

Finalement, comme il n’extrayait même pas de quoi payer le prix de sa protection, il alla voir les paramilitaires dans leur base et leur dit qu’il se retirait des affaires et qu’il partait. Il lui dirent : « Attendez. Nous allons vous trouver un meilleur emplacement pour chercher de l’or. Nous reviendrons après la réunion. Attendez ici. » Comme il attendait, plusieurs personnes commencèrent d’arriver : des figures du paramilitarisme, puis le gouverneur d’Antioquia lui-même : Uribe. A la fin de la réunion, le chef paramilitaire revint et lui dit : « Allez dans l’Etat de Guacharacas ; vous extrairez de l’or là-bas. Vous paierez votre caution à M. Villega, le gérant de la propriété ».

Le témoin rapporta que 40 paramilitaires étaient installés dans le domaine de Guacharacas et que la nuit ils sortaient de la propriété pour tuer. Il s’échappa quand ils lui demandèrent de leur prêter sa voiture pour un assassinat. Mais avant cela, il fut témoin du meurtre d’un paysan accusé de collaborer avec la guérilla, à Guacharacas. Il fut témoin de la disparition d’un garçon accusé de voler dans le domaine. Les paramilitaires appelèrent le « patron » pour régler cette affaire. Le « patron » était Alvaro Uribe Velez. On ne revit plus jamais le garçon.

Un autre cas s’est produit dans l’hacienda La Mundial près de San Roque, dans la commune de Maseo, dans les années 1980, avant qu’Uribe ne soit gouverneur. A l’époque, une organisation paysanne réclamait le paiement de son travail dans l’hacienda. Les propriétaires, la famille Uribe, dirent qu’ils ne pouvaient payer, mais qu’ils allaient quitter l’hacienda pendant trois mois, et que les paysans pourraient prendre tout le surplus qu’ils pourraient produire pendant cette période. C’est ce que firent les paysans, et ils eurent même la chance de rembourser quelques dettes. Le dossier de cette affaire est à l’Office du travail d’Antioquia.

Après trois mois, les paysans s’apprêtèrent à rendre la propriété, mais Uribe voulut qu’on lui rende seulement la propriété, mais pas les ouvriers. Ainsi, la famille Uribe, apparemment généreuse, déclara aux paysans qu’ils pouvaient garder la terre. Aussitôt après, l’armée commença d’arrêter et de faire disparaître des gens, et il y eut plusieurs massacres. Les survivants disent n’avoir aucun doute qu’Uribe était derrière tout cela.

Je vous ai interrogé au début sur la réponse de la population civile, parce que certains commentateurs croient que le référendum du 25 octobre 2003 fut un revers majeur pour Uribe, comme le furent les élections municipales du lendemain qui portèrent des candidats de l’alternance au pouvoir dans de nombreuses municipalités et de nombreux départements. Voyez-vous ces événements comme des renversements de l’opinion publique à l’égard d’Uribe après son succès électoral de 2002?

La première question, c’est « comment Uribe a-t-il gagné en 2002? ». Je relisais l’autre jour « La peur de la liberté » d’Erich Fromm. Il traite de la façon dont Hitler accèda au pouvoir en Allemagne. C’est une explication en termes de psychologie sociale. Et peut-être que quelque chose de semblable est à l’œuvre ici aussi. Mais si vous regardez la période mars-mai 2002, avant les élections : j’étais à Meta, avec les déplacés, des gens de Puerto Alvira, Mapiripan. Je leur ai demandé comment il était possible que des gens qui ont autant perdu par la faute des paramilitaires votent pour un président qui leur promettait encore pire ? Il témoignèrent d’une fraude à grande échelle. Des paramilitaires étaient présents dans les bureaux de vote. Ils détruisirent les bulletins. A la fin de la journée, le maire vint au bureau de vote avec une liste des bénéficiaires des services sociaux. Ils comparèrent leur liste avec la liste des votants, pour voir quels étaient les abstentionnistes. Puis ils votèrent à leur place. Cela fut dénoncé au médiateur. Rien ne se passa. A Barrancabermeja, les paramilitaires avaient promis un massacre si Uribe ne gagnait pas. Je connais d’autres cas, que les gens n’ont pas dénoncés publiquement à cause de la peur. Ceux qui votèrent le firent sous une terrible pression.

