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Par Rossana Rossanda
Il Manifesto Italia 17 mars 2004
Le résultat des élections espagnoles a changé la tendance. Nous parlons de la stupeur, aussi nôtre, de voir qu’un pays frappé horriblement trois jours avant, au lieu de se replier automatiquement vers l’ordre, a tenu un raisonnement ferme : ils nous frappent parce que le gouvernement nous a mis en guerre contre l’Irak, une guerre que 85% d’entre nous ne souhaitaient pas, et après nous avoir jetés sous le DJihad, durant trois jours il a essayé de nous confondre sur les auteurs de l’attentat. Et ce gouvernement a été effacé d’un coup de plume.
Pas même nous, nous ne pensions que l’opinion publique, empoisonnée de cette manière par le gouvernement et la télévision, réagirait avec tant de lucidité et décision. Nous devrions donner davantage de crédit à nos propres arguments. Les votes qu’Aznar a perdu sont allés au PSOE, qui sans son opposition à la guerre les aurait difficilement obtenus. L’Espagne n’avait pas pardonné aux socialistes de González la corruption, l’illégalité, la faiblesse, les espoirs brûlés. Mais elle n’a pas pensé en termes de petite politique, elle a privilégié le fait de se débarrasser d’un président belliciste et conflictuel. Les italiens devraient aussi penser ainsi lors des prochaines luttes électorales. Quant au PSOE, il devra maintenant gérer une situation difficile sans répéter les erreurs du passé. Bien qu’il ait sûrement compris quelque chose : il a signé de manière immédiate la discontinuité avec la politique extérieure du gouvernement d’Aznar.
C’est un résultat qui dérègle une apparente tendance européenne. La France était allée vers la droite la Grèce est allée aussi vers la droite, il y a quelques semaines, et vers la droite sont allées quelques élections partielles bien que peu significatives en Allemagne. Mais ce n’est déjà plus une certitude qu’il en sera encore ainsi : pour aussi fâchés que soient les citoyens par les politiques économiques myopes ou restrictives, qui loin de rendre propice une réaction elle la rendent encore moins probable, l’élection fondamentale est encore la question de la guerre et la paix. Et si on votait demain aucun ne jurerait sur la permanence de Berlusconi ou de Blair. Et qu’ils ne nous viennent pas avec ce que d’aucuns brandissent déjà : « nous ne pouvons pas permettre que le terrorisme décide notre destin ».
La simple vérité est que ce terrorisme islamique ne peut pas être vaincu sur le plan militaire parce que c’est un réseau clandestin, articulé de façon solide , puissant quant à ses moyens, et qu’il utilise les humiliations et les souffrances auxquelles est soumis l’ énorme secteur moyen-oriental. Bush et ses alliés maladroits ont évoqué ce fantôme, dont ils ne savaient rien, et ils l’ont multiplié. Bien sûr un fantôme féroce, qui se vante de sa tradition de mort, donnée et reçue, et qui a décidé de se venger. Aujourd’hui, peut-être un retrait de l’Irak et une solution juste pour les palestiniens pourraient le freiner, lui enlevant l’eau dans laquelle il nage. Demain ce n’est pas certain que ceci soit encore possible.
Choisir la paix c’est, en définitive, la seule "realpolitik". Celle-ci exige non plus de l’"Intelligence" mais en effet davantage d’intelligence : elle exige de comprendre où avons-nous mis brutalement les pieds, elle exige de guérir au moins certaines des blessures les plus retentissantes, elle exige de déraciner le terrorisme proprement dit, en le séparant des souffrances qui lui permettent de se développer. En synthèse, en terminer avec l’actuelle attitude obtuse de « l’Occident » ajoutée à l’ancien désir de rapine qui est encore le sien. Ceci, qu’a compris le modeste PSOE, est ce que la gauche italienne doit comprendre. Mieux vaut tard que jamais.
Traduction pour El Correo de Estelle et Carlos Debiasi