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Par Paul-Emile Dupret
Collectif Venezuela 13 Avril 2004. [1]
Le Soir, 26 août 2004
La victoire du président Chavez, lors du référendum du 15 Août visant à le révoquer, marque la reconnaissance de ses politiques économiques et sociales, -les programmes de santé, l’alphabétisation, la réforme agraire, les droits des pêcheurs artisanaux, la protection des minorités indiennes et noires-, qui exigeaient la maîtrise des ressources pétrolières nationales. Elle confirme aussi l’appui de la population à sa politique extérieure qui donne la priorité à une intégration autonome de l’Amérique latine par rapport aux grands centres de pouvoir, et surtout par rapport aux Etats-Unis.
C’est aussi une victoire sans précédent de la démocraties vénézuélienne, et un pas vers la démocratie participative, puisque le dispositif de référendum révocatoire, introduit dans la nouvelle Constitution, a permis qu’un mandataire élu soit évalué à la mi-mandat par ses concitoyens. C’est une première mondiale et un véritable exemple, notamment pour nous. Quel dirigeant européen voudrait bien se soumettre à une telle épreuve ?
Lequel pourrait espérer voir sa popularité augmenter de 3% cent après cinq ans au pouvoir ? Car 1,8 million de vénézuéliens de plus ont voté pour lui par rapport aux élections présidentielles de 1998.
Mais, pour nous qui avons assisté à cette journée électorale très mémorable [2], il est clair que le mérite principal de ce gouvernement est surtout d’avoir permis à des millions de personnes traditionnellement marginalisées, de participer enfin à la vie politique du pays.
La réforme de la Constitution et les programmes de santé et d’alphabétisation ont permis d’intégrer peu à peu les quartiers populaires à la vie politique du pays. Au cours de la dernière année, 2 millions d’électeurs supplémentaires se sont inscrits au registre électoral. Nous avons longuement parcouru les quartiers populaires de Caracas, ce dimanche 15 Août au crépuscule : il y avait encore devant chacun des bureaux de vote de gigantesques files d’attente, car l’opposition dont la base est concentrée dans les quartiers aisés de la capitale, a tout simplement refusé que l’autorité électorale ouvre de nouveaux bureaux de vote dans ces zones qui constituent les deux tiers de la ville. Par conséquent ces gens des quartiers pauvres, massivement pro-Chavez, n’ont pas pu tous voter, ce qui n’a cependant pas empêché le gouvernement d’obtenir 60 % des suffrages, réfutant ainsi le discours asséné par la plupart des médias locaux et internationaux, selon lequel ce gouvernement "populiste" représente moins de 30 % des vénézuéliens.
L’enjeu c’est la démocratie. Il ne s’agit pas d’une simple dispute sur un programme de gouvernement. Nous avons affaire avec un secteur majoritaire de l’opposition qui pratique l’apartheid social et politique, et qui est prêt pour ce faire à répudier toute règle démocratique, notamment en appelant à la violence, en dénonçant une fraude massive sans présenter le moindre argument valide pour étayer cette grave accusation. Ce refus de reconna ître le résultat du scrutin constitue simplement un refus de cet autre Venezuela, celui, largement majoritaire, des habitants de quartiers marginaux, des métis, des Indiens, des Noirs...
Il ne faut avoir aucune complaisance à l’égard de ces dirigeants politiques, des médias commerciaux et de la hiérarchie de l’Eglise catholique nationale. Il faut au contraire saluer le fait qu’une partie de l’opposition, et notamment la centrale patronale FEDECAMARAS qui, avec la centrale syndicale bureaucratique CTV, avait été un des moteurs du coup d’Etat-, a reconnu les résultats des élections. Il faut aussi saluer les appels au dialogue lancés par le chef du gouvernement dès sa première apparition après le vote.
Lorsqu’on a vu les images du coup d’état d’Avril 2002, les morts programmés pour justifier le putsch et la chasse à l’homme de 24 heures qui a suivi (70 morts ), -avant que le peuple ne restaure la démocratie- ; lorsqu’on sait que l’opposition a eu recours à un sabotage pétrolier de trois mois qui a fait plonger l’économie du pays dans le rouge ; lorsqu’on a entendu des dirigeants déclarer à la télévision avant le vote que si l’opposition gagnait, ils fermeraient les frontières et feraient "payer" les chavistes ; quand on a lu les déclarations récentes de l’ex-président social-démocrate Carlos Andrés Perez, pour qui le président Chavez doit être renversé par la violence et qui prône l’instauration d’une dictature de transition ; lorsqu’on sait que l’ opposition a importé des paramilitaires colombiens (dont une centaine à peine ont été capturés le 8 Mai dernier ), qui avaient pour mission de prendre d’assaut diverses casernes et d’égorger le chef de l’état ; lorsqu’on a vu l’opposition refuser le dialogue proposé par le chef de l’état au lendemain du référendum, on comprend ce que l’on a heureusement évité, grâce au résultat clair du scrutin du 15 Août.
Ce n’est pas Chavez qui a divisé le Venezuela. Ce sont ceux qui ont contraint à la pauvreté 70% des habitants d’un pays immensément riche, puisqu’il est le cinquième producteur de pétrole du monde. Une situation tellement intenable qu’elle a éclaté de façon spontanée le 29 février 1989 -donc bien avant l’ère Chavez- lorsque ce peuple s’est soulevé contre les mesures d’austérité recommandées par le FMI et appliquées aveuglément par le président Carlos Andrés Perez. Celui-ci avait réprimé cette première révolte d’un peuple contre les institutions financières internationales, en décrétant l’état de siège, et en faisant assassiner entre 3.000 et 5.000 personnes. Ce n’est que plusieurs années plus tard que Hugo Chavez est entré dans l’arène politique, et son principal mérite est d’avoir su canaliser l’énergie de cette révolte en lui donner la forme d’un projet politique.
Comme le disait le vice-président José-Vicente Rangel, « cette bourgeoisie là est si irrationnelle qu’elle ne comprend pas qu’elle doit au président Chavez que ces réformes là, qui sont inéluctables, se déroulent de façon ordonnée et non violente ». Ce n’est que quand l’opposition acceptera que " cet autre pays " - ces habitants des bidonvilles, ces métis, ces Indiens, ces Noirs, ces paysans sans terre, ces pêcheurs artisanaux - , ont aussi le droit d’exister, que ce pays sera réconcilié.
Tout comme l’a fait l’Espagne qui s’est empressée de féliciter le président Chavez pour sa victoire, la Belgique et l’Union européenne devraient changer d’attitude vis-à-vis du Venezuela. Abandonner les injonctions autoritaires et l’attitude faussement équilibrée entre une opposition qui répudie la démocratie et un gouvernement qui l’approfondit dans le plein respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.
Si nous voulons être cohérents avec les textes de base de notre politique extérieure et de notre coopération au développement, il faut aider ce gouvernement, ne fut-ce que politiquement.
Notes :
[1] Le Collectif Venezuela 13 Avril a été fondé après le coup d’Etat de
2002 et s’efforce de diffuser des informations sur la situation au Venezuela (Courriel : venezuela13avril@collectifs.net)
[2] L’auteur de cette Carte blanche a organisé la visite d’une délégation parlementaire pluraliste européenne à l’occasion du scrutin du 15 août.