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31 janvier 2003

Aide au développement de l’éducation : les facettes multiples du rôle des ONG

 

Ne nous faisons pas d’illusions. Ce ne sont pas les ONG du Nord qui pourront pallier le délabrement ou l’inexistence de systèmes éducatifs de base dans de nombreux endroits de la planète.

Par Régine Tassi,
Attac France.

Dans tous les pays développés, les systèmes éducatifs, et particulièrement ceux de l’enseignement de base, sont essentiellement assurés par le secteur public et, à un moindre degré, par le secteur privé. Les ONG - sauf si l’on inclut dans cette définition les syndicats, les associations de parents d’élèves - ne sont présentes qu’à la marge, ou bien pour les activités extra-scolaires. Elles sont cependant actives auprès des populations d’adultes marginalisés, en premier lieu celles de l’ immigration, où le taux d’ illettrisme est important.

En revanche, les ONG du Nord, souvent en coopération avec des ONG locales, sont des actrices significatives du développement de l’éducation dans certains pays du Sud. Leur action peut y être lue de deux manières contradictoires. D’un côté, elles servent à pallier les carences de gouvernements qui n’accordent qu’une place secondaire à l’éducation publique. En ce sens, elles peuvent paraître cautionner l’incurie de ces gouvernements, tout comme l’aide alimentaire sert parfois de prétexte pour ne pas réorienter les systèmes agricoles vers l’auto-suffisance alimentaire. Mais, d’un autre côté les ONG servent souvent aussi de révélateurs des attentes des populations, qu’elles écoutent davantage que ne le font les fonctionnaires locaux. Elles sont aussi souvent porteuses d’innovations pédagogiques. De ce point de vue, elles peuvent jouer un rôle très positif dans la mobilisation des populations pour le droit à l’éducation.

Le Sud en mal d’éducation

D’abord, quelques brefs éléments de cadrage de la situation de l’éducation dans le Sud, qui montrent l’ampleur des problèmes à surmonter pour les gouvernements, et qu’aucun consortium d’ONG ne pourra résoudre à leur place Aujourd’hui, dans le monde 20 % (960 millions d’adultes) de la population de plus de 15 ans est analphabète, et 98 % de ce total vit dans les pays du Sud. Près des deux tiers de cette population est féminine.

140 millions d’enfants en âge d’aller à l’école primaire ne sont pas scolarisés, dont les deux tiers sont des filles. On observe une forte corrélation entre travail des enfants et faible scolarisation. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’UNICEF, 250 millions d’enfants âgés de 5 à 14 ans travaillent, soit un sur quatre dans le monde.

C’est en Afrique que la proportion est la plus forte (41 %), suivie de l’Asie où un million d’enfants (notamment en Thaïlande et aux Philippines) sont contraints à la prostitution. Il faut savoir que 6 milliards de dollars par an suffiraient à scolariser tous les enfants du monde. A titre de comparaison, les budgets d’armement s’élèvent à 700 milliards de dollars.

Des engagements internationaux non tenus

Confrontée à ce constat dramatique, ce que l’on appelle pompeusement la " communauté internationale " a tenu des conférences largement médiatisées, mais sans presque aucun effet concret. Comme un mirage dans le désert, les objectifs à atteindre sont reportés à l’horizon de plus en plus lointain au fur et à mesure que le temps passe

En 1990, s’était tenue en Thaïlande, à Jomtien, la Conférence mondiale sur l’éducation pour tous. 155 gouvernements étaient représentés, ainsi que 33 organisations intergouvernementales et 125 ONG. Une déclaration avait été adoptée à l’unanimité, qui avait valeur d’engagement sur l’objectif d’un accès à l’éducation de base pour tous les enfants en l’an 2000. Un soin tout particulier devait être apporté au respect de l’égalité entre garçons et filles dans tous les projets. Dans le même sens, des actions spécifiques devaient être menées à destination des enfants les plus fragilisés : enfants des rues, habitants des zones rurales reculées, etc.

10 ans après, à l’échéance prévue, aucun de ces objectifs n’a été atteint. En avril 2000, le Forum mondial de l’éducation a dressé à Dakar le bilan de ces engagements non tenus. Il a réaffirmé que l’éducation était un droit fondamental et a fixé 6 objectifs approuvés par les représentants de 180 gouvernements et agences internationales, et dont les plus importants sont :

 Faire en sorte que, à l’échéance de 2015, tous les enfants, notamment les filles, aient la possibilité d’accéder à un enseignement primaire obligatoire de qualité et gratuit,

 Eliminer les disparités de sexe dans l’enseignement primaire et secondaire à l’horizon 2005

 Améliorer de 50 % le niveau d’alphabétisation des adultes, et notamment des femmes, avant 2015.

