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" C’est la guerre la plus miséricordieuse jamais livrée dans l’histoire " a dit le général Jay Garner administrateur civil de l’Irak dans sa conférence de presse donnée à Bagdad le 24 avril.
Le général veut sans doute dire que l’armée américaine n’a pas utilisé les armes léthales et les armes atomiques dont l’emploi éventuel avait été évoqué par Donald Rumsfeld et les spécialistes de la défense ( Los Angeles Times du 25 janvier). Mais à part cela, toutes la gamme poétique des armes humanitaires a pu être appréciée des Irakiens : la " daisy cutter " faucheuse de marguerites, appelée aussi BLU ?82 est tombée à El Kout le 2 avril , cette merveille de 7 tonnes renferme 5,7 tonnes d’explosif qui a pour originalité de provoquer une surpression atmosphérique et un effet de souffle qui doit faire s’envoler les corps humains à moins que leurs viscères n’implosent . Les cluster Bombs sont des objets surréalistes qui lâchent dans le ciel des centaines de minibombes à fragmentations contenues dans de petits cylindres jaunes freinés par de mini-parachutes qui peuvent ainsi se répandre sur plusieurs hectares et lorsqu’ils n’explosent pas tout de suite peuvent continuer à arracher des pieds des mois plus tard. On peut demander aux habitants d’Al Hilla leur appréciation sur les CBU-87 et autres CBU-103 tombés sur eux le 2 avril en particulier sur les fines lamelles d’acier capables de couper l’un coup des bras et des jambes et de crever des yeux . Les habitants du quartier de Nassirya à Bagdad où sont tombées le 7 avril 4 bombes GBU-31d’une tonne chacune n’ont pas eu l’occasion d’enterrer leurs voisins, parce qu’ aucun reste de corps humains n’était visible même au fond du cratère de 15 mètres. C’est mieux que les fours crématoires . Le décompte des morts sera très difficile sauf dans les cas comme celui de la route N°9 près de Nadjaf le 31 mars où des paysans voyageant dans une camionnette ont été pris pour cible par des soldats américains. Un clip de CNN a même montré des soldats américains qui après avoir tué " accidentellement "un vieillard et des enfants aidaient le père à enterrer ses enfants et son propre père ; une fois la tombe, le paysan remerciait l’officier américain et lui donnait l’accolade. Cet irakien avait vraiment compris la guerre humanitaire .
Quant aux morts militaires irakiens, ils n’entrent pas dans la comptabilité des médias qui s’intéresse seulement aux pertes de l’armée " libératrice ". Un officier supérieur américain cité par le New York Times a expliqué que dans la bataille de Bagdad, une division irakienne entière avait disparu en deux heures dans le " hachoir à viande " produit par l’action combinée des missiles à uranium appauvri, des bombes et des tirs de chars. Les 30 à 40 000 militaires irakiens disparus dans le hachoir à viande, réduits en poussière sont ignorés par cette guerre. En effet, ils sont morts par leur faute, puisqu’ils n’ont pas obéi à l’appel du commandement militaire américain les invitant, par la radio La Voix de l’Amérique devenue " SAWA " puis par des millions de tracts à ne pas combattre.
En somme, si on omet la masse fautive des morts militaires irakiens et des volontaires étrangers des brigades internationales, si on évite de comptabiliser les civils réduits en poussière, si les civils estropiés ou contaminés par la radioactivité se consolent d’être des " dommages collatéraux ", si on oublie les 24 000 bombardements intelligents , les 800 missiles à uranium appauvri, les bombes à fragmentation et les faucheuses de marguerites, il ne reste qu’une guerre éclair qui en un mois a permis de chasser le gouvernement irakien , la guerre miséricordieuse du général Jay Garner .
Mais le général Jay Garner n’est pas seul à juger cette guerre bénigne, certains politologues et la plupart des médias se laissent gagner par l’enthousiasme des vainqueurs . Ainsi Pierre Hassner , important politologue qui était opposé à la guerre d’Irak, écrit dans Le Monde du 24 " cette guerre marque le triomphe des Etats-Unis et l’embarras de la France et du camp de la paix " ; il écrit encore " les Etats-Unis peuvent se flatter d’avoir triomphé militairement à un coût humain moindre que celui qu’on pouvait craindre " et encore : "force est de reconnaître que les progrès de la technologie permettent à l’arme aérienne combinée aux forces spéciales, des succès inespérés " et encore " les Etats-Unis ont fait mentir les prévisions catastrophistes ".
Pour nombre d’analystes ayant la faveur des grands medias, il est urgent de mettre cette guerre entre parenthèse pour retrouver l’unité politique et diplomatique du monde occidental. Le gouvernement français est invité sinon à la repentance du moins à l’abandon de " l’activisme diplomatique et verbal.. car ni les sondages ni les coalitions diplomatiques ne remplacent les armes et la richesse ".
Les médias et les analystes " pragmatiques " accompagnent Jay Garner comme si l’installation d’un vice-roi dans un pays conquis pouvaient être légitimée ; nulle mise en question radicale , plutôt des conseils, une sorte de coopération afin de tempérer les ardeurs du général. C’est aussi le bon moyen pour convertir la guerre en une simple équipée , qui malgré quelques " bavures " aura été bénigne et même " miséricordieuse " selon le bon général Garner.
Oublier la guerre d’Irak, c’est aussi le moyen de faire barrage à ceux qui voient dans cette guerre le modèle des guerres à venir destinées à assurer par la force l’implantation du modèle néolibéral et le programme idéologique impérial des Etats-Unis.
Le devoir de mémoire, au nom duquel , en Occident on mène tant d’opérations humanitaires et on dresse tant de tribunaux, ne peut être sélectif. Le devoir de mémoire nous commande de dénoncer la série de crimes de guerres commis au cours de l’agression de l’Irak, depuis l’usage des armes prohibées par les conventions de Genève, jusqu’à la destruction et le vol des biens culturels de la Mésopotamie qui appartiennent à la mémoire de l’Humanité.
Denise Mendez. 27 avril 2003