Après les élections parlementaires de mars 2002, Mancuso proclama publiquement la victoire. Il dit que les paramilitaires contrôlaient 33% des sièges de l’assemblée. Quand des journalistes demandèrent au ministre de l’Intérieur si tel était vraiment le cas, il le confirma. Ainsi, nous avons une assemblée paramilitaire qui marche avec notre président paramilitaire.

Le référendum et les élections qui suivirent peuvent être vues comme un rejet de cette situation, mais c’est un rejet fragile. Cette sorte de dissension peut s’exprimer dans les villes. Au niveau national, le Parti libéral joua un rôle important en poussant à l’abstention. Mais la fragilité a deux côtés: la peur et la terreur paramilitaire, en particulier dans les régions rurales, d’une part; l’absence de médias indépendants et le constant bombardement par les médias, de l’autre.

Selon vous, comment l’insurrection a-t-elle répondu à « Sécurité démocratique ?

Il est très difficile de le dire. Depuis la fin des dialogues, les FARC ont maintenu une politique de silence. Ils avaient l’habitude de beaucoup parler. Maintenant, ils parlent très peu et ils ont annoncé qu’ils n’avaient pas l’intention de s’exprimer davantage.

Mais il existe différentes tendances au sein des FARC : certaines plus militaristes, d’autres plus politiques. Ce qui est clair, c’est que les modèles des processus de paix du passé ont échoué. Il y avait trois modèles différents.

D’abord, il existait des processus en 1983-84 sous le gouvernement Betancur. A cette époque au moins, il y avait un discours sur les causes de la guerre. Les causes n’étaient pas inclues dans les mécanismes, mais au moins on en discutait. L’aspect pratique, cependant, concernait la démobilisation, la réintégration, l’amnistie, etc. Il s’agissait des conditions de la démobilisation. Mais qu’est-il arrivé ? Les militaires s’y sont opposés, et beaucoup de ceux qui s’étaient démobilisés furent tués.

Le second cycle refusa même de considérer les problèmes sociaux comme des causes, et il s’en tint encore plus étroitement à la démobilisation. Il n’était pas question de la réforme agraire. C’était une négociation entre groupes -pas un processus social impliquant toute la société. Au lieu de cela, le gouvernement déclara : si vous signez, vous pourrez avoir du liquide, et vous réinsérer. Ironiquement, c’est ce qui a eu le plus de « succès », au sens étroit du terme. Huit groupes signèrent l’accord de démobilisation. Mais tous ces groupes ont été pratiquement détruits depuis. Le M-19, par exemple, était le plus gros et le plus puissant de ces groupes, c’est maintenant un parti politique, mais très petit. Le M-19 est allé jusqu’à posséder quelque temps son propre programme TV, AMPN, mais il a fait faillite par manque de fonds.

Le troisième effort consista à combiner les deux. Ce fut le processus de Caracas entre le gouvernement et la Coordination de la guérilla Simon Bolivar (CGSB). On parla de négociation, d’instruments, et de réforme sociale. Il a duré quelques mois, puis il fut annulé après l’enlèvement et l’assasinat d’un politicien par l’EPL. Pastrana tenta d’appliquer ce modèle aux négociations de Caguan. Il n’y eut pas de propositions concrètes mises sur la table, mais des thèmes, 100 au départ, qui se sont réduits à 47 thèmes, couvrant 10 chapitres. Dans les conversations de Caguan, les questions sociales furent mises à nouveau sur la table, mais je gouvernement, comme je l’ai dit, n’a même pas alloué un poste à mi-temps pour travailler dessus.

Vous avez affirmé que ces processus étaient viciés. Que devrait posséder un processus pour mieux fonctionner ?