Le rôle néfaste des institutions financières internationales

Le dogme néolibéral, souvent résumé dans le " consensus de Washington ", fait de la croissance un produit de l’expansion du libre échange, de l’intégration dans l’économie globale, de la diminution du périmètre du secteur public, de la flexibilité, etc. Ce fameux " consensus " constitue la base idéologique des interventions du FMI et de la Banque mondiale dans les pays du Sud, désignées sous le terme de " programmes d’ajustement structurel ".

Il est aujourd’hui évident que ces programmes ont fait faillite, comme en témoigne une étude commanditée par la Banque mondiale elle-même, les pays " bénéficiaires " concernés et des ONG de développement. Elle était financée par plusieurs gouvernements européens, dont la Norvège, la Suède, la Belgique et l’Allemagne, ainsi que par l’Union européenne. Intitulée " Les racines politiques de la crise économique et de la pauvreté ", cette étude montre qu’aucun des objectifs poursuivis par les plans d’ajustement n’a été atteint, et qu’ils ont au contraire contribué à diminuer le niveau d’emploi et le pouvoir d’achat, à augmenter le chômage et à provoquer l’effondrement des systèmes éducatifs.

Les institutions financières internationales ont ainsi apporté leur contribution, si l’on peut dire, à l’aggravation d’une situation déjà très grave dans le secteur éducatif.

Cela n’exonère pas pour autant les gouvernements du Sud de leurs responsabilités. Chez un trop grand nombre d’entre eux, la faible priorité accordée à l’éducation publique et la corruption ne font souvent que renforcer les conséquences désastreuses des politiques libérales imposées par les institutions multilatérales.

Les ONG dans l’aide au développement

La résolution 2626 de l’Assemblée générale des Nations unies demandait que chaque pays avancé affecte 0,7 % de son produit national brut (PNB) à l’aide publique au développement (APD). Or les pays de l’OCDE, c’est-à-dire les 29 les plus riches de la planète, sont loin d’avoir atteint cet objectif. Seuls le Danemark, la Suède, les Pays-Bas, la Norvège et le Luxembourg dépassent ce seuil. Les Etats-Unis sont au bas de l’échelle, avec seulement 0,10 %. Pour ne prendre que cet exemple, l’aide publique en Afrique subsaharienne est passée de 32 dollars par habitant en 1990 à 19 dollars 10 ans plus tard.

Parmi les pays européens, la France et l’Allemagne sont, en volume, les deux premiers contributeurs. En revanche, en pourcentage de l’effort de solidarité internationale par rapport au PNB, la France est seulement en sixième position.

Au sein de l’APD, la part accordée au soutien aux ONG dans l’aide publique au développement varie beaucoup d’un pays à un autre. Elle passe d’environ 10 % pour les Pays-Bas à moins de 1 % pour l’Italie et la France. On peut, à cet égard, distinguer trois catégories de pays :

 Ceux qui accordent un pourcentage fort de l’APD aux ONG (7 à 12 %) : le Luxembourg, les Pays-Bas, la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, la Finlande et la Suède.

 Ceux qui lui consacrent un pourcentage moyen (de 3 à 6 %) : l’Espagne, la Suisse, l’Autriche et le Royaume Uni.

 Enfin deux pays dont le soutien aux ONG est faible : l’Italie et la France, qui vient au dernier rang.

Il faut aussi se garder de conclusions hâtives quant au rôle des ONG car cette notion ne recouvre pas nécessairement la même réalité d’un pays à un autre.

L’importance accordée par les pouvoirs publics français à l’action non gouvernementale relève de traditions culturelles et administratives, et aussi de choix politiques. Historiquement, la France, Etat centralisé, croit davantage à l’action publique qu’à l’initiative des acteurs de la société dite civile.