Il devrait comprendre la logique de cette guerre. Cette guerre a sa propre logique. Ce n’est pas la même logique que celle de la politique. Elle a ses propres terribles lois. La Loi humanitaire internationale et la loi des droits humains ne sont pas suivies ni respectées dans une telle guerre. La guerre fut apportée ici dans les années 1960. En 1962, une mission états-unienne, d’une nouvelle école, l’ « école de la guerre spéciale » de Fort Bragg, est venue ici appliquer les leçons de la guerre du Vietnam. Le général Yarborough est venu ici en février 1962. Les documents en ont été publiés par Michael McClintock. Elle était appelée Mission Yarborough, et elle a ouvertement plaidé l’emploi du terrorisme pour combattre le communisme. Si vous regardez ces documents, les manuels de contre-insurrection, c’est une véritable stratégie paramilitaire. La chronologie est importante, parce que les FARC n’ont été fondées qu’en 1964-65. Mais il n’y avait aucun besoin d’employer des méthodes paramilitaires à l’époque, parce que le climat politique était tel que l’armée pouvait faire ouvertement son sale boulot. A la fin des années 1970 et dans les années 1980, les « droits humains » ont commencé à gagner de l’importance. Amnesty International a fait sa première visite en Colombie en 1980. C’est dans les années 1980 que la stratégie paramilitaire a commencé, pour continuer le sale boulot tout en permettant à l’Etat de se refaire une image. Puis, en 1985, les paramilitaires établirent des liens avec les narcotrafiquants, ce qui a introduit leur propre logique dans la guerre. Leur stratégie a toujours consisté à infiltrer progressivement la société civile. Les initiatives de Betancur reconnaissaient au moins que l’injustice sociale était à la racine du conflit. Et pourtant, l’Etat avait toujours le désir - et il continue de l’avoir à ce jour - d’essayer de mettre fin à la guerre sans toucher à la racine du conflit. Il y a de moins en moins le désir de résoudre les problèmes sociaux. L’investissement social est moins grand chez Uribe que chez Pastrana. Il ne peut y avoir de terme au conflit sans la reconnaissance de ses racines sociales.

Êtes-vous en train de dire que, selon vous, ce n’est pas en mettant fin à l’insurrection que l’Etat pourra « gagner » ?

En fait, je pense que l’Etat peut « gagner » en détruisant et l’insurrection et les mouvements sociaux. Uribe dit qu’il a réduit la « violence » de 20%. On loue cela aux Etats-Unis et ailleurs comme un progrès, une amélioration des droits humains. Mais je pense qu’un exemple donné lors d’un récent entretien par un psychologue, Carlos Beristain, qui a travaillé au Guatemala, aidé le PBI, et d’autres, est plus approprié. Il décrivait une étude classique en psychologie. Des rats sont placés dans une cage qui a une porte. Ils sont affamés et cherchent à sortir de la cage. Lorsqu’ils arrivent près de la sortie, ils reçoivent une décharge électrique. Chaque fois qu’ils approchent, ils reçoivent la décharge. Ils finissent par apprendre, et n’essaient plus de partir. Ensuite, la porte est ouverte, les décharges sont supprimées. Les rats, pourtant, ne font plus aucune tentative pour quitter la cage.

Voilà comment se passent les choses sous Uribe. Les massacres, les disparitions et les assassinats des années passées sont comme les décharges électriques. Le gouvernement dit qu’il y a moins d’assassinats de syndicalistes actuellement - c’est parce qu’ils ont liquidé les compagnies d’Etat et fait passer la réforme du travail : ils n’ont plus besoin d’assassiner. S’ils continuent d’étendre cette logique, ils peuvent « gagner », selon leurs critères.

Est-ce que l’inverse est vrai ? Est-ce que l’insurrection peut gagner ?

Militairement, non. Et en tout état de cause, je crois que la majorité des combattants guérilleros n’y croient pas non plus. Les commandants disent qu’ils le peuvent, mais il semble qu’ils n’essaient même pas. Dans ce monde, ils ne le peuvent pas. Ce qu’ils essaient de faire à la place, c’est de boycotter le modèle social. Pour exprimer leur colère contre ce modèle, il font sauter des pipe-lines ou soutirent de l’argent.

Mais il y a aussi des initiatives et des mouvements très forts dans ce pays…

C’est vrai. Il y a quelques années, quand le processus du forum social a démarré et que les gens disaient « un autre monde est possible », ça ressemblait presque à une névrose. Mais il a de la consistance, quand même. Je n’y suis pas allé, mais il semble qu’une année ils ont dit aux Colombiens : « Cessez de pleurer, et donnez-nous des mouvements à soutenir ! » Et il y a des mouvements. Mais il y a plus de répression ici. Il y a des communautés de résistance, des communautés de paix comme San José de Apartado, et d’autres. Les gens continuent de se battre, malgré un coût très élevé, pour la paix et pour la justice.

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