L’aide bilatérale française à l’éducation s’élève à environ 1, 4 milliards d’euros (ou de dollars, puisque les deux devises sont pratiquement à parité). L’effort de la coopération bilatérale porte essentiellement sur les systèmes d’éducation formelle. Des fonds publics, mais à un niveau très faible (moins de 1 % du total) sont également attribués aux cofinancements de projets lancés par des collectivités locales ou des ONG en faveur de l’éducation de base. C’est la Mission pour la coopération non gouvernementale du ministère des affaires étrangères qui, à Paris, est chargée de développer les partenariats entre l’Etat et les acteurs non gouvernementaux : collectivités territoriales, associations de solidarité internationale et de volontariat. Pour l’an 2000, ses financements se sont élevés à 35 millions d’euros, dont ont bénéficié 272 organisations.

La plupart des ONG françaises s’inscrivent dans une continuité géopolitique de la présence extérieure de la France depuis l’époque coloniale. Elles interviennent en effet essentiellement dans le monde au moins partiellement francophone : en Afrique (Afrique du Nord et Afrique subsaharienne), mais aussi en Asie (Cambodge, Laos, Vietnam) ainsi que dans les Caraïbes (Cuba Haïti, République dominicaine) et au Moyen-Orient (Liban, Palestinie).

Deux exemples d’ ONG impliquées dans l’enseignement de base : Ecoliers du monde et Enfants et développement

La faiblesse comparative de la participation des ONG françaises aux actions en matière d’aide éducative va de pair avec le dynamisme et l’action innovante de la plupart d’entre elles. Je citerai deux exemples : celui d’Ecoliers du monde/ aide et action, et, plus rapidement, celui d’Enfants et développement.

Ecoliers du monde/Aide et action est une des principales associations françaises pour l’éducation des enfants dans les pays du Sud. Dès sa création, connaissant les aléas des aides publiques, elle a choisi de préserver son indépendance financière en optant pour la méthode du parrainage individuel d’enfants par ses membres dont elle tire 85 % de ses ressources. Actuellement, elle mobilise plus de 52 000 donateurs permettant de parrainer la scolarisation de plus de 1 million d’enfants de pays en développement. L’engagement de chaque parrain est de 20 dollars par mois.

Ecoliers du monde/Aide et action est inscrite dans le réseau européen Action Aid Alliance qui regroupe 6 partenaires et qui intervient dans plus de 40 pays.

L’association intervient en Afrique ( Bénin, au Burkina Faso, Niger, Rwanda, Sénégal, Tanzanie Togo), en Asie (Inde, Cambodge), aux Caraïbes.

Ecoliers du monde/Aide et action a évolué dans sa conception de la solidarité. Au début des années 1980, l’association se concentra ses efforts sur les constructions scolaires, les distributions d’équipements scolaires. Dans le nouveau contexte des années 1990, l’association a considéré que les populations du Sud ne pouvaient pas être les bénéficiaires passives d’une aide apportée par le Nord. Elle s’est orientée vers la formation des personnels locaux auxquels elle transfère la responsabilité des projets. Elle est à l’écoute plus attentive des besoins et des attentes des populations avec lesquelles elle travaille et qu’elle traite comme des partenaires.

Cette fonction d’écoute est fondamentale. La plupart du temps, en effet, les programmes éducatifs sont élaborés dans les capitales par des fonctionnaires et des experts internationaux qui ne tiennent pas nécessairement compte des conditions locales.

Inde, Guinée, Madagascar

De nombreuses expériences du travail d’ Ecoliers du monde/Aide et action mériteraient être citées. On évoquera seulement ici le cas de trois pays : Inde, Guinée, Madagascar

En Inde, des actions sont mises en place pour professionnaliser les enseignants et les intégrer encore davantage à la communauté. Ils participent aux activités du village, aux associations de parents d’élèves, aux groupements féminins et de jeunes.

L’association appuie aussi des initiatives dans les bidonvilles du sud de Delhi. Elle forme des personnes chargées d’y apporter des services éducatifs, et également des " motivateurs " ayant pour mission d’accroître les inscriptions dans les écoles publiques.

En Guinée, devant l’absence de manuels scolaires, un petit groupe d’instituteurs aidés par des parents d’élèves s’est lancé dans la réalisation de livres d’histoire et de géographie adaptés à la région. Ce projet a permis aux enseignants de mieux connaître leur milieu de vie et de travail.

A Madagascar, les conditions sociales des enseignants se sont terriblement dégradées. Mal payés, mal formés, ils sont démotivés. Avec un salaire moyen de 49 euros par mois, un instituteur ayant 6 personnes à sa charge, cas qui n’est pas rare, ne peut plus couvrir ses besoins quotidiens. Aussi Ecoliers du monde intervient dans certaines communautés pour améliorer les conditions de vie des enseignants et pour leur redonner le goût d’enseigner.

Autre ONG française, Enfants et Développement a été créée pour venir en aide aux enfants victimes de la guerre et du génocide au Cambodge et au Laos. Elle mène des programmes de santé primaire et d’éducation, ainsi que de lutte contre la violence. Son but est d’impliquer les communautés bénéficiaires et les partenaires locaux, et de promouvoir les ONG locales et l’émergence de comités de développement villageois.

Un rôle en évolution

Jusqu’à la fin des années 1980, les ONG intervenaient directement sur le terrain essentiellement au service des populations peu organisées. Il s’agissait de réaliser des projets de développement et de former des responsables aptes à faire émerger des organisations locales.

A partir des années 1990, les ONG se sont trouvées progressivement en position d’appui à des organisations locales, avec une double mission : mobiliser des ressources financières pour les activités de ces organisations ; participer à leur développement institutionnel et organisationnel. Elles ont ainsi vu leur rôle évoluer vers une nouvelle priorité : relayer la voix des organisations du Sud vers les sociétés civiles européennes et vers les instances politiques bilatérales et multilatérales.

Jean-Pierre Vélis, auteur du livre Au risque d’innover. Education de base en Afrique occidentale, a pu écrire : " Il est maintenant universellement admis que réduire la pauvreté, supprimer la faim, protéger l’environnement, développer les communautés de base et soustraire les pauvres au fardeau de la dette sont des priorités. Les organismes publics d’aide ont peu d’expérience dans ces domaines, ou bien rencontrent d’énormes difficultés pour agir : ils recherchent par conséquent de façon active la collaboration des organisations non gouvernementales du Nord et du Sud. "

Conscientes de ce transfert de responsabilités, les ONG du Nord qui interviennent dans les pays du Sud ne veulent cependant plus servir simplement d’intermédiaires charitables venant au secours de populations lointaines en difficulté. Elles ne veulent plus être les voitures-balais du développement qui pallient les carences des Etats défaillants et les conséquences désastreuses des plans d’ajustement structurel. Elles veulent explorer des solutions alternatives et faire l’expérience de nouveaux types d’actions dirigées vers les couches sociales les plus défavorisées. En même temps, elles se veulent respectueuses des identités locales, ce qui implique de promouvoir de nouvelles formes de relations avec leurs partenaires ;

Ne nous faisons pas d’illusions. Ce ne sont pas les ONG du Nord qui pourront pallier le délabrement ou l’inexistence de systèmes éducatifs de base dans de nombreux endroits de la planète. Seules des politiques alternatives aux plans d’ajustement structurel pourraient dégager les ressources budgétaires indispensables à l’éducation. A cet égard, le FME prend tout son sens aussi bien à la veille que dans le cadre du FSM) ; Ces conditions de rupture avec les politiques néolibérales sont nécessaires, mais non suffisantes : il faut, de plus, une forte volonté politique des gouvernants, surtout en faveur des zones rurales traditionnellement négligées, ainsi qu’une démarche moins bureaucratique de leur part afin qu’ils entendent ce que veulent les populations.

De ce point de vue, le rôle des ONG est largement positif aussi bien au Sud qu’au Nord. On vient de le voir pour le Sud. Mais au Nord, leur action est tout aussi nécessaire pour faire pression en faveur de l’ augmentation de l’APD et, d’une manière générale, en faveur de vraies politiques de solidarité Nord/Sud.

Cependant, la multiplication des ONG n’est pas sans poser des problèmes politiques. On peut déplorer l’utilisation de nombreuses ONG visant á masquer le désengagements des Etats. Il n’est pas toujours facile de savoir ce que représentent les ONG. La difficulté vient, á la fois, de l’indétermination terminologique et du problème, pour beaucoup d’entre elles, de leur dépendance financière vis á vis des pouvoirs gouvernementaux et des institutions internationales.

La question du contrôle des ONG, á partir d’évaluations des objectifs et des résultats, est indispensable.

C’est un débat que, avec beaucoup d’autres, dont Attac, les 18 associations françaises de la campagne " Demain…l’éducation pour tous " (comprenant Aide et Action, Afrique Verte, Anima’fac, le CCFD, la Fédération des Clubs UNESCO, le GREF, la Ligue de l’Enseignement, Peuples solidaires, Solidarité laïque, Terre des Hommes) s’efforcent de porter devant l’opinion publique.

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